Le Kanem-Bornou est un empire africain pré-colonial qui s’est épanoui sur les territoires du Tchad, du Nigeria, du Niger, de la Libye et du Cameroun. Son existence pendant un millénaire en fait aussi l’une des civilisations africaines à la plus grande longévité.
Par Sandro CAPO CHICHI / nofi.fr
Les origines
L’état de Kanem-Bornou puise ses racines dans la région historique du Kanem. Cette dernière comprend aujourd’hui les régions tchadiennes du Kanem et du Bahr el Ghazal.
Au 8ème ou au 9ème siècle, la région est dirigée par la dynastie des Duguwa. Les Duguwa et les populations sous leur autorité appartiennent à l’ethnie Kanembu. Situé à la frontière de l’Afrique noire et du nord, les habitants de Kanem utilisent notamment leur maîtrise de la cavalerie et du travail du fer pour élargir leur territoire jusqu’aux oasis de Kawar (actuel Niger), une extension territoriale qui permettra au Kanem de tirer un important profit de la traite transsaharienne vers les actuelles Libye et Egypte.
L’ascension des Sayfawa
Au 11ème siècle, la dynastie des Duguwa est remplacée par celle des Sayfawa. Les Sayfawa sont des musulmans, et c’est probablement grâce à l’appui de leurs coreligionnaires dans le royaume qu’ils arrivèrent au pouvoir sous le règne d’Hummay. L’importance de l’islam et des lettrés musulmans, les Ulemaa, dans l’exercice du pouvoir et à la cour est illustrée par les dispenses de service militaire et de paiement de taxes attribués à eux et à leurs descendants par le Maï (souverain). Cette prise du pouvoir par les Sayfawa va inscrire le Kanem sur la grande carte du monde musulman, produisant une vie culturelle autour de la civilisation islamique. Une des caractéristiques de la littérature islamique à Kanem-Bornou est la rédaction, en langue arabe, de Gargams, des listes généalogiques probablement inspirées de traditions locales de conservations orales des généalogies.
Toutefois, la pratique d’un islam pur va se heurter à des résistances à l’intérieur de la société kanem comme en dehors. Ainsi, jusqu’au treizième siècle, le Maï et les sujets du royaume vénérèrent un objet sacré, le Mune, qui semble avoir été un symbole d’unité au sein de la population. Ce n’est que sous le règne du Maï Dunama Dibbalemi que cette pratique, contraire à l’Islam, fut abolie et le Mune détruit. Le Kanem étant l’un des premiers états à avoir reçu l’islam de ses voisins d’Afrique du Nord, il se retrouvait entouré, plus au sud, de populations non-islamisées dont la religion offrait une justification pour leur conquête, leur mise en captivité puis leur trafic et leur réduction en esclavage.
Bornou ou la deuxième phase de l’empire
Dès l’arrivée au pouvoir des Sayfawa, une rivalité puis un conflit va s’installer et se développer entre l’aristocratie et la classe des guerriers, les Bulala. Ce conflit qui va bientôt éclater en guerre civile va conduire, ajouté au terrain gagné par la désertification du Sahara, à la migration des Sayfawa hors de la région à la fin du 14ème siècle. Ils quitteront leur ancienne capitale, Nijmi, pour s’établir dans la région de Bornou à l’ouest. Les Sao, des populations mystérieuses de cette région et qui ont laissé à la postérité les vestiges d’une riche civilisation font partie des populations de la région de Bornou ayant lutté contre le Kanem-Bornou avant de perdre leur identité culturelle vers le 16ème siècle.
De cette fusion entre les Kanembou de Kanem et les Sao et autres populations de Bornou allait naître l’ethnie kanouri.
Au 15ème siècle, les Sayfawa y établirent leur capitale à Garzagamo dans l’actuel Niger après s’être établis à Garumele et à Gambaru.
Le siècle suivant, les Sayfawa parvinrent à reprendre le pouvoir à Kanem au détriment des Bulala, établissant leur domination sur ce qui allait alors être connu sous le nom d’empire de Kanem-Bornou.
C’est cette nouvelle période de stabilité qui allait voir l’apogée de l’empire, voyant également la conquête de la ville de Tripoli (actuelle Libye), qui lui fournit un contingent militaire ottoman parmi ses rangs et l’utilisation d’armes à feu qui facilitèrent son expansion.
L’apogée de l’empire se situe sous le règne du Maï Idris Alooma au 16ème siècle. L’enrichissement, le rayonnement et la puissance militaire qui vit l’expansion du royaume, son enrichissement et son rayonnement à l’échelle internationale sont illustrés par la construction d’un hôtel à la Mecque destiné à recevoir les sujets de Kanem-Bornou durant le pèlerinage et plus encore par l’échange d’ambassades permanentes effectuée avec l’empire ottoman, l’un des plus puissants du monde d’alors.
Le déclin
Au 18ème siècle, des attaques menées par les Toubou et les Touaregs vont conduire le Kanem-Bornou à abandonner une partie de son territoire. La guerre sainte menée par le peul Ousmane Dan Fodio allait ensuite menacer l’existence du Kanem Bornou. Au cours de conflits entre les deux parties, la capitale de Garzagamo allait être détruite. Le leadership politique et militaire de l’empire passa dans les mains de Mohammed El Kanemi, qui défit Ousmane Dan Fodio et le convainquit de ne pas chercher à attaquer davantage le Kanem Bornou, ce dernier pratiquant une forme ‘pure de l’islam’. Dan Fodio se rangea à l’avis d’el Kanemi, lui attribuant le titre de Shehu (<Cheikh) qu’il portait aussi à Sokoto. Mohammed el-Kanemi établit sa propre capitale dans la ville de Kukawa en 1814, avant que son fils Umar el Kanemi ne renverse le dernier empereur de la dynastie des Sayfawa. Le règne de la dynastie des Shewu de Kanem Borno sera toutefois loin d’égaler les huit siècles de la dynastie précédente, tombant sous les coups d’un seigneur de guerre soudanais Rabih az-Zubayr en 1893, avant que son territoire ne soit conquis par les puissances européennes. Aujourd’hui au Nigéria, les descendants de Mohammed al Kanemi possèdent le titre de Shehu de Bornou, faisant perdurer de manière symbolique à travers cette institution le prestige d’un empire, qui avait durant près d’un millénaire, tenu une grande partie de l’Afrique sous sa direction.
Références
Vincent Hiribarren / Kanem-Borno Empire
Boube Gado & Anne Haour / Garumele, Ville Médiévale du Kanem-Borno? Une Contribution Archéologique
A. D. H. Bivar & P. L. Shinnie / Old Kanuri Capitals
https://nofi.fr/2015/02/10643/10643