« Hick-Hop » : quand les suprématistes s’approprient la musique de ceux qu’ils haïssent

Connaissez-vous le hick hop, ce genre musical américain fier de ses racines esclavagistes ? Pour certains, il ne s’agit que d’un mariage artistique de mauvais goût (en plus d’être clairement de l’appropriation culturelle), mais d’autre y voient un symbole de réconciliation d’une Amérique toujours en proie à ses démons. Néanmoins, le Hick-Hop semble surtout révéler un moyen d’affirmer son amour pour le Hip-Hop, un mouvement musical noir, en le transformant en quelque chose de plus blanc pour contourner la négrophobie culturelle.

Né à la fin des années 1990, le hick-hop (appelé aussi country rap ou rap rural) est un mélange de country music et de hip-hop. Il est devenu un genre musical lorsque Bubba Sparxxx et la productrice Shannon « Fat Shan » Houchins ont sorti le premier album de Sparxxx, Dark Days, Bright Nights en 2001. C’est cet album qui a amener les sensibilités rurales sur le devant de la scène hip-hop, notamment avec le titre Ugly sorti en 2002, écrit par Sparxxx et Timbaland.

À partir de là, la machine s’est emballée et de nombreuses collaborations entre artistes hip-hop et artistes rednecks se sont enchaînées, pour le meilleur et (souvent) pour le pire. On retiendra I play Chicken  with the train du hick hopper afro américain (il y en a aussi) Troy Lee Coleman III plus connu sous le nom de Cowboy Troy ou Accidental Racist de Brad Paisley et LL Cool J (oui oui) sortie en 2013. Ce dernier titre sera l’occasion pour Paisley d’expliquer que porter une chemise représentant le drapeau confédéré n’est que symbolique et que cela ne devrait pas être mal interprété. [2]

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Brad Paisley et LL Cool J

La chanson a suscité la controverse à cause du débat sur le racisme qu’elle propose, en particulier par rapport au fait de promouvoir « la fierté du Sud » qui inclut le drapeau confédéré, mais aussi parce que Brad Paisley verse dans des stéréotypes négrophobes classiques. Dommage, l’intention était bonne comme dirait l’autre. Le journaliste Ta Nehesi Coates, correspondant national pour The Atlantic ira jusqu’à qualifier cette chanson de raciste. Il avait déclaré à ce sujet dans un article intitulé « Pourquoi «acidental racist» est en fait juste raciste » :

« L’hypothèse selon laquelle il n’y a pas de réelle différence entre les noirs est exactement ce qu’est le racisme. » [1]

D’autres se sont même essayés à étendre ce concept à la danse avec comme résultat quelque chose de très particulier… A vous de juger.

Il s’agit donc d’un mariage contre-nature pour certains (beaucoup), étant donné que la musique country est généralement associée aux rednecks [2] alors que hip-hop est originellement une musique noire, urbaine et contestataire. De ce fait, il peut paraître étonnant pour beaucoup de voire ces deux styles musicaux n’en former qu’un. C’est d’autant plus vrai que le hick-hop traîne derrière lui un bagage culturel particulièrement négrophobe.

Un rapide cours d’histoire…

Les États confédérés d’Amérique (aussi appelés États de l’Union) sont l’agrégation d’États indépendants auto-proclamés, née de la sécession des États du Sud des États-Unis avec les États-Unis en 1861. La raison principale de cette sécession a été l’abolition de l’esclavage, proposée par Abraham Lincoln, alors que les états sudistes étaient, quant à eux, favorables à une extension de ce crime contre l’Humanité.

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Esclaves cueillant le coton dans une plantation du sud des États Unis.

Cela s’explique notamment par le fait que l’économie des états confédérés était en grande partie basée sur l’exploitation de la main-d’œuvre servile d’origine africaine. Ainsi, sur 8 millions de Blancs que comptaient la totalité des États esclavagistes, 385 000 possédaient des esclaves, soit 4,8 % de la population [3]. Parmi ces 4,8 %, on pouvait noter les répartitions suivantes :

  • 50% disposaient de 5 esclaves ou moins,
  • 10 000 avaient plus de 50 esclaves,
  • 3 000 avaient plus de 100 esclaves sous leurs ordres
Étendard des troupes confédérées.

Le Nord et le Sud du pays se sont affrontés au cours d’une guerre civile connue sous le nom de guerre de sécession. À l’issue de la guerre, l’esclavage fut officiellement aboli sur le territoire américain, le 31 janvier 1865, lorsque le Congrès des États-Unis vota le 13ème amendement de la Constitution. Isera ratifié le 6 décembre et appliqué le 18 décembre de la même année. L’article Ier de cette nouvelle disposition légale stipule :

« Il n’existera dans les États-Unis, et dans toute localité soumise à leur juridiction, ni esclavage, ni servitude involontaire, si ce n’est à titre de peine d’un crime dont l’individu aurait été dûment déclaré coupable. »

Mais malgré l’abolition, il faudra attendre 100 ans avant l’acquisition des droits civiques par les noirs (notamment dans le Sud), sans parler de l’exode massif des populations afro vers le Nord afin de fuir des organisations terroristes secrètes et racistes comme le Ku Klux Klan. Et comme l’actualité nous le prouve régulièrement, les afro-américains se battent toujours contre le racisme, notamment contre les symboles négrophobes érigés en hommage de cette période d’oppression. De nombreux nostalgiques de cette époque esclavagiste, pour leur part, voient ces mêmes symboles comme une source de fierté sudiste et comme leur héritage. Impossible donc d’aimer tout ce qui provient du « nègre« , et donc le hip-Hop, aussi…

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Le monument confédéré en hommage à Robert E. Lee retiré de son piédestal le 19 mai 2017.

Mais croyez le ou non, en dépit de cette sombre histoire les drapeaux confédéré et autres joyeusetés négrophobes ont tout de même réussi à infiltrer le monde du hip-hop (avec dans la plupart des cas un résultat désastreux). Nous pourrions par exemple citer Kanye West qui avait tenté de se réapproprier ce symbole avec le titre New Slave, expliquant sur l’antenne de la radio de Los Angeles, 97.1 AMP  :

« Réagissez comme vous voulez. Toute l’énergie que vous avez est une bonne énergie. Vous savez que le drapeau confédéré représentait l’esclavage d’une certaine façon ; c’est mon interprétation abstraite de ce que je sais à ce sujet. J’ai donc fait la chanson ‘New Slaves’, j’ai pris le drapeau confédéré et j’en ai fait mon drapeau. C’est mon drapeau désormais. Maintenant qu’est-ce que vous allez faire ? » [4]

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Kanye West fièrement emmitouflé dans un drapeau confédéré.

Kanye West voulait ainsi changer l’histoire, mais force est de constater qu’il est plus rare de voir le drapeau confédéré sur le dos d’un O.G que d’un redneck. Mais que voulez-vous, les génies sont généralement incompris… L’artiste hip-hop originaire de l’Alabama qui a signé chez Shady records, le label d’Eminem, avait pour sa part expliqué  sur Twitter en 2015, qu’il ne cesserait jamais de revendiquer et de célébrer ses origines sudistes ainsi que le folklore raciste qui va avec :

« Il n’est pas question que je laisse l’ignorance des gens m’arracher à mes racines. » [4]

Cependant, après le massacre de l’église Charleston, une sanglante fusillade déclenchée par le terroriste et suprémaciste blanc Dylann Roof, qui coûta la vie à 9 paroissiens le 17 juin 2015, Yelawolf a fini par revenir sur ses propos. Dans une chanson intitulée To Whom It May Concern, l’artiste hick hop expliquera sa lutte intérieure avec le drapeau qui représente d’où il vient. Il ira même par abandonner tout les marchants en relation avec le drapeau confédéré.

« Neuf innocents membres d’une église se font assassiner
Je ne peux pas dire un mot, il n’y a pas de rime
Il n’y a pas de réparation jamais, ces gens brutalement massacrés
Et je refuse de voir les moyens pour justifier toutes les fautes de
Cet enfoiré de fou 
Je suis tellement en colère contre ma propre image, j’ai laissé tombé la marchandise
Aucune explication maintenant, ça ne fait qu’empirer les choses
Ce putain de lâche, ce criminel, juste une marionnette, un cas mental
Mais la vérité est la vérité, il l’a fait à cause de la race
Il n’y a rien que je puisse décrire, la honte que j’ai ressentie à l’intérieur
Un garçon blanc avec le drapeau a commis cet homicide ».

Une attitude  à des lieux de celle d’une nouvelle génération de « hick-hoppers » qui n’ont aucun complexe à brandir haut et fort les emblèmes de la suprématie blanche…

Travaux pratiques…

Plutôt que de vous donner notre avis sur la qualité artistique de leurs œuvres musicales, nous préférons vous laisser l’examen de celles-ci. Citons :

  • Upchurch, un country rappeur du Tennessee.
  • The Lacs (pour Loud Ass Crackers),  un duo musical qui combine rock et rap sudiste, composé de Clay Sharpe et Brian King.
  • Jawga Boyz, un groupe de hiick-hop formé en Géorgie en 2003.
  • John Lee Smith, connu sous son nom de scène Big Smo.
  • Jason DeFord, plus connu sous son nom de scène Jelly Roll.

ou encore Mini Thin qui n’hésite pas à utiliser des nombreux clichés racistes à peine dissimulés…

La liste des artistes de ce genre musical hybride est encore longue et ces derniers comptabilisent des millions de vues sur Youtube…

Alors que Bubba Sparxxx, le père du hick-hop, avait apporté au hip-hop une touche originale qui n’était pas dénuée de talent, la nouvelle génération donne l’impression de reprendre les codes du rap en y incorporant des éléments culturels propres aux rednecks (dont on ne peut pas dire qu’ils soient particulièrement négrophiles). De plus, ce dernier n’a jamais franchi la ligne rouge en brandissant le drapeau pro esclavagiste.

La question que vous devez certainement vous poser, à la lecture de ces quelques lignes, est sans doute de savoir comment ces artistes arrivent à se revendiquer d’une bannière négrophobe en utilisant, dans le même temps, un médium crée par des noirs ? Car oui, le hick-hop n’est ni plus ni moins que du hip-hop culturellement approprié par les suprématistes blancs autoproclamés, qui, à leur tour, l’ont souillé avec des références sur le Sud profond, leur aversion pour les grandes villes (d’ou vient pourtant le hip-hop) et leur amour pour Donald Trump 

Cela pourrait paraitre extraordinaire, mais cette pratique d’appropriation culturelle est monnaie courante au pays de l’Oncle Sam. Ainsi, au moins depuis l’abolition de l’esclavage aux États-Unis, de nombreux Blancs baignant dans une atmosphère raciste où le « Nègre » n’était pas le bienvenu se sont mit à adopter des éléments de la culture noire :

  • Les White Negro dans les scènes Jazz et Swing des années 1920 et 1930, qui adoptait le style vestimentaire des Noirs, leur argot ainsi que leur musique, en était l’une des premières formes.
  • Le Zoot Suiter, [5] des années 1930 et 1940, associés aux Afro-Américains dans les communautés noires de Harlem, Chicago et Detroit, repris par la jeunesse blanche de l’ère Jim Crow.

  • Le mouvement hipster des années 1940 qui adoptait le style de vie jazzmen afro-américains.
  • Le disco années 70.
  • Le hip-hop depuis les années 80.

Nous pourrions aussi évoquer des artistes tels que Stephen Foster, Al Jolson, Benny Goodman, Elvis Presley, les Rolling Stones, Vanilla Ice qui se sont appropriés la culture noire et ont en quelque sorte, à l’instar des hickhoppers, violer la propriété intellectuelle collectifs des afro-américain qui vivent au États-Unis comme sous domination coloniale… Mais que voulez-vous, ne dit-on pas que l’imitation est la plus belle des flatterie ?

VOUS AIMEREZ AUSSI :

https://nofi.fr/2015/01/jay-z-le-hip-hop-fait-enormement-contre-le-racisme/8563

Notes et références

[1] Ta Nehisi Coates ~ « Why ‘Accidental Racist’ Is Actually Just Racist« , theatlantic.com, publier le 9 avril 2013

[2] Le terme redneck est un terme péjoratif principalement utilisé pour qualifier une personne blanche rurale pauvre du sud des États-Unis. Ces derniers sont généralement perçu comme étant sales, sans éducation et racistes.

[3] E.B. Long, The Civil War Day by Day: An Almanac, 1861-1869paru le 1er novembre 1971

[4] « Kanye West Drops By 97.1 AMP Radio« , publié le 28 octobre 2013

[5] Le Zoot Suiter est un costume pour homme avec un pantalon à taille haute, à jambes larges et à revers serrés, et un long manteau avec des revers larges et de larges épaules rembourrées.

Mathieu N'DIAYE
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N’Diaye, aussi connu sous le pseudonyme de Makandal, est un écrivain et journaliste spécialisé dans l’anthropologie et l’héritage africain. Il a publié "Histoire et Culture Noire : les premières miscellanées panafricaines", une anthologie des trésors culturels africains. N’Diaye travaille à promouvoir la culture noire à travers ses contributions à Nofi et Negus Journal.

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