On estime à quatre millions le nombre d’Africains déportés depuis le sixième siècle de notre ère vers le monde arabe et le reste du Moyen Orient dans le cadre de ce qui est convenu d’appeler la traite négrière de la Mer Rouge.
Par Sandro CAPO CHICHI / nofi.fr
Bien qu’un fort déséquilibre subsiste entre l’intérêt généré par la traite négrière transatlantique et la traite négrière arabo-musulmane, cette dernière est de plus en plus étudiée par les historiens. Une estimation du nombre des victimes de cette dernière déportées au Moyen Orient et en Asie évoque un chiffre de 17 millions. Parmi ces dernières, quatre millions auraient été déportées en Asie via la Mer Rouge dans ce que les historiens appellent la traite négrière de la Mer Rouge.
Origines et responsabilités
Contrairement à la traite négrière transatlantique dont les commencements ne peuvent être imputés qu’à une volonté de commerce des Européens faisant suite à une résistance farouche des Africains de l’Ouest, la question des origines et de la responsabilité dans la traite de la Mer Rouge est plus obscure. Ses débuts ne sont en effet pas clairement documentés. Difficile donc de déterminer, qui des Abyssins (actuelles Ethiopie et Erythrée) ou des Levantins -mais serait-il vraiment possible en présence de tous les éléments d’analyse?-ont initié le trafic. Selon Mekuria Bulcha, un universitaire éthiopien d’ethnie oromo, un groupe de populations ayant payé un lourd tribut à cette traite, la traite négrière de la Mer Rouge aurait été une collaboration jointe entre les souverains et seigneurs de guerre abyssins chrétiens et les Arabes musulmans du Moyen Orient. Bulcha affirme ainsi que les deux religions légitimaient les responsables de la traite dans leurs actions. Ainsi, c’est la religion non-musulmane des esclaves principalement oromo qui a légitimé la participation à la traite par les trafiquants d’esclaves arabes. Si le crime, qui garantissait la prospérité des deux parties, était évidemment partagé par ces protagonistes, la question de l’origine de l’introduction de ce crime n’en reste pas moins irrésolue.
Prostitution infantile, Trafic d’enfants, viols pédophiles et mutilations génitales
Comme dans la traite transatlantique, les victimes étaient capturées lors de razzias durant lesquelles des résistants étaient massacrés. La composition démographique des populations capturées était toutefois fort différente. Ainsi, alors que les victimes déportées aux Amériques étaient en majorité respectivement des hommes, des femmes et des enfants, cette proportion était inversée pour la traite négrière de la Mer Rouge vers le monde arabe. Le témoignage de voyageurs européens durant le 19ème siècle rapporte en effet que la traite négrière de la Mer Rouge touchait en majorité des jeunes filles de sept à quatorze ans et deux fois plus de femmes que d’hommes. L’un de ces voyageurs, Charles Beke, rapporte qu’en 1844, toutes les captives, certaines d’entre elles étaient âgées de seulement huit ou neuf ans, étaient violées au sein des caravanes durant leur trajet des Hauts Plateaux éthiopiens jusqu’au port de Massawa. Dans d’autres cas, les captives étaient régulièrement prostituées durant leur trajet jusqu’au port, un trajet qui durait généralement plusieurs mois.
Quant aux captifs de sexe masculin, leur sort était loin d’être plus enviable. Si l‘Islam interdit la pratique de la castration à travers un hadith dénonçant les mutilations corporelles en général, les eunuques étaient de fait particulièrement appréciés dans le monde arabe, le prix d’un d’entre eux étant 3 fois supérieur à celui d’un homme non mutilé et 1,5 fois supérieur à celui d’une captive. De même, en Arabie dans les années 30, le prix d’un eunuque était plus de trois fois supérieur à celui d’une esclave. Dans le monde arabe, les eunuques étaient particulièrement appréciés pour leur impossibilité à avoir des relations sexuelles avec les femmes de l’entourage de leurs maîtres et leur capacité à les surveiller sans être tentés. Si les eunuques étaient mutilés en Afrique par des trafiquants africains chrétiens, c’est bien en partie le racisme arabe qui les contraignait à subir des castrations plus horribles encore que celles des eunuques blancs. Les eunuques noirs étaient effet mutilés jusqu’au niveau de l’abdomen en raison des préjugés relatifs à leur supposé appétit sexuel incontrôlable. Cette pratique des mutilations génitales masculines était particulièrement coûteuse en vies. Bien que les victimes de ces mutilations étaient généralement choisies parmi les captifs les plus vigoureux, on estime à entre 1/3 et 1/10 le nombre des survivants des pratiques de castration. Dans les années 1860, des milliers de captifs étant déportés via la Mer Rouge vers l’Asie chaque année, on peut imaginer le nombre colossal de victimes ayant péri dans l’ignominie de ce trafic qui ne s’acheva en Ethiopie officiellement qu’au tout début du 20ème siècle.
Références:
Mekuria Bulcha / The Red Sea Slave Trade
Ronald Segal / Islam’s Black Slaves