Bien que relativement méconnue du monde francophone dont elle est issue, la Franco-Sénégalaise Sylviane Diouf est considérée aux Etats-Unis comme l’une des plus fameuses historiennes du monde afro-descendant.
Par Sandro CAPO CHICHI / nofi.fr
Être un historien afro-descendant demande souvent de remplir deux objectifs. Le premier est d’être un historien brillant au premier sens du terme. Il s’agit, dans ce premier cas, de réunir toutes les qualités d’un bon scientifique : être rigoureux, faire un usage exhaustif des travaux sur son sujet, en proposer une nouvelle analyse en cohérence avec les faits, éviter tout biais, etc. Mais dans le monde noir, l’histoire a également une connotation que l’on trouve peu ailleurs. L’Afrique est le continent dont l’histoire a été malhonnêtement niée, déformée et utilisée pour asservir ses descendants. Pour cela, l’historien afro-descendant se doit aussi, pour être au mieux reconnu par son peuple, de contribuer à combler cette lacune. A rendre aux Afro-descendants une partie de cette histoire qui leur a été volée.
Peu d’Afro-descendants arrivent à remplir cette double promesse. De nombreux historiens afro-descendants sont de fait d’excellents historiens en ce qu’ils sont de très bons scientifiques. Malheureusement, parce que leurs travaux ne touchent pas directement les préoccupations du grand public comme la restauration de la vérité historique volée aux Noirs, ils restent souvent méconnus du grand public.
D’un autre côté, d’autres Afro-descendants, conscient de ce besoin chez les Noirs, de combler cette partie manquante de leur histoire, présentent, avec une bonne volonté mais sans grand sérieux une histoire alternative à leurs lecteurs. Si ce type d’historien plaît au public noir parce qu’il leur donne l’illusion de récupérer une partie de leur histoire, leurs travaux sont souvent de mauvaise qualité : ils sont très bons « à raconter des histoires », mais sont malheureusement de mauvais historiens.
Quelques rares historiens parviennent toutefois à conjuguer ces deux faces d’excellent historien du peuple noir. C’est le cas de l’historienne franco-sénégalaise Sylviane Diouf.
Sylviane Diouf
Née d’un père sénégalais et d’une mère française en France, Sylviane Diouf y fait également ses études.
Le sujet de sa thèse de doctorat de troisième cycle, ‘Résistance et révolte du peuple noir en Amérique et dans la Caraïbe durant l’esclavage’ annonce le type de sujets qui allaient faire son succès : la réparation des dommages causés par l’esclavage sur les Africains et leur diaspora. Cette thématique allait prendre un sens encore plus profond depuis son établissement aux Etats-Unis. Elle, fille de Sénégalais, allait entrer en contact avec la diaspora afro-américaine. Deux communautés, qui bien qu’elles vivent côte à côte aujourd’hui dans des villes comme New York, ne se comprennent souvent pas, beaucoup d’Afro-Américains tenant pour responsables les Africains du continent d’avoir « vendu leurs frères ».
Un ouvrage qu’elle éditera, Fighting the Slave Trade: West African Strategies (2003), qui regroupe des contributions d’excellente qualité, sera destiné à combattre ce malentendu en montrant à quel point les Africains se sont battus pour empêcher la vente de leurs frères de la diaspora.
Un autre de ses ouvrages majeurs, Servants of Allah, documente avec rigueur un thème très peu exploré dans la littérature : celui des Noirs musulmans d’Afrique de l’Ouest déportés aux Amériques. Cette thématique permet d’aborder de toucher de nombreux points sensibles chez les Afro-descendants. Aux Etats-Unis, le pays de Malcolm X et de Muhammad Ali, où l’islam fut souvent considéré par les Noirs comme la religion de leur émancipation, cet ouvrage fut accueilli avec grand intérêt à la fois auprès du monde académique comme du grand public. Il montrait que cette religion était souvent celle de leurs ancêtres et que celle-ci avait effectivement conduit de nombreux esclaves musulmans à entreprendre des révoltes. Par là-même, en rappelant le cas de ces esclaves musulmans d’Afrique de l’Ouest dont beaucoup étaient lettrés en arabe, elle montrait que l’illettrisme généralisé des Africains était un mythe.
La restauration des consciences africaines est l’un des aspects du combat intellectuel de Sylviane Diouf. Elle a compris, comme le disait Frederick Douglass qu’il est plus facile de construire des enfants solides que de réparer des adultes brisés. A cet effet, pour tous les enfants dépourvus de modèles historiques que nous avons été, Sylviane Diouf a produit une série d’ouvrages présentant de manière pédagogique les rois et reines de l’Afrique.
Elle a aussi consacré un livre aux enfants durant la période de l’esclavage, montrant les obstacles que ceux-ci ont pu subir à cette époque pour inspirer les enfants d’aujourd’hui.
Une partie de l’originalité de Sylviane Diouf dans son traitement du sujet de l’esclavage des Afro-descendants vient de sa volonté de ne pas le traiter dans un sens ou dans un lieu. Loin de se complaire à la vision principalement de l’esclave soumis et résolu à sa condition, elle évoque aussi sa résistance. Loin de se complaire aux réactions contre l’esclavage des Noirs aux Amériques comme cela est souvent exclusivement présenté, elle les traite aussi en Afrique et en Inde. Dans cette dernière, la présence peu connue d’esclaves africains s’étant élevés à de très haut rangs méritait d’être recherchée avec rigueur et révélée au grand public. C’est ce qu’a fait Sylviane Diouf en organisant en 2014 à New York, une exposition intitulée Africans in India: From Slaves to Generals and Rulers.
L’oeuvre de Sylviane Diouf est évidemment beaucoup plus diverse que les quelques travaux présentés ici, à la fois dans le domaine des livres pour enfants que dans celui des travaux académiques. J’espère que ce court article aura permis à ceux et celles qui ne connaissaient pas cette auteure, de la replacer elle et ses ouvrages à sa place naturelle dans la grande bibliothèque des meilleurs historiens afro-descendants qui ont aussi travaillé pour leur peuple, celle des meilleurs historiens du peuple noir.
Pour en savoir plus, rendez-vous sur sa page www.sylvianediouf.com.