Sommes-nous toujours des cueilleurs de coton ?

Par Gaël Barboza. Sommes-nous toujours des cueilleurs de coton ? Partie 1 – De nègre de maison à nègre de maison de disques.Il existe de nombreuses similitudes entre le statut d’esclave et celui d’artiste noir signé en major. Les deux s’appuient sur un rapport à l’argent basé sur l’exploitation. Et lorsque l’exploité –noir- souhaite s’émanciper de l’exploitant –blanc-, à l’image de l’esclave rebelle, l’artiste signe généralement son arrêt de mort.Si nous devions caractériser l’esclavage par un seul mot, il ne fait aucun doute que le terme « profit » est celui qui conviendrait le mieux. Cette gigantesque entreprise génocidaire fut en réalité le premier projet mondialiste sur lequel les nations européennes construisirent leur richesse. La question que nous devons par conséquent nous poser est la suivante : si la réussite économique des pays occidentaux repose essentiellement sur la déportation des femmes et hommes africains dans les plantations, quels intérêts avaient donc ces pays à abolir l’esclavage ? Les livres d’histoire voudraient nous faire croire que des individus ayant asservi, battu, tué, divisé, lynché le peuple noir pendant des siècles se seraient réveillés un matin dans l’optique d’abolir la cause de leur fortune et de leur domination. Dans un élan de bienveillance, de bonté, de grande générosité, les bourreaux de nos ancêtres auraient accordé leur liberté à ces derniers. Nul besoin d’avoir fait Math sup’ pour trouver ce scénario ambigu et peu crédible. Croire en cette version de l’histoire reviendrait à oublier que l’histoire est faite de cycles qui se répètent, éternellement. L’esclave affranchi a dû rapidement trouver du travail après sa libération.

Extrait du film « The Buttler » (Le majordome)

Ses employeurs, une fois homme noir libre, furent les mêmes personnes qui l’avaient contraint au travail forcé lorsqu’il était esclave. Ici réside donc l’ambiguïté. Les lois, les règles avaient juste changé la donne d’un point de vue physique : les noirs ne portaient plus de chaînes. Mais ces règles n’ont strictement rien changé sur le plan économique. La diaspora noire restait dépendante de la société blanche pour sa subsistance. Cette interaction particulière entre Blancs et Noirs n’a jamais réellement changé depuis la fin de l’esclavage. Elle a juste évolué, pris d’autres apparences, d’autres noms, connu d’autres visages, mais le résultat reste le même : nous travaillons non pas pour nous-mêmes, mais toujours pour les autres. Parmi ces différentes formes d’exploitations, l’un des exemples les plus frappants soit celui des artistes noirs signés en major (maisons de disques).

Michael Jackson et Quincy Jones Le 28 février 1984 lors de la 26ème cérémonie des Grammy Awards

Quelle différence y a-t-il entre un artiste noir générant des millions de dollars de bénéfices pour une entreprise blanche et un esclave dans les champs de coton ? Dans les deux cas, le principe repose sur l’exploitation : exploitation du génie créatif, exploitation physique. Dans les deux cas, lorsque l’homme noir prend conscience de sa situation et décide de s’émanciper, il est tué. Par le passé, les neg’marrons étaient réellement traqués et assassinés, pour l’exemple. De nos jours, les artistes noirs recherchant leur indépendance sont tués médiatiquement. Et les exemples sont nombreux. Nous avons récemment vu à quel point il fut difficile pour l’acteur et réalisateur afro-américain Nate Parker de pouvoir réaliser et distribuer son film intitulé Birth of a Nation (dont l’histoire s’inspire de la véritable vie de Nat Turner, à l’initiative de deux grandes révoltes d’esclaves aux Etats-Unis, qui fut par la suite exécuté). Lorsque le film trouva enfin un distributeur, les médias s’empressèrent de relayer une information au sujet de Nate Parker concernant une ancienne accusation de viol (pour laquelle il a été innocenté) dans une manœuvre flagrante visant à nuire à son image.

Nate Parker dans son film « The birth of a Nation »

Le cas Michael Jackson

Pour nous pencher sur le cas des artistes noirs signés en maisons de disques, et pour étayer la pertinence de notre propos, nous nous appuierons sur le vécu du chanteur le plus connu de tous les temps : Michael Jackson. Cet homme a été le premier artiste noir diffusé sur MTV, il a vendu plus d’albums que les Beatles, Elvis Presley, les Rolling Stones et tout le panthéon de la musique blanche contemporaine. En démontrant que même un artiste avec une telle envergure n’a finalement pas transcendé les barrières raciales (malgré l’évolution de son physique liée à sa maladie), que même la plus grande superstar du monde fut renvoyée à son simple statut d’homme noir, nous mettrons donc en avant le caractère esclavagiste présent dans l’industrie du disque. Nous devons nous replonger en 2001, peu de temps après la sortie du dernier album du King of pop intitulé Invincible, dont les coûts de production en font l’album le plus cher du monde (30 millions de dollars pour un délai de production s’étalant de fin 1998 à juin 2001). Il est important de souligner ici que le contrat liant Michael Jackson à sa maison de disques (Sony Music) s’achevait en janvier 2002 et Michael Jackson avait clairement signifié son souhait de ne pas reconduire ce dernier. Par conséquent, durant les mois qui ont précédé et suivi la sortie d’Invincible (sorti en septembre 2001), les relations entre Michael Jackson et les cadres de Sony Music se faisaient de plus en plus tendues.

Mi-juillet, la direction de Sony n’accepte pas le choix de Michael Jackson concernant le premier single et le premier clip de l’album. Michael Jackson voulait sortir le morceau Unbreakable (en featuring posthume avec Notorious BIG) et confier la réalisation du clip à Georges Lucas (Star Wars), ce qui aurait fait de cette vidéo la plus chère de tous les temps. Refus catégorique de Sony qui estime le coût trop élevé et préfère distribuer le morceau You Rock My World en tant que premier single avec un clip plus classique et moins coûteux. Premier revers pour Michael Jackson dans le cadre de la promotion de cet album. Et les évènements qui suivirent ne firent qu’attiser davantage l’écart qui se creusait entre l’artiste et sa maison de disque. Désaccords sur les singles, sabotage de la promotion, déclarations officielles de Sony Music disant que le nom de Michael Jackson n’était plus vendeur…Cette succession de mésaventures atteint son paroxysme en 2002, à l’échéance du contrat liant Jackson à la major. Mais quels intérêts avaient donc les dirigeants de Sony de saboter la promotion de l’album de leur artiste le plus rentable ? Et c’est ici qu’est apparue la dimension raciale du conflit.

A l’époque, Michael Jackson avait très tôt dénoncé le racisme de la maison de disques et notamment de son PDG, Tommy Mottola. Les dénonciations du chanteur n’ont pas réellement trouvé écho dans les médias, et pour cause, dès lors qu’un artiste noir s’en remet à son identité, dès lors qu’il revendique sa négritude et parle de fierté de soi, très rapidement la presse s’empresse de dénigrer cette personne, de la taxer de folle, d’extrémiste ou bien de faire preuve de « racisme anti-blanc ». Le journaliste de Numérama, Guillaume Champeau, entre autres exemples, s’exclamait : « Michael Jackson est-il devenu fou ? » dans un article datant de juillet 2002. La prise de position très clairement engagée de Michael Jackson n’a pas été prise au sérieux par les médias, comme si l’immense chanteur qu’il était ne connaissait pas les rouages de l’industrie musicale et n’avait aucune crédibilité pour dénoncer ses travers. Or, dans une interview accordée à des fans français de Michael Jackson en 2011, le producteur Dr. Freeze (qui a travaillé sur la production de l’album Invincible) s’exprimait en ces termes au sujet de son premier jour de studio avec le prodige:

« Les autres producteurs et moi étions comme des étudiants face à un professeur. (…) Il savait tout sur l’industrie du disque, tout sur tout, rien ne lui était étranger, et il m’a beaucoup appris. Enfin, il était très humble et créatif. C’était vraiment génial de travailler avec lui ».

 A l’image des esclaves qui s’affranchissaient eux-mêmes, MJ avait décidé de s’affranchir de Sony en ne renouvelant pas son contrat. Pour les esclavagistes, un esclave en moins représentait une perte d’argent colossale. Pour Sony Music, la perte de son artiste le plus rentable ne pouvait évidemment pas être entendue. De ce fait, ne pouvant réellement tuer Michael Jackson, ils l’ont assassiné médiatiquement. En le rendant absent de la sphère médiatique alors qu’il venait de sortir un album, en disant que son nom n’était plus vendeur, en ne soutenant pas financièrement la promotion de l’album, en le dénigrant et en le traitant comme un fou en réponse aux accusations de racisme, et surtout en le ruinant. Car s’il est bien une chose que Sony ne souhaitait pas, c’était laisser partir la poule eux œufs d’or : le catalogue musical Sony/ATV était alors détenu à 50% par Michael Jackson. Ce catalogue regroupe les droits des chansons de nombreux artistes dont notamment tous les morceaux des Beatles. Une véritable mine d’or et un investissement très intelligent réalisé par la star en 1985 qui lui assura une stabilité financière et une influence non négligeable au sein de Sony. N’apparaît-il pas étrange que Sony ait financé entièrement l’album le plus cher de l’histoire mais ne dépense quasiment rien pour la promotion de ce dernier ? Les maisons de disques dépensent toujours dans une logique de retour sur investissement. Aussi, s’ils savaient que la promotion allait être sabotée, c’est qu’ils avaient envisagé une autre issue pour retrouver leur argent : que Michael vende ses parts du catalogue afin que Sony se retrouve à nouveau détenteur des droits à 100%. Car, pour réaliser l’album Invincible, la maison de disques a accordé à l’artiste des avances sur salaire, le mettant ainsi dans une position délicate et le rendant dépendant des ventes d’albums pour rembourser l’argent investi. Saboter la promotion revenait donc à prendre Michael Jackson en otage pour le forcer à vendre ses parts du catalogue Sony/ATV.

Malgré sa transformation physique, Michael Jackson n’a jamais nié son appartenance noire. Et si nous analysons avec attention les rares fois où il a clairement mis en avant cette appartenance, il a été détruit. En 1993, alors que la promotion de l’album Dangerous battait encore son plein, le clip de la chanson Remember the time s’apprêtait à sortir. Véritable super-production hollywoodienne avec un réalisateur (John Singleton) et un casting entièrement noirs. Dans cette vidéo se déroulant en Egypte Ancienne, le chanteur cassait avec les représentations occidentales qui ne dépeignent jamais les égyptiens comme des Noirs. Peu de temps après la sortie de cette vidéo, Michael Jackson fut accusé de pédophilie par un jeune mineur du nom de Jordan Chandler (qui a révélé avoir menti, après la mort de Michael Jackson).  Fruit du hasard ? Fruit de l’imagination ? Paranoïa ? les faits démontrent malheureusement le contraire et nous pourrions ici citer l’exemple de tas d’autres artistes noirs ayant été en guerre avec leur maisons de disques, notamment Prince ou NWA pour ne citer qu’eux.

Pour résumer, si vous êtes un artiste noir signé en maison de disque et que vous vous aventurez à clamer haut et fort votre négritude, vos employeurs y verront une perte d’argent. A l’image de l’esclavage, l’interaction se joue encore ici autour du profit. Car les cadres des majors savent très bien que les principaux acheteurs de leurs albums sont de jeunes blancs.  Heureusement, l’arrivée d’internet et le développement des home-studios ont désormais changé la donne. N’importe qui peut désormais enregistrer un album, réaliser un clip, le diffuser au monde entier, et en tirer des retours financiers conséquents. Aujourd’hui, les artistes n’ont plus besoin des maisons de disques. Voilà pourquoi ces dernières sont donc obligées de cautionner un discours qu’elles niaient il y a encore quelques années. Voilà pourquoi nous avons des Beyoncé sortant des morceaux comme Lemonade, alors qu’elle n’aurait certainement pas pu le faire au début de sa carrière. Les artistes noirs indépendants sont en train de littéralement changer le visage de l’industrie musicale, de développer leurs propres studios, leurs propres labels, de s’émanciper de la plantation et de construire par eux-mêmes et pour eux-mêmes. Mais l’histoire est faite de cycles. Tâche aux concernés de ne pas laisser cette économie florissante tomber entre de mauvaises mains et de faire fructifier leurs investissements de sorte à pouvoir finalement peser financièrement, à égalité égale avec les maisons de disques. A ce moment là, nous pourrons affirmer que nous ne sommes plus des cueilleurs de coton.

 

Par Gaël Barboza.

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