Cameroun anglophone : les manifestations indépendantistes ont causé 17 décès

Des soldats camerounais ont ouvert le feu sur des militants sécessionnistes du Cameroun anglophone dimanche 1er octobre 2017, lors de l’anniversaire de l’indépendance de la région de la Grande-Bretagne. Certaines ONG font état de la mort d’au moins 17 personnes à l’issue des affrontements.

Rien ne va plus entre la République du Cameroun et les séparatistes anglophones dans les régions du Sud-ouest et du Nord-ouest. Depuis de nombreuses années déjà, des voix s’élèvent depuis les territoires anglophones, faisant part au pouvoir central de leur sentiment de mise à l’écart de la marche du pays.

Cette rupture, toujours plus profonde avec le gouvernement central semble s’être accentuée la semaine dernière lorsque des militants sécessionnistes anglophones ont lancé un appel aux manifestations publiques de masse. Le 1er octobre, ces derniers ont défié Yaoundé en proclamant symboliquement l’indépendance de l’Ambazonie [1]. Les manifestants se sont répandus pour l’occasion dans les villages et les villes des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, tentant de hisser les drapeaux bleu-blanc de l’Ambazonie. Ces signes d’indépendance ont violemment été réprimés par les forces armées déployées dans les régions en difficulté.

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Selon l’ONG Amnesty International, qui milite notamment pour la libération des prisonniers d’opinion ou du droit à la liberté d’expression, 17 personnes auraient perdu la vie sous les balles des forces de sécurité lors de manifestations dans certaines villes anglophones du Cameroun. Une enquêtrice de l’ONG a déclaré à ce sujet :

« L’escalade inquiétante observée au cours du week-end a atteint un point de crise (…) l’utilisation d’une force excessive pour faire taire les protestations dans les régions ouest et sud-ouest du Cameroun n’est pas la solution (…) Tous les décès liés à ces manifestations doivent faire l’objet d’une enquête rapide et efficace. » [2]

« L’escalade inquiétante observée au cours du week-end a atteint un point de crise » @ AmnestyWARO confirme 17 morts dans les protestations #Cameroon

Des témoins affirment que les forces de sécurité auraient ouvert le feu sur les manifestants à Bamenda, à Buea et dans plusieurs autres villes. 

Paul Biya, à la tête du pays depuis 34 ans, a pour sa part condamné « tous les actes de violence, quelle que soit leur source et leurs auteurs« . Déclarations sommes toutes déconcertantes lorsque l’on sait que les régions anglophones étaient confrontées à l’interdiction de rassemblements de plus de 4 personnes, à la restriction des mouvements, à la fermeture d’Internet. 

De la marginalisation du Cameroun anglophone 

Ces assassinats surviennent après une résistance massive et de longue haleine contre la marginalisation perçue par le Cameroun anglophone comme émanant du gouvernement majoritaire dirigé par les citoyens francophones.  En effet, si l’on veut comprendre la crise actuelle il faut se plonger dans l’histoire coloniale. 

Flag
Le drapeau du Cameroun britannique.

 

Le Southern Cameroon [3] a obtenu son indépendance le 1er octobre 1961 en votant lors d’un référendum organisé par l’ONU pour rejoindre la République du Cameroun. John Ngu Foncha deviendra le Premier ministre du West Cameroun et vice-président de la République fédérale du Cameroun. Cependant, les populations anglophones du Southern Cameroon se plaignaient de ne pas être traités équitablement par le gouvernement francophone du pays. 

Suite au référendum du 20 mai 1972, une nouvelle constitution fut adoptée. Elle vint remplacer l’État fédéral par un État unitaire. Le Southern Cameroon perdit ainsi son autonomie et se scinda en deux entités:  la province du Nord-Ouest et la province du Sud-Ouest de la République du Cameroun. Les Camerounais anglophones s’en sentirent d’autant plus marginalisés. Certains groupes exigèrent une plus grande autonomie ou une indépendance pour les provinces. 

Emplacement du Cameroun du Sud Southern Cameroons/Amabzonie.

Dès lors, les factions indépendantistes prétendirent que la résolution 1608 de l’ONU, en date du 21 avril 1961, qui avait obligé le Royaume-Uni, le Gouvernement du Cameroun du Sud et la République du Cameroun à engager des pourparlers en vue d’un accord sur les mesures d’unification des deux pays n’avait pas été appliquée. Elles estimèrent que  le gouvernement du Royaume-Uni avait commis une négligence en mettant fin à sa tutelle sans s’assurer que des dispositions appropriées furent prises.

Dans les rangs des sécessionnistes, beaucoup affirment que l’adoption d’une constitution fédérale par Cameroun le 1er septembre 1961 était une annexion du Cameroun du Sud. 

Au fil du temps, les citoyens des régions anglophones du pays, qui représentent environ 20% de la population, ont multiplié les mobilisations pour dénoncer notamment les privations culturelles, économiques, sociales et politiques. 

Cameroun anglophone
Drapeau du mouvement indépendantiste d’Ambazonie.

Avec ces violences, les relations entre les camerounais anglophones et francophones semblent atteindre leur paroxysme. 

Notes et références 

[1] Selon le Dictionnaire de l’origine des noms et surnoms des pays africains : 

« Le nom Ambazonie a été préféré à Southern British Cameroons afin de ne pas confondre cette zone avec la région territoriale du sud (Southern Cameroon). Les « autonomistes ambazoniens » avaient à cœur de trouver un nom local afin de bannir « Cameroun » qu’ils considéraient comme le symbole du lourd fardeau de l’héritage colonial. Pour cela, ils ont fouillé dans les livres d’histoire et inventé le nom Ambazonie. Celui-ci dérive d’Ambas, nom donné à la région de l’embouchure du fleuve Wouri. Ce site, en forme de baie, avait alors reçu le nom anglais Ambas Bay. » 

[2] Abdur Rahman Alfa Shaban avec Amnesty interational ~ « Cameroon’s Anglophone crisis resulted in 17 deaths – Amnesty« , okayafrica.com, publié le 2 octobre 2017 

[3] Le Southern Cameroon (Cameroun du Sud) était la partie méridionale du territoire sous mandat britannique du Cameroun britannique en Afrique de l’Ouest. 

Mathieu N'DIAYE
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N’Diaye, aussi connu sous le pseudonyme de Makandal, est un écrivain et journaliste spécialisé dans l’anthropologie et l’héritage africain. Il a publié "Histoire et Culture Noire : les premières miscellanées panafricaines", une anthologie des trésors culturels africains. N’Diaye travaille à promouvoir la culture noire à travers ses contributions à Nofi et Negus Journal.

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