En utilisant Black is Beautiful comme slogan d’une gamme de papier toilette, la marque brésilienne Santher a été à l’origine d’une publicité incroyablement maladroite.
Par Sandro CAPO CHICHI / nofi.fr
Dans un précédent article, je traitais des accusations de racisme portées contre un couturier italien. Ce dernier ayant utilisé de la peinture noire pour maquiller le visage des mannequins qu’il faisait défiler, il fut la cible de commentateurs américains lui reprochant de faire usage d’une pratique qu’ils jugeaient offensante.
https://nofi.fr/2015/03/mannequins-au-visage-peint-en-noir-un-couturier-italien-accuse-de-racisme/12818
Dans cet article, j’expliquais qu’aussi choqués qu’ils pouvaient l’être, les critiques noirs américains de ce choix artistique ne pouvaient imposer son interdiction, cette pratique étant une référence à la culture italienne indépendamment de toute référence aux Noirs et le défilé incriminé s’étant déroulé en Italie. Une comparaison que j’avais entreprise à ce sujet était celle de la langue. On ne peut pas censurer un mot d’une langue étrangère parce que sa seule prononciation, indépendamment du contexte et de sa signification, est la même qu’un mot offensant dans notre langue. Par exemple, le fait que l’utilisation du mot ‘Shoah’ en français soit taboue ne doit par exemple pas empêcher les Habesha d’Ethiopie d’utiliser le mot homophone du Shoa pour décrire une de leurs régions historiques. De la même manière, un Noir américain ne peut pas empêcher un Italien de faire référence à la couleur noire comme elle est utilisée dans sa culture lorsqu’elle n’implique absolument pas les Afro-descendants.
Black is Beautiful
En octobre 2017, le Brésil a été le théâtre d’un problème similaire en apparence, mais différent en substance. Une marque locale, Santher, a lancé, par l’intermédiaire de l’agence Neogama, une campagne de publicité pour son nouveau produit. Pour ce dernier, une marque de papier hygiénique luxueux appelé Personal VIP Black. Le slogan original de ce papier hygiénique était ‘Black is Beautiful’.
Pour souligner l’aspect luxueux de son nouveau produit, Santher et l’agence Neogama ont eu recours à une campagne publicitaire à la hauteur de leurs ambitions mettant en scène une célèbre actrice brésilienne du nom de Marina Ruy Barbosa, nue sous du papier hygiénique de couleur noire.
L’impression était manifestement donner l’impression que le papier en question était si luxueux et esthétique qu’il pourrait presque être utilisé comme vêtement d’une jolie femme. Pour compléter ce message, les créateurs de la publicité l’ont donc accompagné du slogan ‘Black is Beautiful’.
Si l’initiative est manifestement d’abord passée inaperçue, elle est rapidement tombée sous l’oeil critique d’activistes afro-brésiliens.
« L’écrivain Anderson França, dans un post rapidement devenu viral sur sa page Facebook a dénoncé avec virulence la campagne de Santher. En voici les premières lignes:
« Black is Beautiful est le nom d’un mouvement créé par des intellectuels et artistes afro-américains dans les années 70 et qui a influencé de manière durable la façon de penser de millions de personnes à travers le monde. Dans les quartiers populaires, ce mouvement n’est pas seulement une référence à un état d’esprit.
Tapez ‘Black is Beautiful’ et dans n’importe quel endroit du monde, vous trouverez des références à Angela Davis, à Malcolm X, au Black Panther Party, à Fela Kuti, à James Baldwin, à Nina Simone, mais pas au Brésil. Dans le monde entier, des thèses, des dissertations, des films, des pièces de théâtre, des expositions artistiques et photographiques, de la musique, des discours politiques, diverses manifestations on ne peut plus sérieuses tournent autour de cette même expression : Black is Beautiful.
Cette expression, lorsque prononcée et répétée par des militants noirs des années 60, était sortie de la bouche d’une personne étouffant car écrasée par la botte d’un policier blanc à Montgomery. Elle sortait d’une bouche crachant du sang, blessée par des racistes du KKK en Caroline du Sud. Elle sortait avec énergie des poumons de jeunes qui chantaient Say it Loud, I’m Black, and I’m Proud au concert de James Brown la nuit de la mort du Révérend Martin Luther King, Jr.
Des gens sont morts pour que cette expression soit révérée jusqu’à ce jour. Des gens continuent à mourir et cette expression est plus importante et vitale qu’elle ne l’a jamais été.
Mais au Brésil, quand vous tapez #blackisbeautiful, vous trouverez du papier cul.
Du papier cul. Pour nettoyer le cul. Pour sécher la chatte. Pour sécher la peau.
Ce que vous utilisez pour nettoyer vos excréments, puis dont vous vous débarrassez avec dégoût.Ce que vous utilisez pour une chose : essuyer les excréments et sécher l’urine de sa peau avant de le jeter à la poubelle.
Si ce n’est pas une manifestation explicite de racisme et d’humiliation ethnique et criminelle, j’ai du manquer un épisode. »
Même en cherchant à se faire l’avocat du diable en faveur des créateurs de la publicité, il est difficile de ne pas les condamner. Contrairement au cas du couturier italien mentionné en introduction, l’expression Black is Beautiful n’a aucune signification propre dans la langue et la culture brésiliennes autres que celle connue dans le monde entier. Si l’anglais est la langue à la mode dans les milieux publicitaires du monde entier et que l’expression Black is Beautiful a effectivement une signification littérale indépendante du Mouvement pour les Droits Civiques, elle a clairement pris une signification idiomatique dans le monde entier, comme auraient pu le vérifier sur internet les créateurs de la publicité. Si ce n’est donc pas par racisme, c’est donc par un manque incroyable de sensibilité et d’empathie pour leurs compatriotes noirs, ou tout au mieux par une inexcusable ignorance que les créateurs de la publicité ont pu faire usage du slogan pour l’accompagner.
Toute référence au slogan a depuis été enlevée par l’agence Neogame et la marque Santher, qui se sont excusées auprès du public.
https://nofi.fr/2017/03/deguises-blackface-grand-sexe/36579