En France, la Secrétaire d’Etat chargée de l’égalité femmes-hommes Marlène Schiappa s’est exprimée au sujet d’un projet de loi criminalisant le harcèlement de rue. Fréquemment abordé ces dernières années dans les médias comme en dehors, ce comportement a souvent été associé, de manière officieuse, aux hommes noirs et d’origine maghrébine.
Par Sandro CAPO CHICHI / nofi.fr
Interviewée par nos confrères de Brut le lundi 25 septembre 2017, Marlène Schiappa, la Secrétaire d’Etat chargée de l’égalité femmes-hommes, a évoqué un projet de loi destiné à pénaliser la pratique du harcèlement de rue.
Schiappa a déclaré vouloir clarifier la ‘zone grise’ entre celles, bien définies, des agressions de rue déjà criminalisées, et de la séduction courtoise bien tolérée. Entre les deux se situeraient des comportements devant être condamnés, bien qu’ils ne le soient pour l’instant ni dans la loi, ni dans les esprits de beaucoup. Dans cette zone grise, Marlène Schiappa mentionne les hommes continuant à suivre des femmes ayant refusé une fois de leur parler, à dire des choses inappropriées, etc.
Le tabou du profil ethnique des harceleurs de rue en France
L’utilisation de cette image de ‘zone grise’ séparant le blanc de la séduction courtoise et le noir des agressions sexuelles est intéressante à un autre propos.
Pour de nombreux observateurs en effet, le harcèlement de rue serait très largement à mettre au crédit d’hommes noirs et maghrébins. La Belge Sofie Peeters, qui avait lancé la polémique sur le sujet du harcèlement de rue en 2012 avec son documentaire ‘Femmes de la rue’ avait par exemple déclaré que 95% de ses harceleurs bruxellois étaient d’origine étrangère.
Deux militantes françaises féministes contre le harcèlement de rue, Elsa Cardona et Anaïs Bourdet sont intervenues pour exprimer leurs craintes que la loi ne touche qu’une partie de la population:
« Le risque, c’est que ce soient toujours des hommes non blancs qui soient stigmatisés. »
Cette dernière sortie a suscité l’ire d’une partie de la presse située à la droite de l’échiquier politique comme Jack Dion de Marianne.
De même, le site Breizh-Info a rapporté l’agacement de jeunes Françaises à propos du tabou entretenu par certaines activistes féministes sur l’origine des harceleurs:
« Mais la réalité, c’est bien que c’est une certaine catégorie de la population, d’origine immigrée, qui est majoritaire que ce soit concernant les actes de terrorisme, de délinquance, et ici d’harcèlement de rue. » (…)« bien sûr, il y’a des gros lourds bien blancs. Mais si on évoque aujourd’ hui de plus en plus ce problème, c’est à cause de l’immigration. Quand ils viennent des pays arabes ou d’Afrique, ils n’ont pas la même vision de la femme que nous. Ils ne nous respectent pas, c’est un fait. «
N’étant pas une femme habitant une grande ville française, je ne peux confirmer ou infirmer cette assertion selon laquelle les Noirs et les Arabes seraient en grande majorité à l’origine de ce problème du harcèlement de rue.
Toutefois, j’aimerais soulever un certain nombre de questions relatives à cette identification.
Marlène Schiappa a distingué l’entrée en contact, dans l’espace public, d’un homme avec une inconnue, qui sera légale, d’une relance d’un homme vers une inconnue qui aura lui aura déjà manifesté son désintérêt et qui relèvera du harcèlement verbalisable. Les simples entrées en contact sans relance ultérieure ne sont donc pas des crimes. Pourtant, dans une vidéo désormais célèbre, la comédienne Marion Seclin avait déclaré ressentir comme du harcèlement les tentatives successives d’abordage de la part de différents hommes (pas nécessairement insistants) au cours d’une même après-midi par exemple. La distinction n’est donc pas si claire que l’on pourrait le penser.
J’aimerais savoir si 100% de ces abordages par des hommes noirs et maghrébins dénoncés par les témoignages de jeunes femmes blanches sur Breizh-Info comme du harcèlement seraient interprétés de la même manière par des femmes issues de différents milieux.
Ce que je me demande, c’est si la pratique de l’abordage de rue en général (qui débouche malheureusement souvent sur du harcèlement, mais pas toujours) est également rattachable en grande majorité aux Noirs et aux Maghrébins.
Si cet abordage de rue (qui inclut abordage respectueux et harcèlement) est perçu différemment selon le milieu social de la personne abordée.
Cela n’aurait pas nécessairement à voir avec la culture africaine ‘patriarcale’ dont ces femmes sont issues et à laquelle elles seraient ‘soumises’ mais plutôt à la réalité et aux préférences déterminées par leur milieu social.
Imaginons par exemple, Elisabeth, une jeune femme noire, qui a grandi dans une banlieue parisienne. Elle est sortie à plusieurs reprises avec des hommes l’ayant abordée dans la rue. Elle a baigné dans les cultures urbaines depuis sa jeunesse. Son idéal de beauté est un homme noir ou métisse et au style vestimentaire hip-hop.
Imaginons, de l’autre côté, Louise, une jeune femme blanche, qui a grandi dans un milieu très aisé. Elle n’est jamais sortie avec un inconnu lui ayant demandé son numéro dans la rue car dans son milieu d’origine, cela ne se fait pas. Elle écoute de la variété et de la pop music. Ses idéaux de beauté et de style sont Julien Doré et Ryan Gosling.
Imaginons maintenant que ces deux femmes se fassent aborder dans la rue par Olivier, un homme noir au style vestimentaire hip-hop, utilisant parfois ‘wesh’ dans ses phrases.
Ne peut-on pas s’attendre à ce qu’Elisabeth, parce qu’elle est déjà sortie avec des hommes l’ayant abordée dans la rue, parce que ses préférences et son expérience s’y prêtent davantage, considère a priori plus positivement l’abordage d’Olivier que ne le ferait Louise?
Ne peut-on pas s’attendre à ce que Louise, après s’être faite harceler par des Noirs et des Arabes à plusieurs reprises ne considère par extrapolation, que tous les Noirs et arabes au style vestimentaire urbain venant l’aborder par la suite ne sont nécessairement que des harceleurs?
Ne peut-on pas s’attendre à ce qu’Elisabeth, qui est déjà sortie avec des inconnus l’ayant abordée dans la rue, qui a déjà rencontré des hommes disant ‘wesh’ et au style hip-hop tout à fait aimables, ne le classe pas a priori moins facilement dans la catégorie des harceleurs mais plus facilement que Louise comme un partenaire potentiel?
En conclusion
Une nouvelle fois, je ne prétends pas être pleinement conscient de la réalité du harcèlement de rue subi par les femmes dans les grandes villes françaises. Je ne nie pas du tout la possibilité que les Noirs et Maghrébins soient très souvent à l’origine de ces comportements. Je me suis proposé dans ce papier de postuler que le degré d’association du harcèlement de rue à des Noirs et à des Arabes pouvait largement varier selon le milieu des femmes abordées. Il s’agit d’une hypothèse qui mériterait d’être étudiée, à défaut d’un cadre scientifique, dans celui d’ ‘expériences sociales’ à travers des micro-trottoirs.
Afin de mieux comprendre la réalité du harcèlement de rue, il me paraît important de prendre en compte les expériences de femmes de différents milieux à ce propos. Il n’y a à mon avis que de cette manière que pourra être déterminé ce qui relève, au delà du blanc et du noir, du harcèlement de rue.