Joséphine Baker (1906-1975) est souvent présentée comme le symbole de la tolérance française par rapport au racisme américain du début du vingtième siècle.
Par Sandro CAPO CHICHI / nofi.fr
Joséphine Baker fait partie des nombreuses personnalités noires américaines ayant choisi la France comme pays d’adoption, selon eux bien plus tolérante que leur Amérique natale.
Cette vision des choses, mise en avant à la fois du côté afro-américain que français, pose selon moi problème.
Mettre l’accent sur le traitement relativement positif accordé par la société française à Baker jette d’abord l’ombre sur le traitement bien moins favorable accordé aux autres populations noires du Paris de l’époque. Ce procédé obscurcit aussi la présence et la résistance d’activistes noirs anti-impérialistes au début du vingtième siècle.
Résultat, du côté afro-américain, l’activisme des Noirs de France du début du vingtième siècle reste totalement inconnu alors que du côté français, l’organisation de Noirs à Paris apparaît de nos jours comme résultant d’un communautarisme noir récent et étranger à l’histoire de France.
La réalité est pourtant que Joséphine Baker, dès son arrivée dans les années 20 à Paris y a coexisté avec d’autres Noirs africains et antillais soucieux de la condition des gens de leur couleur et qui sont loin de l’avoir considérée comme eur représentante dans le Paris d’alors.
Ainsi, en 1928, l’intellectuelle martiniquaise Jane Nardal écrivait au sujet de Baker dans son article intitulé ‘pantins exotiques’:
« Voilà que bondit en scène une femme de couleur, aux cheveux laqués, à l’étincelant sourire ; elle est bien encore vêtue de plumes ou de feuilles de bananes, mais elle apporte aux Parisiens les derniers produits de Broadway (Charleston, le Jazz, etc. ). La transition entre le passé et le présent, la soudure entre la forêt vierge et le modernisme, ce sont les Noirs américains qui l’accomplissent, et la rendent tangible »
(…)
« Et les artistes [blancs parisiens, NDLR], les snobs blasés trouvent en [Les artistes afro-américains de Paris] ce qu’ils cherchaient ; le contraste savoureux, pimenté, d’êtres primitifs dans un cadre ultramoderne de la frénésie africaine se déployant dans le décor cubiste d’une boîte de nuit. Ceci explique la vogue inouïe, l’enthousiasme soulevé par une petite capresse qui gueusait sur les trottoirs de St-Louis ».
En 1936, F. Merlin, un employé de la mairie d’Epinay sur Seine critiquait de manière virulente Baker, notamment pour son soutien appuyé à Benito Mussolini lors de son invasion de l’Ethiopie :
« Joséphine Baker, une femme noire qui soutient Mussolini, ne pourrait jamais recevoir un accueil chaleureux de la part des nationalistes nègres qui considèrent que la guerre en Ethiopie est une guerre destinée à détruire la race nègre » ajoutant que « dans tous les écrits de Joséphine Baker, on peut voir l’étendue de son mépris pour sa race ».
La même année, le militant anti-impérialiste malien Tiémoko Garan Kouyaté ne tenait pas un discours plus tendre à l’égard de Baker:
« Ainsi, la négrophobie notoire de Mademoiselle Joséphine Baker, elle-même noire, se permet de refuser du travail à 30 artistes noirs sans emploi. Ces derniers continueraient à accabler l’Etat en raison des caprices d’une célébrité aigrie à l’encontre de sa race, une agent de Mussolini. Nous devons mettre fin à ce scandale. Il existe des Nègres négrophobes comme il existe des Israélites antisémites. Mademoiselle Josephine Baker est l’une d’entre elles, même si elle a débuté en 1925 en compagnie d’artistes noirs humbles qu’elle méprise désormais. » (Ces propos de Merlin et de Kouyaté sont issus de mes traductions de leurs propos traduits en anglais par Jennifer Boittin).
Si cette hostilité de Merlin et de Kouyaté à l’endroit de Baker est vraisemblablement plus due à son manque de soutien pour la cause noire et sa naïveté politique, la mise en avant de Joséphine Baker et de son épanouissement dans la société parisienne du début du vingtième siècle ne doit pas cacher l’existence d’autres populations noires victimes du colonialisme français et qui se sont organisées pour s’en émanciper.
Références
Jennifer Boittin / Colonial Metropolis
Jane Nardal / Pantins Exotiques