L’Agence ghanéenne des produits alimentaires et médicamenteux a annoncé l’interdiction officielle de la vente de crèmes éclaircissantes au Ghana en raison des effets néfastes qu’elles ont sur leurs utilisateurs. Retour sur un phénomène aux racines plus complexes qu’il n’y paraît.
Par Sandro CAPO CHICHI / nofi.fr
La décision a été rendue publique mercredi 16 août 2017 par Madame Mimi Darko, la présidente par intérim de l’Agence, devant le Comité des Comptes Publics du Parlement ghanéen. Mimi Darko a déclaré que l’Agence des produits alimentaires et médicamenteux était actuellement engagée dans une campagne de sensibilisation auprès des commerçants au sujet des dangers des crèmes éclaircissantes. Le Président du Comité des Comptes Publics, M. James Avedzi, s’est réjoui des actions de l’Agence des produits alimentaires et médicamenteux à cet effet.
Un problème persistant en Afrique
En 2011, une étude de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) révélait les dangers du mercure présent dans nombre de crèmes éclaircissantes utilisées dans le monde. L’étude révélait que 77% des femmes nigérianes, 59% des femmes togolaises, 35% des femmes sud-africaines, 27% des femmes sénégalaises et 25% des femmes maliennes utilisaient régulièrement des crèmes éclaircissantes.
Un problème complexe
Le phénomène d’éclaircissement de la peau présent en Afrique est généralement analysé comme un effet de la suprématie blanche. En promouvant leur modèle de civilisation comme un idéal à travers le monde, les peuples d’origine européenne auraient également imposé leur modèle de beauté dans le cadre de la colonisation et de l’esclavage. C’est en essence ce que disait le musicien nigérian Femi Kuti à nos confrères d’al Jazeera en 2013, s’exprimant au sujet de l’éclaircissement de la peau:
Les femmes plus claires de peau que les hommes : un phénomène universel?
Si je ne peux nier l’influence de ce facteur dans le phénomène de dépigmentation des femmes noires dans le monde, on ne peut à mon avis pas négliger d’autres causes ‘autochtones’ à ce problème.
En premier lieu, de nombreuses études ont montré que les hommes étaient généralement plus foncés de peau que les femmes, et ce à travers le monde. Si on ne doit évidemment pas utiliser ces données pour justifier des pratiques de dépigmentation de la peau qui font souvent atteindre des degrés de blancheur extrême, il importe selon moi de le prendre en compte.
Un autre indice est accessible à travers la langue qui constitue, comme le disait l’égyptologue français Alain Anselin, « la boîte noire de toute civilisation ».
‘Peau rouge, peau blanche et peau noire en Afrique’
Dans de nombreuses langues d’Afrique, la clarté de la peau d’un Noir n’est pas rendue par le terme utilisé pour signifier la couleur de peau d’un Blanc. Souvent, elle est rendue par un mot qui se traduit par ‘rouge’. La couleur de la peau d’une personne d’origine européenne est rendue par un autre mot, souvent traduisible par ‘blanc’. Celle d’un Noir à peau sombre est rendue par un terme traduisible par ‘noir’.
C’est le cas chez les Fons de la République du Bénin. Le mot utilisé pour désigner la couleur d’un Noir à peau claire comme l’ancien Président Nicéphore Soglo sera vɔ̀ ‘rouge’.
En revanche, le terme utilisé pour désigner la peau d’une personne blanche ou volontairement dépigmentée sera plutôt wé ‘blanc’.
Le terme utilisé pour désigner un homme noir à peau sombre sera wì ‘noir’.
Si la préférence pour les peaux claires, dans la société fon, avait toujours été associée aux Européens, on comprendrait mal, dans la langue, que ce soit le mot vɔ̀ ‘rouge’ qui soit associé à l’attirance des hommes pour les femmes à peau claire et non le mot wè ‘blanc’. Cette attirance pour les femmes à ‘peau rouge’ semble anciennement ancrée chez dans la langue.
C’est ce que semble attester l’existence d’une chanson traditionnelle intitulée vɔ̄vɔ̄nɔ̰̄bakɛ̰̀ et qui met en garde les garçons de s’éprendre de jeunes femmes à la peau rouge à cause de la jalousie que cela entraînerait.
Plus intéressant encore, chez les Fons, la couleur rouge, vɔ̀, qu’elle fasse ou non référence à la couleur de la peau, est associée à l’attirance mais aussi au danger qu’elle suscite. Cette croyance semble être connue chez d’autres populations de la sous-région ce qui semble suggérer qu’elle remonte à un certain temps, précédant peut-être l’arrivée des Européens.
Une nouvelle fois, je tiens à préciser que je ne cherche en rien à légitimer l’éclaircissement de la peau auquel ont recours de nombreuses femmes à travers le monde. Il me semble toutefois que dans nombre de cas, ces pratiques ont été amplifiées par des croyances déjà existantes et qui font référence à la diversité de notre couleur de peau. Une diversité entre rouge et noir dont nous n’avons pas à avoir honte.
Références
Lorena Madrigal & William Kelly / Human Skin-Color Sexual Dimorphism: A Test of the Sexual Selection Hypothesis
Roberto Pazzi / L’Homme Eve, Aja, Gen, Fon et son Univers
Organisation Mondiale de la Santé / Le Mercure dans les produits éclaircissants pour la peau