Alors que le débat fait rage en France pour savoir s’il faut ou non déboulonner les statues d’esclavagistes, nous vous proposons un tour du monde de statues de négrophobes notoires mises à mal au nom de la lutte contre le racisme.
Les statues d’esclavagistes doivent-elles disparaître des rues françaises ?
Le 23 août 2017, le Conseil Représentatif des Associations Noires (CRAN) à qualifié les statues d’esclavagistes français de « statues de la honte » et a demandé leur remplacement. Le conseil représentatif des associations noires avait également pointé du doigt certains noms de rues. Pour le président, Louis-Georges Tin:
« Il faut décoloniser les esprits, c’est aussi cela la réparation » [1]
Louis-Georges Tin, le président du CRAN a notamment ciblé des grands noms de l’histoire hexagonale tels que :
- Jean-Baptiste Colbert, l’un des principaux ministres de Louis XIV, auteur du Code Noir promulgué en 1685 et qualifié par Louis Sala-Molins, professeur émérite de philosophie politique à Paris-I comme « le texte juridique le plus monstrueux qu’aient produit les Temps modernes« .
- La famille Gradis, famille juive séfarade d’origine portugaise et espagnole, installée à Bordeaux depuis la fin du 15e siècle. La « Maison Gradis » fut impliquée dans le traite des Noirs armant près de 5% des navires négriers de Bordeaux au 18e siècle et posséda même un temps l’île de Gorée [2].
- Depuis 1921, la maison Gradis se fait connaître sous le nom de Société française pour le commerce avec les colonies et l’étranger, en charge du commerce avec la France ultramarine.
- La société nantaise de commerce maritime créée en 1748 « Grou et Michel » qui fut l’une des plus importantes sociétés françaises de négoce. Son activité a grandement reposé sur le commerce d’esclaves.
- Jules Masurier, armateur havrais du 19e siècle qui fut un temps maire du Havre. Il a battit sa fortune grâce au trafic d’esclaves.
« Vos héros sont nos bourreaux. Dès lors, comment pouvons- nous vivre ensemble ? N’ y a-t-il pas un lien entre le piédestal où l’on met les esclavagistes, et le mépris social que subissent les descendants d’esclaves ? Est-il normal que les territoires d’Outre-mer où l’esclavage a été perpétré soient encore en 2017 les plus pauvres du pays tout entier ? Et qu’ils soient dominés par les descendants des esclavagistes ? Peut-on être à la fois la patrie des droits de l’homme, et la patrie des droits des esclavagistes ? » [3]
Ces revendications interviennent alors que de nombreuses statues de personnalités esclavagistes ont été déboulonnés aux Etats-Unis, suite à l’attentat de Charlottesville. L’iconographie esclavagiste y est plus que jamais combattue et les monuments et autres vestiges de l’époque de l’esclavage sont mis à bas. Malgré tout, le président Donald Trump s’est encore fendu, le 15 août, d’une déclaration à contre-courant, reprochant pour sa part que l’on s’en prenne à de grandes figures historiques américaines :
« Alors, cette semaine, c’est Robert E. Lee. J’ai remarqué que Stonewall Jackson est en train d’être retiré. Je me demande, si ce sera George Washington la semaine prochaine? Et Thomas Jefferson, ce sera la semaine suivante? Vous savez, on doit vraiment se demander, où est-ce que cela doit s’arrêter… [Jefferson] était un propriétaire d’esclaves majeur. Allons-nous abattre sa statue? «
Tour du monde des statues déboulonnées ou vandalisées
1° La statue du général confédéré Robert E. Lee à la Nouvelle-Orléans
Le 19 mai 2017 le Robert E. Lee Monument à la Nouvelle-Orléans, une statue historique dédiée au général confédéré Robert E. Lee, à été déboulonnée. Cette statue de 5 mètres de haut et de 3,2 tonnes rend hommage au Général américain connu pour avoir commandé l’Armée confédérée « pro-esclavage » de Virginie du Nord durant la guerre civile américaine de 1862 jusqu’à sa défaite en 1865. Ce monument inscrit au Registre national des lieux historiques en 1991 était l’un des 4 derniers monuments confédérés qui reste à la Nouvelle-Orléans.
Suite aux événements de Charlottesville, certains employés municipaux, ont recouvert d’une bâche noire la statue du général Lee afin de rendre hommage à la jeune femme assassinée alors qu’elle protestait contre le rassemblement de suprématistes blancs ce jour-là, le 12 août 2017.
2° Le Drapeau Confédéré du Capitole de Caroline du Nord
Il ne s’agit pas là d’une statue, mais de l’emblème des états esclavagistes sudistes et de la négrophopbie, particulièrement dans le sud des États-Unis. Ce symbole de haine avait été décroché du mat du capitole de Caroline du Nord où il flottait par Bree Newsome, une cinéaste, musicienne, conférencière et activiste afro-américaine, pour qui cette bannière est inextricablement liée aux exactions de l’esclavage.
Cette action s’inscrivait de plus dans le cadre d’une campagne visant à retirer le drapeau ainsi que d’autres icônes confédérées des bâtiments gouvernementaux qui a gagné en puissant après l’attentat racialement motivé à l’église épiscopale méthodiste africaine Emanuel de Charleston. Neuf afro-américains périrent par ce geste du suprématiste Dylan Roof, qui se revendiquait de ce drapeau.
Bree Newsome avait été arrêtée. Cependant, cette démarche de désobéissance civile avait eu tant d’impact que le gouvernement de Caroline du Nord fut dans l’obligation de retirer le drapeau polémique définitivement le 10 juillet 2015.
3° Le statue de Victor Schœlcher vandalisée en Martinique
Souvenez-vous, dans la nuit du 11 septembre 2013, la statue de Victor Schœlcher située dans le bourg éponyme avait été vandalisée. À leur réveille, les habitants de la commune avaient alors pu admirer le monument rendant hommage à l’homme politique français (que l’on crédite d’avoir offert la liberté aux esclaves noirs des colonies françaises via le décret d’abolition du 27 avril 1848) sans visage. Sur la statue détériorée, on pouvait lire des propos militants du type : « Honneur, dignité… Et reconnaissance pour nos ancêtres africains », « La liberté ne se donne pas elle se prend » ou encore « , c’était un franc-maçon (…)« .
La mairie avait déploré que l’on s’attaque ainsi à un élément du patrimoine schoelchérois et martiniquais, tout en rappelant que Victor Schoelcher représentait un symbole fort de cette Histoire et quelle était fière de porter le nom du célèbre abolitionniste. Ce qui ne fut pas du tout de l’avis des habitant de la commune.
http://nofi.fr/2017/05/noirs-doivent-remercier-victor-schoelcher-labolition-de-lesclavage/38699
4° La destruction de la stèle rendant hommage au premier colon de Guadeloupe
Le 29 mars 2015, la stèle, bâtie sur le site de la Pointe Allègre, à Sainte-Rose, en hommage à l’arrivée des premiers européens en Guadeloupe a été détruite par plusieurs personnalités et organisations anticolonialistes dont le LKP d’Elie Domota. Son installation avait provoqué l’indignation de nombreux guadeloupéens qui voyaient en cette stèle la célébration de l’esclavage notamment prolongée par les propos racistes tenus quelques jours auparavant par un descendant de ces premiers colons génocidaires et esclavagistes.
Pour le porte-parole du Liyannaj Kont Pwòfitasyon (LKP) cette stèle était considérée comme :
« un acte raciste, un profond mépris vis-à-vis des Guadeloupéens d’origine indienne et africaine, Respèkté gwadloupéyen! »
5° Le retrait de la statue de Cecil Rhode de l’Université du Cap
Le 9 avril 2015, la statue de Cecil Rhodes est retirée de son site du campus de l’Université du Cap en Afrique du Sud. Cette décision faisait suite aux revendications de « Rhodes must fall« (Rhodes doit tomber en français, NDLR), un mouvement de protestation étudiant initié le 9 mars 2015 à l’Université du Cap.
Tout commença lorsqu’un étudiant jeta des excréments humains sur la statue afin de dénoncer ce symbole de la suprématie blanche. Ce geste fit rapidement le buzz sur la toile et mobilisa de plus en plus de monde. La direction de l’université fut occupée par des étudiants se revendiquant de Steve Biko et de la Black Conciousness et de nombreuses manifestations virent le jour.
Le 27 mars 2015, la pression estudiantine était devenue si forte que l’université fut contrainte de voter en faveur du déboulonnage de la statue de Rhodes. Elle sera recouverte d’une bâche à la suite de cette décision avant d’être définitivement retirée. Les événements de l’Université du Cap feront des émules et des collectifs similaires verront le jour à l’Université de Rhodes, l’Université de Stellenbosch ou encore à l’Université de Pretoria. Par ailleurs, d’autres monuments glorifiant des figures majeures de l’Apartheid seront pris pour cible.
6° Le retrait de la statue de Gandhi du campus de l’Université du Ghana
En octobre 2016, la statue de Mahatma Gandhi, considéré comme le chantre de la non-violence et de l’amour de son prochain, a été retirée de l’Université du Ghana. C’est un collectif de professeurs et d’étudiants qui s’est mobilisé en faveur du déboulonnage de la statue offerte au gouvernement ghanéen par l’Inde en signe d’amitié. Une pétition dénonçant le racisme de Gandhi fut lancée, elle exigeait que la statue polémique soit démontée.
Cette controverse est venue du fait que dans ses écrits, Gandhi, qui a vécu en Afrique du Sud entre 1893 et 1914, faisait référence aux Noirs du pays en tant que « Kaffir », un terme péjoratif utilisé par les Blancs à cette époque, et les qualifiait « d’indigènes non civilisés ». Il dira notamment le 3 juillet 1907 :
« Les kaffir sont en règle générale non civilisés –, ils sont condamnés plus encore. Ils sont gênants, très sales et vivent presque comme des animaux. Chaque salle commune contient près de 50 à 60 d’entre eux. Ils commencent souvent les disputes et se battent entre eux. Le lecteur peut facilement imaginer le sort du pauvre Indien jeté en cette compagnie-là !«
Comme vous avez pu le constater tout au long de cet article, les revendications du CRAN ne sont pas un cas isolé et font, au contraire, écho à la volonté des populations africaines et afro-diasporiques d’imposer le respect et d’abattre les symboles racistes appartenant théoriquement à un âge révolu. Ainsi plutôt que de glorifier des hommes et des femmes ayant participé à opprimer l’Afrique et des ressortissants, que les pays au passé entaché de colonialisme et/ou d’esclavagisme devraient dorénavant suivre l’exemple de Montréal qui vient d’installer un buste de Toussaint Louverture, don de la communauté haïtienne, afin de léguer une image fière et positive de l’apport de la communauté haïtienne à la ville.
7° La statue d’Edward Colston à Bristol
Le 7 juin 2020, dans le cadre des manifestations ayant fait suite de la mort de George Floyd, des manifestants contre le racisme ont déboulonné une statue d’Edward Colston, un marchand d’esclaves et bienfaiteur de la ville. Certains ont notamment posé son genou sur son cou, en référence à la mort de George Floyd. La statue fut ensuite traînée dans les rues puis jetée à l’eau.
Notes et références
[1] David Ponchelet ~ « Faut-il déboulonner les statues des esclavagistes dans l’hexagone et Outre-mer ? » Outre-Mer 1ère, publié le 27 août 2017
[2] Éric Saugera ~ « Bordeaux port négrier« , publié en 2002
[3] « Vos héros sont nos bourreaux de Charlottesville a paris cessez de célébrer les esclavagistes« , Le Cran, publié le 23 aout 2017