[Côte d’Ivoire] une loi sur la parité comme solution à la sous-représentativité des femmes en politique ?

Par Sylvia Apata. La question de la présence des femmes au sein des instances politiques africaines reste un problème de société plus que jamais actuel. Si certains pays prennent les devants en faisant entrer dans la législation des quotas d’intégrations pour ces dames, d’autres ne semblent pas prêts à faire cet effort. Le rôle traditionnel et culturel de la femme en Afrique est l’un des facteurs qui bloquent encore son accès à des fonctions à responsabilité, surtout dans le domaine du commandement du pays. Sylvia Apata, juriste ivoirienne, s’est intéressé au sujet, dans son pays, en soulevant un point capital. Car volonté ou non, légiférer ne suffit pas toujours à inciter à l’évolution des mentalités. En effet, une loi sur la parité permettra-t-elle de résoudre efficacement le problème de la sous-représentativité des femmes dans les instances décisionnelles ?

Estimées à 49% de la population Ivoirienne selon le rapport de recensement démographique de 2014, les femmes quoique instruites et présentes dans tous les secteurs d’activités comme les hommes, sont très peu représentées dans les instances décisionnelles. En politique, les femmes demeurent la cheville ouvrière des partis dans la mise en œuvre des stratégies et directives en ce sens qu’elles sont les plus grandes mobilisatrices de partisans sur le terrain. Aussi constituent-elles une clientèle électorale importante vu que les femmes participent aux différentes élections à un taux plus élevé que les hommes. Malgré cet état de fait, elles parviennent difficilement à se hisser au sommet après 55 ans d’indépendance de la Côte d’Ivoire. En effet, depuis la première législature datant de 1959 à 1960, jusqu’en 1970, aucune femme n’avait siégé au parlement sur un total de 233 députés. Ce n’est qu’à partir de la 4 ème législature, en 1971, que trois femmes firent leur entrée au parlement ivoirien sur 101 députés. Leur nombre s’est alors accru au fil des années avec quelques digressions.

Cette sous-représentativité des femmes se perçoit également dans les postes nominatifs : les gouvernements qui se sont succédés entre 1961 à 2017 ont compté peu de femmes. Ainsi, de 1961 à 1974, aucune femme n’était ministre. De 1976 à 1981 et de 1986 à 1989, les gouvernements n’avaient compté qu’une seule femme ministre en leur sein. À partir de 1990, trois femmes font leur entrée au gouvernement. Par la suite, les chiffres se chevauchaient entre 2 et 3 jusqu’en 2000 où le nombre de femmes ministres atteint le chiffre de 4 sur 25 ministres. Puis, sur une trentaine de ministres des différents gouvernements qui se sont succédés, les chiffres sont restés entre 5 et 6 jusqu’en 2015 où 9 femmes sont nommées ministres sur un total de 36 postes. Enfin, le gouvernement Ivoirien de 2017 compte à ce jour 6 femmes sur un total de 28 postes ministériels soit un pourcentage de 21% comparé à 2015 qui était de 25%. Nous ferons l’économie des autres nominations (diplomatie, administrations publiques, EPN, EPA, Préfectures et Départements) où la situation est encore très peu enviable.

Parlement rwandais

Qu’est ce qui explique cet état de fait ?

Malgré l’évolution de la société, les barrières culturelles et barrières au sein des partis politiques persistent constituant ainsi des entraves à la représentativité des femmes. Ce sont entre autre : le poids des préjugés et perceptions culturelles qui astreignent le rôle de la femme à l’arrière-plan : « La femme ne doit pas commander. Ce sont les hommes qui commandent naturellement. », «Les femmes ne seraient pas assez ambitieuses, n’auraient pas les qualités requises pour être de bons politiques… ». Là où se concentrent le pouvoir et les influences, les préjugés ont la dent dure. Le manque de promotion des candidates, difficultés pour les femmes à obtenir une position éligible, le système électoral qui limite le renouvellement du personnel politique, le manque de formation en leadership féminin, le manque de moyens financiers et de réseau de solidarité. À ce propos, il faut noter que les réseaux de pouvoir sont souvent informels, ils s’appuient sur des relations et des vecteurs d’influence établis de longue date, ils restent inaccessibles aux nouveaux-venus et en particulier aux femmes. Au vu de ces différents facteurs, les un(e)s et les autres jugent alors de la nécessité de l’instauration d’une loi sur la parité en Côte d’Ivoire qui à travers l’imposition de quotas permettront de résoudre ce problème de la sous-représentativité des femmes. Selon l’Union interparlementaire, au 1er novembre 2015, parmi les 20 pays comportant le plus de femmes au sein de leur parlement, 7 sont des pays africains : le Rwanda (64% de femmes élues au sein de la Chambre des députés, soit 51 sur 80 sièges), le Sénégal (près de 44% de femmes élues sur les 150 sièges de l’assemblée), l’Afrique du sud (42,3%), la Namibie (46 femmes élues à l’assemblée nationale pour 56 hommes pour la dernière législature), le Mozambique (39,2%), l’Angola (38,2%) et l’Éthiopie (27,8%). D’autres pays sont bien moins classés comme le Bénin et le Nigéria, respectivement 7,2% et 5,6%. Ainsi, ces 7 pays qui enregistrent ces différents pourcentages ont adopté dans leur législation, une loi sur la parité incluant le quota.

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Quotas et parité

Définie comme l’égalité quantitative garantie pour l’accès à certaines fonctions électives, la parité est un concept qui se présente comme une « demande d’égalité » et comme « la reconnaissance d’une altérité socialement construite ». Elle échappe au dilemme classique que soulève la citoyenneté des femmes en démocratie : choisir entre l’égalité et la prise en compte de la différence sexuelle. Cependant, elle n’est pas équivalente à un quota : « ce n’est pas 50% – 50%, écrit Eliane Vogel-Polsky. On exige la parité au nom de l’égalité de statut, et non pas au nom de la représentation d’une minorité ». La parité est votée à titre définitif alors que le quota est, en principe, une mesure transitoire. Le quota est donc un pourcentage ou un contingent (limite quantitative fixée par une autorité publique pour l’exercice d’un droit ou la participation à une charge) déterminé imposé ou autorisé. Il repose sur l’idée que les femmes doivent être présentes, selon un certain pourcentage, dans les divers organes de l’État, que ce soit sur les listes de candidatures, dans les assemblées parlementaires, les commissions ou le gouvernement ainsi que dans les entreprises. La représentation paritaire des femmes et des hommes à la vie politique est pour ainsi dire, l’un des fondements de la démocratie. « Il ne saurait y avoir de démocratie sans un véritable partenariat entre hommes et femmes dans la conduite des affaires publiques où hommes et femmes agissent dans l’égalité et la complémentarité, s’enrichissant mutuellement de leurs différences » peut-on lire dans la Déclaration universelle sur la démocratie (1997). Les quotas en faveur des femmes sont des mesures temporaires exceptionnelles, encouragées par les Conventions Internationales notamment la Convention sur l’Élimination contre toutes les formes de Discrimination à l’égard des Femmes (CEDEF) ratifiée par la Côte d’Ivoire le 18 décembre 1995.

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Leur réalisation est donc et avant tout une véritable question de volonté politique. En cela, le Chef de l’État de Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara, a dans sa volonté de faire respecter le genre, intégré dans la Constitution Ivoirienne de 2016, la parité pour la promotion des droits politiques de la femme et sur le marché du travail en ses articles 36 et 37. Ce qui est à saluer dans la mesure où la Constitution de 2000 ne la prévoyait pas. Toutefois, au regard de la réalité des faits qui laissent entrevoir des obstacles sévères à la promotion des droits politiques et économiques des femmes, l’adoption d’une Loi sur la parité incluant le système de quota suffira-t-elle à résoudre efficacement ce problème de la sous-représentativité des femmes ??? Si les quotas sont un meilleur moyen de promouvoir la représentativité des femmes dans les instances décisionnelles, l’une des plus grandes difficultés, des problèmes majeurs de ces dernières en politique est le manque de soutien financier au sein des partis politiques pour mener à bien leurs campagnes électorales. En effet, les femmes disposent généralement de moins de ressources financières que les hommes pour entrer en politique. D’où la nécessité pour l’État de prendre des mesures incitatives comme la mise en place de fonds spéciaux à mettre à la disposition des femmes candidates pour les aider à couvrir les frais liés à leur campagne. À cela s’ajoute le choix des modes de scrutin qui est un point déterminant pour assurer leur élection. Car, une chose est de permettre aux femmes de se présenter aux différentes élections, une autre est de leur assurer la victoire !

Scrutins majoritaires et scrutins proportionnels

On distingue généralement le scrutin majoritaire – qui peut être uninominal ou plurinominal – et le scrutin proportionnel. En moyenne, selon l’Union Interparlementaire, en 2012, les scrutins proportionnels ont permis d’élire 25 % de femmes au Parlement. En Europe, on observe que la très grande majorité des États membres de l’Union européenne utilisent la représentation proportionnelle de liste pour élire leurs députés. Dans ce type de scrutin, les électeurs votent pour un parti et parfois pour des personnes, et les sièges sont répartis proportionnellement aux suffrages recueillis par les différents partis. On y distingue : les listes bloquées1 , les listes ouvertes2 et les listes libres3 . Ce système encourage les partis à rassembler davantage en incluant des femmes sur leurs listes. La représentation proportionnelle est aussi le système qui se prête le mieux à l’application des quotas. En revanche, le scrutin majoritaire permet d’attribuer un (scrutin uninominal) ou plusieurs (scrutin plurinominaux) sièges à celui ou ceux qui ont obtenu le plus de voix. Avec les scrutins majoritaires, les femmes ont plus de mal à accéder aux fonctions électives. En 2012, elles ont remporté 14 % des sièges à pourvoir au scrutin majoritaire. Le scrutin majoritaire uninominal demeure un système préjudiciable à la parité en ce sens qu’une présentation d’un nombre égal de candidates et de candidats ne garantit en rien une issue paritaire de l’élection. On constate également que souvent, les candidates sont désignées dans des circonscriptions particulièrement difficiles et n’ont donc que peu de chance d’être élues. Il existe aussi des scrutins majoritaires plurinominaux de liste qui attribuent tous les sièges à la liste arrivée en tête (comme lors de la désignation des grands électeurs pour la présidentielle américaine).

Chantal Fanny, maire de la commune de Kaniasso, candidate aux législatives de 2016 et classée dans le top 10 des femmes africaines les plus influente sur le continent et dans le monde

Ce mode de scrutin reste peu utilisé car l’amplification de la victoire est alors très forte. En Côte d’Ivoire, l’article 68 du Code électoral prévoit que l’élection des députés à l’Assemblée Nationale se fait au suffrage universel direct et au scrutin majoritaire à un tour via le scrutin de liste majoritaire bloquée à un tour. Lequel choix de scrutin ne favorise pas dans les faits, l’élection des femmes aux postes électifs. Au choix du mode de scrutin favorable à l’élection des femmes, s’ajoute la promotion de l’accès des femmes aux responsabilités pour les postes auxquels on accède par nomination où beaucoup reste encore à faire à ce niveau. Dans une démocratie, la gestion de la chose publique étant l’affaire de tous les citoyens et de toutes les citoyennes, il convient d’en tenir compte dans les nominations par la redistribution équitable des responsabilités. Cela en vue du respect des règles de la démocratie qui induit la promotion des droits politiques et économiques des femmes.

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Les pays africains réputés pour leur succès grâce aux quotas, bien que certains aient opté pour un scrutin majoritaire, ont dans leur lois sur la parité, mis en place des sanctions comme la disqualification du processus électoral des partis politiques dont les listes aux différentes élections ne comporteraient pas le même nombre d’hommes que de femmes. C’est l’exemple du Sénégal. La Namibie à quant à elle adopté comme mode de scrutin, un scrutin proportionnel plurinominal. Depuis 2010, chaque parti politique est obligé de présenter une liste avec un nombre égal d’hommes et de femmes candidats. De même, chaque ministre homme est tenu de choisir une femme en tant que vice-ministre. Il en va de même pour les suppléants : là où un homme est mis en avant, une femme doit suivre et inversement. Le Rwanda est aujourd’hui proche d’atteindre la parité de genre au niveau de son parlement, notamment  grâce à une consécration de la parité dans sa constitution mais aussi à la reconstruction sociale après le génocide de 1994. En France, pendant environ une vingtaine d’années, le taux de représentativité des femmes à l’Assemblée nationale est resté très bas. Ainsi en 2000, la Loi relative à l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives, dite « loi parité hommes-femmes » a été votée.

De la volonté de voir la femme représentée en politique

Bien qu’ayant participé à rehausser quelque peu le taux de représentativité des femmes, ladite Loi française n’avait guère amélioré le problème de la sous-représentativité des femmes à l’Assemblée Nationale. Ce, du fait de la sanction pécuniaire aux partis politiques en cas de non-respect de la parité sur leurs listes. Ces partis avaient préféré payer les amendes plutôt que de proposer des femmes aux législatives. Il aura fallu dix-sept ans après l’adoption de cette Loi pour qu’en juin 2017, 224 femmes fassent leurs entrées au parlement français sur un total de 577 Députés soit 38,8%. Au terme donc de l’analyse du problème de la sous-représentativité des femmes Ivoiriennes dans les instances décisionnelles, il convient de retenir que l’égalité politique réelle ne peut être garantie sans « égalité participative » (participatory equality) comme le souligne Anne Phillips (1995). Le vrai moteur de changement est pour ainsi dire la volonté politique de féminiser le monde politique. Un système de quota ne peut donc s’établir sans la volonté des partis politiques d’encourager l’élection de femmes. Si cette volonté existait réellement, il n’y aurait pas de besoin de quotas. Mais comme elle peine à être perceptible, les quotas peuvent suppléer la forte volonté politique nécessaire. Ainsi, pour une meilleure efficacité, la probable Loi sur la parité en Côte d’Ivoire devra faire obligation aux partis politiques de présenter le même nombre d’hommes que de femmes sur leur liste sous peine de disqualification du processus électoral.

Anne-Désirée Ouloto, ministre ivoirienne de la salubrité, de l’environnement et du développement durable Crédit photo: Magiknews

 

 

 

 

Le recours à la loi peut cependant donner des cadres institutionnels mais si les mentalités et les pratiques au quotidien ne changent pas, rien ne change. C’est pourquoi la législation seule ne suffit pas : il faut que ces mécanismes soient étayés par l’évolution de la société, les réformes politiques et l’autonomisation, de façon à rendre ces mesures superflues. En plus d’assurer son application effective après son adoption, nous recommandons des mesures d’accompagnement en termes de mesures incitatives visant à l’instauration de fonds spéciaux pour aider financièrement les femmes en politique qui doivent être prise par le Président de la République de Côte d’Ivoire. La mise en place des fonds spéciaux de promotion du leadership féminin dans la gouvernance sont véritablement des outils favorisant la présence des femmes dans les postes électifs comme le recommande l’Union Interparlementaire dans son rapport Parlements sensibles au genre, études mondiales de bonnes pratiques (2011). Egalement, des formations en renforcement de capacité des femmes en politique sont impératives pour l’atteinte d’une égalité en droits entre les hommes et les femmes. Par ailleurs, le volet politique n’étant pas le seul où la sous-représentativité des femmes se fait ressentir, ladite loi sur la parité doit prendre en compte des quotas à respecter dans les nominations des postes relatifs à la gestion de la chose publique. À cela s’ajoute le problème du chômage des femmes dont le taux est beaucoup plus élevé chez elles que chez les hommes. Des quotas doivent de ce fait être imposés aux entreprises sous peine de fermeture ou de dissolution.

Par Sylvia Apata.

 

Notes

1 Les partis politiques déterminent l’ordre dans lequel leurs candidats se verront attribuer des sièges éventuels, et l’électeur approuve l’intégralité de la liste sans pouvoir modifier cet ordre.

2 Avec les listes ouvertes, l’électeur peut exprimer sa préférence pour des candidats particuliers, modifiant ainsi l’ordre de placement sur la liste (panachage). On peut citer les élections en Vallée d’Aoste où les voix sont attribuées à des listes de candidats concurrentes : l’électeur peut exprimer sa préférence exclusivement pour des candidats de la liste qu’il vote. Le nombre maximum de préférences est fixé à trois.

3 Les listes libres (plus anecdotiques) : l’électeur peut même choisir entre des candidats de différentes listes.

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