Malgré l’image répandue dans les médias d’une Afrique comme un haut-lieu atemporel de la victimisation des femmes, les femmes de ce continent ont par le passé souvent usé de stratégies pour combattre les violences conjugales.
Par Sandro CAPO CHICHI / nofi.fr
La violence domestique est un terme qui désigne l’ensemble des violences pouvant se produire à l’intérieur d’un foyer. Ce terme inclut la violence conjugale, qui désigne spécifiquement la violence commise par une personne à l’endroit de son partenaire ou conjoint. En République de Guinée, une étude récente a conclu que 80% des femmes guinéennes avaient déjà été victimes de violences domestiques. Ce genre de statistiques inquiétantes, qui sont loin d’être uniques à la Guinée en Afrique , peuvent laisser penser que les femmes africaines sont toujours restées passives face à ce genre d’agressions et l’ont toujours accepté. On va voir plus bas que c’est loin d’avoir été le cas.
Non, nos mamies n’étaient pas des victimes
En République de Guinée particulièrement, des femmes ont élaboré des stratégies de résistance aux violences conjugales. Traditionnellement, dans le groupe ethnique soussou par exemple, lorsqu’une femme était maltraitée par son conjoint, d’autres femmes se réunissaient et attaquaient publiquement et verbalement le coupable avec des chansons à paroles explicites remettant en question sa virilité.
Lors de la révolution guinéenne, c’est dans ces traditions que puisèrent les femmes du Rassemblement Démocratique Africain de Sékou Touré pour provoquer leurs rivaux, accusés de collaboration avec le régime colonial. La chanson suivante, élaborée durant cette période, cible Barry Diawadou et son père, tous deux accusés de collaboration avec le régime colonial français et de corruption:
« Le pénis du père de Barry Diawadou
Le pénis du père du saboteur
Barry Diawadou a quitté Conakry
Il est parti en France
Là-bas il a vu la circoncision de son père
Sékou Touré est toujours en tête! »
Toujours en Guinée, dans la région forestière cette fois, lorsqu’une femme était victime d’abus de la part de son mari, d’autres femmes de la communauté se rassemblaient, habillées en guerriers et armées de couteaux qu’elles appelaient ‘des coupeurs de pénis’ elles se rassemblaient devant la maison du coupable et la défonçaient à coup de bâtons.
C’est à peu près le même type de pratique que l’on retrouvait traditionnellement chez les femmes igbo du Nigéria. Lorsqu’une femme du village se plaignait d’avoir été battue par son conjoint, les femmes du village s’habillaient comme des hommes en tenue de guerre, se rassemblaient devant la population de la personne incriminée, chantaient des chansons insultant sa virilité et saccageaient sa maison. C’est dans ces pratiques qu’étaient enracinées la grande insurrection des femmes Igbo de 1929, que mon collègue Makandal Speaks a décrit comme « la plus grave défiance à la domination britannique de l’histoire de la colonie. »
Dans un photo-reportage particulièrement émouvant, le journaliste allemand Siegfried Modola documente comment des jeunes filles du groupe ethnique pokot (Kenya) sont enlevées contre leur gré de leur maison familiale pour être excisées et mariées de force.
Dans ce groupe même ethnique pokot, les femmes avaient aussi mis en place des stratégies pour répondre fermement aux violences conjugales. Lorsque c’était le cas, les femmes du village lançaient de véritables expéditions punitives la nuit, chez le coupable. Elles l’enlevaient, l’attachaient à un arbre couvert d’épines, le frappaient avec des bâtons, allant parfois jusqu’à uriner ou à déféquer sur lui, voire le menacer de mort jusqu’à ce que sa femme vienne implorer leur pardon.
Et si ces stratégies sont extrêmes, elles montrent la violence que nos mères, nos grand-mères et nos arrière grand-mères ont du endurer pour y répondre de cette manière. Et qu’en mémoire de leur sang qui a coulé lors de ces violences, ce même sang qui continue à couler dans nos veines, nous nous devons, hommes et femmes, de combattre sans relâche les violences conjugales.
Références
Shirley Ardener / Sexual Insult and Female Militancy
Elizabeth Schmidt / Mobilizing the masses