Jay-Z dénonce le racisme aux États-Unis dans son clip « The Story of O.J. »

Le clip « The Story of O.J.«  met en scène une version cartoon de Jay-Z évoluant dans un univers inspiré par les anciennes caricatures négrophobes américaines …

« 4:44, le 13e album solo de Jay-Z « 

Avec son clip « The Story of O.J.« , sorti peu de temps après son nouvel album 4:44, déjà disque de platine [1], Shawn Corey Carter alias Jay Z s’en est prit directement aux représentations négrophobes de l’histoire américaine. Répondant aux questions de iHeartRadio au sujet de son nouvel album et notamment de « The Story of O.J. » Jay Z a déclaré :

« The Story of OJ » est vraiment un titre à propos de nous, de notre culture, du plan que nous avons mis en place et la façon dont nous allons le développer et le mettre en avant. […] On fait tous de l’argent et on perd tous de l’argent, plus encore en tant qu’artistes. Mais comment faire, à partir du moment où vous rencontrez un certain succès, pour le concrétiser et le rendre encore plus grand ?. [2]

Voici le clip :

« The Story of O.J. », un clip engagé

Le clip est en fait un dessin animé retraçant la longue tradition de cartoons négrophobes ayant ponctué l’histoire américaine. Jay-Z y dénonce clairement les dessins racistes de Fleischer Studios, Warner Bros ou encore Disney. Jay-Z apparaît dans la vidéo sous les traits d’un personnage de dessin animé nommé Jaybo. Ce nom fait référence à la fois :

  • aux livres et dessins animés racistes The story of Little Black Sambo
  • à Dumbo, un film de Disney qui comporte un bon nombre de caricatures négrophobes
À gauche, un « nègre de maison » inspiré de Stephen dans « Django Unchained ». À droite, la représentation de Nina Simone dans « Four Women« .

Ainsi, nous pouvons voir dans ce clip, Jaybo déambulant dans les rues de Brooklyn et utilisant les paroles de « The Story of OJ » pour dénoncer les stéréotypes négrophobes tels que la grosse mamie noire toujours souriante, les pickaninnies [3] ou les Nègres de maison, façon Oncle Tom. De plus, le clip mélange avec brio des images plus réalistes d’enchères d’esclaves, de la Ségrégation, de lynchages et de croix en feu symbole des violences du Ku Klux Klan.

Dénonciation de la caricature de ce personnage de grosse femme noire, allégorie de la soumission de la bonne domestique noire à ses maîtres blancs.

D’autres images font quant à elles directement écho à d’anciens cartoons racistes. Par exemple, lorsque Jaybo mange une pastèque, cela ressemble beaucoup à la scène du dessin animé négrophobe, Scrub me Mamma with a Boogie Beat. Les connaisseurs auront sans doute reconnu le sample de la chanson « Four Women » de Nina Simone, dans laquelle l’artiste engagé raconte l’histoire de 4 femmes noires aux teintes de peau différentes. À travers les paroles, Nina Simone nous expliquait que peu importe que l’on soit riche ou pauvre, clair ou foncé, l’appartenance raciale a bien plus d’importance au USA. Gardez cela en tête, car ça prendra tout son sens par la suite.

À gauche, Jaybo du clip « The Story of O.J. » et à droite, une représentation raciste d’un noir, issue de « Scrub Me Mama with a Boogie Beat », réalisé par Walter Lantz Productions et distribué par Universal Picturres.

Des paroles sans concessions

Vous ne l’aviez peut-être pas remarqué, mais le titre de la chanson fait directement référence à O.J. Simpson, l’ancien joueur de football américain, accusé et innocenté pour le meurtre de son ex-femme Nicole Brown Simpson. Son procès avait été considéré comme « le procès du siècle » en raison de l’énorme engouement de l’opinion publique pour ce scandale vécu comme racial, ainsi que des relations tendues entre la communauté noire de Los Angeles et la police.

D’ailleurs, durant l’interlude, Jay-Z incrimine sans ambages O.J Simpson :

O.J. like, « I’m not black, I’m O.J. » …okay / O.J est du genre, « Je ne suis pas noir, je suis O.J ». [4]

Caricature d’O.J Simpson déclarant : « Je ne suis pas noir, je suis O.J« .

Le refrain, quant à lui ne laisse aucun doute sur le message que Jay-Z veut transmettre à son public :

« Light nigga, dark nigga, faux nigga, real nigga / Nègre clair, nègre foncé, faux nègre, vrai nègre
Rich nigga, poor nigga, house nigga, field nigga / Nègre riche, nègre pauvre, nègre de maison, nègre des champs
Still nigga, still nigga / Toujours un Nègre, encore un Nègre » [5]

Vous avez remarqué ? Le premier adjectif de chaque paire (clair, faux, riche et « de maison« ) pourrait représenter les traîtres de la communauté obnubilés par la blancheur, tandis que les seconds adjectifs feraient référence aux noirs plus authentiques (foncé, vrai, pauvre, et « des champs« ). Quoi qu’il en soit, les 2 catégories resteront toujours noires pour Jay-Z, même s’il semble préférer la seconde catégorie. Ne dit-il pas « I like that second one » ? Le débat est ouvert.

À gauche, le lynchage de Thomas Shipp et Abram Smith, à droite la représentation de Jay-Z

Le message semble donc limpide, pour Jay-Z, peu importe à quel point un(e) noir(e) est célèbre, l’Amérique le verra toujours comme un sous-homme. Jay-Z l’a d’ailleurs clairement explicité en commentant la vidéo :

« Nous avons tendance, en tant que noirs (parce que nous n’avons jamais rien, ce qui est compréhensible), lorsque nous arrivons dans un endroit, nous pensons simplement que nous nous séparons de notre culture. […] Quand Tiger Woods arrive dans un endroit et pense : « Je suis au-dessus de ma culture » cette même personne, quand elle joue au golf et joue bien, est protégée et quand elle ne l’est pas, ils vous imagineront une conduite en état d’ébriété et, comme pour vous embarrasser, et le monde vous mâchera et vous recrachera. » [6]

Les propos de Jay-Z sont dans la même veine que ceux de Lebron James lorsqu’il a déclaré :

« Peu importe combien d’argent vous avez, à quel point vous êtes célèbre, peu importe combien de personnes vous admirent, être noir en Amérique, c’est difficile. » [7]

Ou comme l’ancien collaborateur de Jay-Z, Kanye West l’a déjà dit:

« Même si vous êtes dans un Benz, vous êtes toujours un nègre dans une décapotable. »

Caricature de huey P. Newton le co-fondateur du Black Panther Party. Ce dernier avait déclaré : « Je n’attends pas que les medias blancs créent des images positives de l’homme noir.« 

Notes et référence :

[1] Benmorin ~ « L’album 4:44 de Jay-Z déjà certifié disque de platine !« , Booska-P, publié le 5 juillet 2017

[2] Nicole Mastrogiannis~ « JAY-Z Explains ‘4:44’ Song Meanings | iHeartRadio Album World Premiere« , iheart.com, publié le 30 juin 2017

[3] Le terme Pickaninny est un mot d’argot américain faisant référence aux jeunes enfants noirs. C’est un terme négrophobe et humiliant, popularisé à l’époque où l’esclavage était légal. Pickaninny  est un mot pidgin dérivé de pequenino  (« petit » en portugais).

[4] Selon le documentaire de 2016, Made in America ainsi que The People v. O.J., O.J. Simpson aurait prétendument prononcé cette phrase au cours de son procès, bien qu’il n’y ait aucune preuve substantielle.

[5] « The Story of O.J.« , genius.com

[6]  Footnote special, tidal.com

[7] German Lopez ~ « LeBron James: “no matter how much money you have … being black in America is tough”« , vox.com, 1er juin 2017

Mathieu N'DIAYE
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N’Diaye, aussi connu sous le pseudonyme de Makandal, est un écrivain et journaliste spécialisé dans l’anthropologie et l’héritage africain. Il a publié "Histoire et Culture Noire : les premières miscellanées panafricaines", une anthologie des trésors culturels africains. N’Diaye travaille à promouvoir la culture noire à travers ses contributions à Nofi et Negus Journal.

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