La CEDEAO est-elle soumise à la volonté de limitation des naissances de Macron ?

Samedi 22 juillet 2017, lors de la rencontre régionale sur la démographie, les parlementaires de la Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) réunis à Ouagadougou ont déclaré vouloir limiter le nombre d’enfants à 3 par femmes. Une décision conforme à la volonté d’Emmanuel Macron, mais qui menacent la vision de la famille africaine traditionnelle, ne laisse pas indifférente.

Plan de route néo-malthusien de la CEDEAO

Bien qu’Emmanuel Macron ait provoqué un véritable tollé suite à sa déclaration sur la démographie africaine, les 15 pays membre de la CEDEAO ainsi que la Mauritanie et le Tchad n’ont rien trouvé de mieux à faire que de se fixer pour objectif de baisser de 50% leur taux de fécondité. Le président de la République française s’en prenait pourtant ouvertement aux utérus des femmes africaines, en les rendant directement responsable de l’instabilité économique de leurs pays :

«Des pays ont encore sept à huit enfants par femme. Vous pouvez décider d’y dépenser des milliards d’euros, vous ne stabiliserez rien.» [1]

 

Contre toute attente (pas tant que cela en réalité) et en dépit, à la fois de la vérité factuelle de la démographie africaine ainsi que des valeurs fondamentalement vitalistes du continent, le président du Parlement burkinabè, Salifou Diallo à affirmé que :

« Les parlementaires de la Cedeao, de la Mauritanie et du Tchad ont convenu que, d’ici 2030, les parlements devaient inciter les gouvernements à mettre en place des politiques tendant à faire en sorte que chaque femme (…) ait au plus 3 enfants pour maîtriser le boom démographique » [2]

Dans la lignée de la doctrine néo-malthusienne [3], pour laquelle la limitation des naissances est un droit et un devoir humain, les parlementaires vont œuvrer, toujours selon M. Diallo, afin de :

« faciliter un déclin rapide, volontaire, de la fécondité grâce à l’accès universel à la planification familiale, l’augmentation du niveau d’éducation des femmes et le renforcement des efforts pour améliorer la survie de l’enfant ». [4]

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Pourtant, d’après le puissant proverbe des Bahunde, ce peuple d’Afrique centrale établi au centre-est de la République démocratique du Congo, près du lac Kivu et de la frontière rwandaise, selon lequel « il n’y a pas d’enfant indésirable« .

La réalité démographique factuelle

La population africaine s’est fortement accrue au cours du XXe siècle [5]. Deux phénomènes accompagnent ce boom démographique :

  • la grande proportion de jeunes dans la population du continent
  • une faible espérance de vie (moins de 50 ans dans certains pays africains) [6]

La population a été multipliée par 2 entre 1982 et 2009 [7] et par 4 entre 1955 et 2009, selon les estimations des Nations Unies [8]. Dès 2013, la population totale d’Afrique est estimée à 1,1 milliard, représentant environ 15% de la population mondiale. Selon l’ONU, la population africaine pourrait atteindre près de 2,5 milliards d’individus d’ici 2050. Cela représenterait environ 26% de l’Humanité. De plus, d’ici 2100, l’organisation internationale estime à près de 4,4 milliards la population du continent. Cela représenterait alors environ 39% de la population mondiale [9].

Cependant, plusieurs facteurs viennent contrebalancer cette croissance rapide et régulière.

Dans un premier temps, il convient de rappeler l’Afrique est loin d’être le continent le plus densément peuplé sur Terre [9] :

  • Afrique : 36,4 hab./km2
  • Amérique du Nord : 22,9 hab./km2
  • Amérique du Sud : 21,4 hab./km2
  • Asie : 87 hab./km2
  • Europe : 72,9 hab./km2
  • Océanie : 4,19 hab./km2

Bien que l’on prétende régulièrement que l’Afrique soit surpeuplée, c’est en réalité l’Asie et l’Europe qui le sont. Autrement, il y a assez de place sur le continent pour la population africaine grandissante. Notons que 34 des 54 pays africains comptent parmi les pays les moins développés au monde, de ce fait, la mortalité infantile est très élevée. On compte par exemple près de 110 décès pour 1 000 naissances viables au Niger et entre 25% et 50% atteints de malnutrition en Tanzanie, au Kenya, au Soudan, au Mozambique, à Madagascar, au Zimbabwe, en Zambie, en Angola et dans d’autres pays. Ajoutons à cela que le continent africain est souvent la cible d’épidémies mortelles en tout genre (VIH, Ebola, Paludisme, etc) rendant bien précaire la vie de nombreux africains sans parler des nombreux crimes contre l’Humanité qui s’y sont déroulé et s’y déroulent toujours actuellement.

Vous l’aurez compris, s’il est vrai que l’Afrique à le plus haut taux de fertilité au monde, c’est aussi l’un des continents où l’on meurt le plus et où l’on vie le moins longtemps. L’espérance de vie en Afrique n’est d’ailleurs que de 57 ans alors que la moyenne mondiale est de 69 ans.

Faisant fi de ces réalités et n’ayant, semble-t-il, en tête que les recommandations néo-malthusiennes d’Emmanuel Macron, le président de la commission de la Cedeao, Marcel De Souza ira même jusqu’à déclarer :

« La jeunesse représente les deux tiers de la population. Cette jeunesse, lorsqu’elle ne trouve pas de solutions, devient une bombe: elle traverse le désert ou la Méditerranée, meurt par milliers pour l’immigration clandestine » [10]

La réponse du panafricanisme

Comme l’on pouvait s’y attendre,ces déclarations ahurissantes ne pouvaient laisser de marbre l’une des plus grande figure du panafricanisme moderne. En effet, Kemi Seba, le chantre de la souveraineté africaine et actuel président de l’ONG Urgence Panafricaniste, réagissait le dimanche 23 juillet à cette prise de position de la CEDEAO. Pour le polémiste, activiste et conférencier anti-impérialiste :

« La décision que viennent de prendre les parlementaires africains, suivant in fine les prérogatives de Jupiter Macron, est probablement le plus grand acte de trahison de nos élites politiques ces dernières années. » [11]

Déplorant le manque de vision endogène traditionnelle des parlementaires de la commission de la CEDEAO, qu’il qualifie de « frauduleux », il dénonce avec force la volonté des affidés de la Françafrique de mettre en place « un programme de malthusianisme structuré ». Faisant référence aux propos indignes de Marcel De Souza, qui établit un lien entre boom démographique et immigration clandestine en Europe, Kemi Seba répondra avec la verve qu’on lui connaît :

« Arguer comme des SDF de la pensée, que faire baisser le taux de natalité évitera que la jeunesse africaine se noie dans la mer est une dégénérescence irréversible du principe de l’intelligence » [11]

Pour le chroniqueur d' »Afro-Pertinent » sur Vox Africa, les élites politiques africaines à la solde de l’Occident préfèrent réduire de moitié le taux de natalité du continent, sur injonction de leur « maître », plutôt que de s’atteler à résoudre le problème de mal gouvernance chronique des États africains, d’enrayer le pillage des matières premières par les multinationales occidentales et de mettre un terme à la corruption.

L’initiateur du front anti-CFA de conclure qu’il s’agit à travers les positions de la CEDEAO d’un pas de plus :

« (…) vers le soulèvement du prolétariat africain contre ses élites, véritables proxys de l’Hydre néocolonialiste. » [11]

Notes et références :

[1] « Cedeao : objectif de trois enfants maximum par femme d’ici 2030« , Jeune Afrique, publié le 22 juillet 2017

[2] Rufus Polichinelle ~ « Fécondité en Afrique : Quand la CEDEAO se plie au desiderata de Macron« , Afrique sur 7, publié le 23 juillet 2017

[3] Alors que le malthusianisme prône la continence volontaire en invoquant la disparité de la croissance démographique et de la production des substances alimentaires, le néo-malthusianisme va bien plus loin sur la voie de la limitation volontaire des naissances, en préconisant diverses méthodes anticonceptionnelles

[4] »Démographie : la Cedeao prend le taureau par les cornes« , le Point, publié le 24 juillet 2017

[5] J. Zinkina, A. Korotayev ~ « Explosive Population Growth in Tropical Africa: Crucial Omission in Development Forecasts (Emerging Risks and Way Out)« . World Futures, publié en 2014

[6] Voir « List of countries by life expectancy« ; selon le « CIA Factbook » de 2012, 4 pays sur 53 avaient une espérance de vie de 50 ans.

[7] Joyce Edimo ~ « Africa population tops a billion« . BBC. publié le 18 novembre 2009

[8] « World Population Prospects: The 2004 Revision »United Nations » (Département des affaires économiques et sociales)

[9] « World Population Prospects 2015 revision » (Division de la population)

[10] « Cédéao: objectif de trois enfants maximum par femme d’ici 2030« , L’Express, publié le 22 juillet 2017

[11] Page facebook officielle de Kemi Seba

Mathieu N'DIAYE
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N’Diaye, aussi connu sous le pseudonyme de Makandal, est un écrivain et journaliste spécialisé dans l’anthropologie et l’héritage africain. Il a publié "Histoire et Culture Noire : les premières miscellanées panafricaines", une anthologie des trésors culturels africains. N’Diaye travaille à promouvoir la culture noire à travers ses contributions à Nofi et Negus Journal.

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