L’art de la guerre dans l’ancien royaume de Dahomey

Probablement l’un des états les plus militaristes de l’histoire de l’Afrique, le royaume de Dahomey a développé au cours de son histoire un art de la guerre très développé dont certaines lignes peuvent nous être utiles dans la vie de tous les jours.

Par Sandro CAPO CHICHI / nofi.fr

Comme je l’ai dit ailleurs, l’absence d’ouvrages sur l’art de la guerre en Afrique n’implique pas qu’il n’y ait pas eu d’art de la guerre sur le continent. Tout ce que cela signifie c’est que peu de personnes ont pris le temps de le documenter et de le théoriser. Bonne nouvelle, on a fait le travail pour vous, en nous focalisant sur le royaume de Dahomey.

Le royaume de Dahomey

Dahomey a été fondé au début du dix-septième siècle par le peuple fon dans le sud de l’actuelle République du Bénin. Surnommé la ‘Sparte noire’ pour son militarisme par un voyageur britannique contemporain, il était l’un des états africains les plus focalisés sur la guerre à son époque (17-19ème siècle). L’obsession de cet état avec la guerre se traduit jusque dans son art. La guerre y occupe en effet une part prépondérante,  disproportionnée, diront certains.

 

Tenture fon du 19ème siècle représentant le roi Glélé en lion à forme humaine avec son armée en campagne. Avant la colonisation à la fin du 19ème siècle, les tentures fon représentaient systématiquement des scènes de guerre

Cette préoccupation pour la guerre s’est évidemment manifestée dans un art de la guerre sophistiqué dont on va voir plusieurs aspects plus bas.

L’attaque par surprise

L’un des comportements guerriers les plus récurrents de l’armée fon était l’attaque par surprise. Cette caractéristique peut à première vue paraître peu originale. Toutefois, comme on va le voir plus bas, elle est caractéristique de l’approche de la guerre à Dahomey.  L’armée dahoméenne attaquait typiquement par surprise ses cibles à l’aube. Pour s’assurer que ses cibles ne se doutent pas de leurs projets  d’invasion, les Dahoméens mettaient en place toute sorte de stratagèmes pour mettre en confiance ou laisser dans l’ignorances leur prochaines victimes…pour mieux les achever.

l'art de la guerre dans le royaume de Dahomey
Bas-relief du palais du roi Guézo montrant un guerrier se préparant à attaquer par surprise

Cette approche de la guerre était très différente de celle de beaucoup d’états de l’époque. Lors du règne du roi de Dahomey du 18ème siècle, un voyageur français s’en était indigné, invitant les Fon à déclarer la guerre avant d’attaquer un territoire, comme le ferait une ‘nation civilisée’. Ce que ce voyageur n’avait pas compris, c’est que Dahomey avait un code moral différent de bien des nations.

Un code moral différent ancré dans la religion

Dans une civilisation comme l’Egypte ancienne, les ancêtres et les modèles du Pharaon régnant étaient deux des premiers rois mythiques du pays, Osiris et Horus. Osiris était un roi sage, paisible et à l’origine de découvertes au bénéfice primordial pour le bien-être de ses sujets. Il avait notamment inventé l’agriculture. Son frère Seth était jaloux d’Osiris et l’assassina avec par traîtrise.

Dahomey
Seth attaquant Osiris par derrière

Seth fut vaincu par Horus, le fils d’Osiris, qui le remplaça sur le trône. Le règne idéal d’un Pharaon était celui d’Osiris ou d’Horus. Le règne d’un pharaon devait être celui, comme Osiris d’un roi bienveillant, ou comme Horus, d’un roi qui sache défendre ou venger les siens s’ils ont été victimes d’une injustice. Seth était associé aux ennemis à vaincre, notamment auteurs d’exactions.

Tenture fon du 19ème siècle représentant Agassou, sous la forme d’un léopard anthropomorphe en bas à gauche

A Dahomey, la situation était complètement différente. Les deux ancêtres royaux de référence étaient Agassou et Houegbadja. Agassou était un prince du royaume de Tado (actuel Togo) qui avait fui Tado pour l’actuelle République du Bénin après avoir assassiné son frère, le roi de Tado. Houegbadja, considéré comme le premier roi de Dahomey, serait à l’origine du nom du royaume. Après qu’un chef nommé Dan lui ait offert plusieurs parcelles de ses terres, Houegbadja le tua et bâtit son palais dans (me) le ventre (xo) de Dan (Dan) = Dahomey.

Ainsi, le comportement de référence pour un roi de Dahomey et les membres de son armée était celui d’un homme n’hésitant pas à assassiner son frère et à tuer quelqu’un qui vous aurait offert l’hospitalité.  Cet aspect tranchait non seulement avec les croyances de voyageurs européens, mais aussi des peuples voisins. Les traditionalistes de Tado, la terre ancestrale des rois de Dahomey, se souvenaient encore récemment de l’hypocrisie de ceux qui disaient être leurs parents.

« Nous étions souvent en guerre avec les Fon et les Nago (Yoruba, NDLR). Bien que proclamant officiellement qu’ils ne pouvaient pas attaquer le pays de leurs ancêtres, les Fon sont venus plusieurs fois piller Tado. Ce sont des hypocrites. « (Gayibor 1977: 31)

Ainsi, les rois de Dahomey et leurs soldats, par le biais de leur religion et de leurs mythes, ont progressivement intériorisé comme normal un comportement que la plupart qualifieraient de ‘fourbe’.  Cette différence leur permettait d’avoir un avantage sur leurs adversaires à la morale plus ‘naïve’ qui ne pouvaient souvent pas prédire la cruauté des Dahoméens.

La terreur

L’un des aspects les plus importants de l’art de la guerre à Dahomey était celui de la guerre psychologique. Dahomey a ainsi promu la terreur dans tous les aspects de sa civilisation.  Comme je l’ai déjà dit, chaque facette de l’art de Dahomey était consacré à exprimer sa puissance guerrière.

Dahomey
Bas-relief du palais du roi de Guézo de Dahomey

Particulièrement frappante encore était l’utilisation de crânes humains comme objet de décoration du palais royal par excellence.

Dahomey
Trône du roi Guézo de Dahomey reposant sur quatre crânes de chefs vaincus

En agissant ainsi, les rois de Dahomey rappelaient à quel point la valeur de vie des gens qui les défiaient ne tenait à rien.  Cette banalisation de la mort à des fins de propagande s’étendait à la religion. Dans la version locale du vodun, une fois l’an, des êtres humains étaient sacrifiés aux ancêtres royaux.

Le roi Guezo de Dahomey : le haut du mur derrière lui est décoré de crânes

En approchant les murs mêmes du royaume, l’ennemi comprenait que son crâne pourrait servir de décoration à ceux-ci. Que beaucoup d’autres avaient essayé avant lui. Que les crânes d’ennemis étaient si faciles à obtenir qu’ils étaient utilisés comme objet de décoration. Cette terreur était entretenue par le mythe de l’invicibilité de l’armée fon entretenue par les rois.

Le mythe de l’invicibilité 

Les rois de Dahomey cherchaient à tout prix à entretenir le mythe de leur invincibilité. L’une des méthodes pour y parvenir était de faire tuer toute personne mentionnant en public. Les historiens publics, les Kpanlingan devaient aussi raconter l’histoire du royaume en transformant toute défaite en victoire.

Bas relief d’un palais royal de Dahomey représentant un Kpanlingan.

Une autre remarquable stratégie utilisée par les Fon pour préserver leur invincibilité est la création de villages souterrains. Au 18ème siècle, sous le règne du roi Agadja, Dahomey dut faire face à la redoutable armée de l’empire yoruba d’Oyo. Cette armée devait notamment sa supériorité militaire par sa cavalerie inconnue des autres populations de la zone forestière.

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Statuette yoruba du royaume d’Oyo (18ème-19ème siècle) représentant un cavalier

Contre Oyo, Dahomey n’avait à plusieurs occasions pas les moyens de lutter militairement. Pour préserver le mythe de leur invincibilité et l’avantage psychologique sur leurs adversaires, les Fon ont créé des villages souterrains où ils pouvaient disparaître lorsqu’attaqués. Lorsque les guerriers d’Oyo voyaient disparaître leurs adversaires fon, ils se sentaient psychologiquement frustrés  et défaits par des guerriers jugés comme leur étant supérieurs dans le domaine des sciences occultes.

 

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Village souterrain d’Agongointo

La mise en avant de femmes guerrières

L’une des particularités les plus célèbres du royaume de Dahomey était son recours à une armée professionnelle de femmes, souvent appelées ‘Amazones’ ou de plus en plus souvent ‘Mino’ (d’après l’une de leurs appellations indigènes). Ces guerrières formaient les troupes de choc de l’armée de Dahomey et ont été décrites par les observateurs extérieurs comme plus performantes que les guerriers fon. Cette mise en avant des guerrières fon était délibérée de la part de leurs rois. En étant confrontés à ce type d’armées très rares dans le reste de la région, les ennemis adverses, étaient dans une situation inconfortable. L’emporter face à une femme n’était pas considéré comme quelque chose de valorisant et perdre où être malmené face à elles était une catastrophe. Par le seul fait de les combattre, les adversaires des femmes guerrières de Dahomey se retrouvaient perturbés psychologiquement.

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Tenture du 19ème siècle représentant des amazones de Dahomey

Ces quelques caractéristiques de l’art de la guerre au Dahomey montrent une fine compréhension des rapports de pouvoir. Elles rappellent l’importance de la tromperie dans la compétition, la relativité de la notion de morale d’une société à une autre, l’importance de préserver l’image de son invincibilité, de dissuader l’autre d’attaquer et de l’importance de déstabiliser l’adversaire par rapport à ses insécurités.  Elles montrent aussi les réponses apportées à ces questions par des Africains, montrant une nouvelle fois leur familiarité avec l’art de la guerre.

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