Le lévirat: re-socialisation ou déshumanisation de la femme veuve en milieu rural africain ?

Par Sylvia Apata. Si en Afrique, la mort est plus importante que la maladie, une défaite qui aurait dû être évitée, la perte du mari pour la femme est un double calvaire qui pourrait finir par l’emporter également. Que devient socialement  la veuve après le drame ?  Sylvia Apata est une juriste africaine, d’origine ivoirienne, experte en Droits de l’Homme et Action Humanitaire et spécialiste des droits des femmes en Afrique. Depuis la Côte d’Ivoire, elle travaille autour de cette question de la condition des femmes, particulièrement les veuves et en milieu rural. A travers cet article, elle explique la loi traditionnelle du lévirat.

Les traditions africaines considèrent le mariage comme l’union de deux familles contrairement à la définition légale du mariage qui est celui de l’union de deux personnes. Ainsi, la femme mariée appartient à sa belle-famille en raison de la participation de cette belle-famille à sa dote (1) . Laquelle dot s’apparente dans plusieurs cas extrêmes à un achat-vente de la femme. En milieu rural, après le décès du mari, la femme est automatiquement laissée sur le carreau. Les biens du défunt sont attribués à ses « parents », c’est-à-dire à ceux qui appartiennent au même clan/lignage que le défunt. En société matrilinéaire, seuls héritent le fils de la sœur du défunt, son frère utérin ainsi que son oncle maternel. Ni la veuve, ni ses enfants, au cas où elle en a eu avec le défunt mari, n’ont droit à l’héritage de ce dernier. C’est plutôt le neveu du défunt mari et plus précisément le garçon de la sœur du mari qui hérite de tous les biens du défunt.

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En effet, selon les croyances coutumières, rien ne garantit que les enfants qu’a eu le mari avec sa femme avant de trépasser soient effectivement les siens car elle aurait bien pu le tromper avec un amant pendant tout ce temps. Par contre, la sœur du mari, qui dans son cas a gardé son enfant dans son ventre pendant neuf mois, bénéficie d’une crédibilité totale quant à l’appartenance de son enfant à la famille. C’est donc cet enfant qui hérite des biens de son oncle. Quant à la femme et les enfants du défunt, ils sont laissés à leur propre destin. En société patrilinéaire , le fils et le frère du défunt sont les principaux héritiers. La veuve est aussi exclue de l’héritage tout en faisant partie de cet héritage. Après la période de veuvage où cette dernière doit faire face à toute sorte de sévices corporels et moraux, la belle-famille à qui elle appartient désormais se voit dans l’obligation de la réinsérer socialement afin qu’elle ne reste pas malheureuse. Partant de ce principe, elle se doit d’accepter le frère de son défunt mari imposé par cette belle-famille. On parle alors de lévirat.

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C’est donc cette pratique coutumière exercée sur la veuve et qui consiste à la remarier au frère du défunt ; l’héritier désigné par la famille. Le lévirat est une autre forme de mariage forcé. Cette pratique, bien qu’en forte régression dans les villes, a toujours la peau dure en milieu rural en Côte d’Ivoire. La veuve esclave de la belle-famille A la mort du défunt mari, la succession de ce dernier s’ouvre par le conseil de famille. En Côte-d’Ivoire particulièrement chez les Abbeys, peuple Akan vivant dans le sud, l’héritier désigné par la belle-famille hérite des biens (terre, bijoux de grande valeur : or, diamant) et des charges ce dernier (femmes et enfants). On aboutit ainsi à la chosification de la veuve et même des enfants en milieu rural. Cette chosification s’explique de trois manières. D’abord, la femme est la propriété de la famille de son époux par l’effet de la dot. Ensuite, la compensation matrimoniale qui symbolise la dot reçue par les parents de la femme n’est pas sortie des seules mains de son époux, toute la belle-famille y a contribué. Il est donc normal que les héritiers puissent bénéficier de la femme, libérée de son lien matrimonial. Enfin, lors du décès, les hommes de la famille du défunt héritent de la femme. Estimant alors avoir le droit de décider de ce qui est convenable pour elle, ils s’érigent en maître de sa vie. Quelle est donc la situation de ces veuves qui finissent par céder sous la contrainte en se remariant au beau-frère ? Quelle est par contre le sort de celles qui parviennent à refuser de se remarier au beau-frère imposé par la belle-famille ?

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Quand cette dernière accepte de force de se remarier avec l’héritier de la famille, elle subit une véritable atteinte à son intégrité physique et morale parce qu’obligée d’avoir des rapports sexuels avec son nouveau mari, elle finit par perdre au jour le jour sa personnalité et mourir dans l’âme. Aussi est-elle exposée aux transmissions des maladies sexuellement transmissibles comme le VIH/SIDA. Le beau-frère qu’elle épouse a déjà une ou des femmes. Elle tombe donc en situation de polygamie qui favorise la transmission des MST et du VIH/SIDA. Un tel mariage enfreint gravement au principe de « libre consentement » du mariage. Malgré le poids des coutumes et des traditions, certaines veuves meurtries parviennent souvent à refuser de se remarier avec le beau-frère imposé par la belle-famille. Elles sont alors battues par leur belle-famille. Généralement, elles ne reçoivent pas de soutien de leurs familles à elles qui bien des fois les rejettent également. Obligées de rembourser la dot aux belles-familles, elles se retrouvent rejetées par leur propre famille et répudiées avec leurs enfants par les belles-familles. Que dit la législation Ivoirienne sur cette pratique ? Bien que la Côte d’Ivoire ait ratifié le 18 décembre 1995 au plan international, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes (CEDEF) adoptée le 18 décembre 1979 à New-York et au plan régional en mars 2012, le Protocole à la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des peuples relatif aux droits des femmes en Afrique adopté le 11 juillet 2003 à Maputo dit « Protocole de Maputo », il demeure un vide juridique au niveau de la législation nationale sur la répression du lévirat. En effet, le Code Pénal Ivoirien ne punit que certaines formes de violences à l’égard des femmes comme les mutilations génitales féminines à travers la loi n°98-757 du 23 décembre 1998 portant répression de certaines formes de violences, à l’égard des femmes.

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Pourtant la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard de la femme et le Protocole de Maputo, enjoignent aux États Parties de prendre toutes les mesures législatives, institutionnelles et autres afin d’éradiquer toutes les pratiques portant atteintes à l’intégrité et à la dignité de la femme. 5 Groupe culturelle ethnique basé au centre, à l’est et au sud de la Côte-d’Ivoire. Que convient-il faire pour éradiquer cette pratique en milieu rural ? En plus de mesures répressives qui doivent être prises par l’effet d’une loi prenant en compte toutes les formes de violences que subissent les femmes, il faut impérativement que l’Etat Ivoirien collabore avec les Organisations de la Société Civile (OSC) en l’occurrence les Organisations Non Gouvernementales (ONG). Cette collaboration doit être perceptible par des appuis techniques et financiers à leur accorder. En effet, plus proches des populations et jouant le rôle de relais entre l’Etat et les citoyens, les ONG parviennent efficacement à faire évoluer les mentalités en menant des activités de sensibilisation accrue en milieu rural. Dans une société où les femmes dans leur généralité sont reléguées au second plan, les femmes rurales le sont encore plus et peinent sous le poids des stéréotypes et des coutumes qui portent fortement atteinte à leur intégrité et dignité. Ces femmes sont également des êtres humains au même titre que les hommes. Rien ne justifierait alors qu’elles soient si exposées à  de telles pratiques qui les déshonorent car lorsqu’une femme pleure, c’est toute l’Humanité qui est enrhumée.

Par Sylvia Apata.

Notes et références:

  1.  La dot est une vieille tradition africaine qui est encore pratiquée aujourd’hui et comme c’était le cas il y a des siècles. […] La dot est un procédé de négociation complexe et très formel entre les deux familles pour parvenir à une entente mutuelle sur le prix que le fiancé aura à verser pour pouvoir épouser la fiancée. Cela peut se voir comme un achat vente, mais cette coutume n’a rien à voir en principe avec une transaction commerciale. Ce qui rend la dot si importante pour le mariage en Afrique est qu’elle est basée sur un procédé qui relie les deux familles. Le respect mutuel et la dignité sont présents tout le long du procédé, et l’amour entre l’homme et la femme est élargi pour y inclure la famille proche et large.Mais, comme pour toutes les coutumes traditionnelles, elle est exposée aux abus et aux distorsions.

2. […] dans les sociétés matrilinéaires, l’exogamie qui s’explique par les liens de sang entre tous les descendants en ligne utérine fonde aussi l’étroitesse des liens entre les oncles maternels et leurs neveux et de ceux qui unissent les frères et sœurs. C’est ainsi que dans ces sociétés, l’héritage se transmet d’oncle à neveu et partiellement de père à fils .

3. Dans les sociétés à filiation patrilinéaire, sous prétexte que la femme est épouse, mère, sœur ou fille, elle fait l’objet d’une protection contre les influences extérieures. […] Ainsi, les femmes subissent-elles une ségrégation sexuelle sensée protéger le savoir des castes dont elles sont issues.

4.Le veuvage est un rite traditionnel pour se délivrer de toute emprise maléfique et pour purifier son corps. En Afrique, quand c’est la femme qui meurt, le veuf n’a de contraintes que d’enterrer la défunte. Les hommes ne subissent, en général, aucun rite. Ils se font raser la tête, s’abstiennent de rapports sexuels pour quelques jours. Ils sont même encouragés à se remarier au plus vite. Tandis que les veuves, quel que soit le contenu du rite de veuvage, se doivent de le suivre à la lettre pour soit disant honorer la mémoire du défunt. Ces pratiques comprennent entre autres leur réclusion pendant plusieurs mois sans changer de vêtements et sans hygiène personnelle, le rasage de la tête et le fait de s’asseoir sur le sol nu pendant plusieurs jours. Selon les croyances, le veuvage s’explique par la conception selon laquelle « il faut exorciser la Femme de l’esprit de son défunt mari, qui hante son corps, afin de libérer l’âme du disparu et sauver la sienne.» Dans certains cas extrêmes la femme est forcée de boire l’eau ayant servi à faire la toilette du corps du défunt pour prouver qu’elle n’est pas la cause de son décès.

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