Gabriel Le Bomin : « Ce film fait partie des histoires qu’il reste encore à partager. »

Gabriel Le Bomin est le réalisateur du film « Nos patriotes », au cinéma le 14 juin prochain. A l’origine du premier long-métrage grand public sur la vie d’un soldat noir africain durant la Seconde guerre mondiale, il nous livre les raisons de ce projet, son rapport à l’histoire et son désir de faire entrer le récit des mémoires oubliées dans le débat public.

Comment découvrez-vous l’histoire d’Adi Bâ ?

Quand j’ai découvert le livre de Thierno Monénembo, Le terroriste noir, j’ai découvert, comme ceux qui vont voir « Nos patriotes »,le parcours incroyable d’Adi Bâ. Voilà un jeune guinéen qui arrive en France dans les années 1930, qui se ré-enracine près d’Orléans et  qui quand la guerre est déclarée, au lieu de rester tranquille, pousse la porte de la caserne lourcine à Paris pour signer son acte d’engagement. C’est déjà énorme.

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Qu’est-ce qui vous a attiré dans cette histoire ?

Son histoire, d’où il vient et où il va. Je l’ai d’ailleurs dit au comédien, Marc Zinga, ce n’est pas un héro, c’est un homme de chair et de sang avec autant de forces que de faiblesses. Ce que je trouve très intéressant, et qui m’interroge moi-même parce que je ne sais pas ce que j’aurais fait. Ce qui m’a touché c’est cette volonté permanente de s’engager, d’aller au contact, de chercher le combat, de considérer que les choses ne sont pas comme ça. Il faut être super animé de quelque chose pour se dire « Moi je veux défendre ce pays, que je considère être le mien », tout en étant différent. Surtout qu’on sait qu’à ce moment là, les gens qui vivaient sur les territoires de l’Empire n’avaient même pas le statut de citoyens, mais de sujets. Donc, comment il dépasse tout ça, comment il dépasse tout ce qui aurait pu être une forme de communautarisme ou de repli identitaire. Comment finalement être différent ne l’empêche pas d’être avec les autres, dans un mouvement plus large, d’être en cohésion avec ce groupe.

Alexandra Lamy et Marc Zinga
Crédit photo: Christine Tamalet

Etiez-vous familier de l’histoire des « tirailleurs sénégalais » ?

J’avais approché le sujet par différents films et travaux autour des troupes colonisées, donc c’est une histoire qui m’intéresse, parce qu’elle raconte de très belles choses. Et des choses moins belles d’ailleurs. En tout cas, elle est constituante de notre histoire. Je m’y suis intéressé, j’ai lu, j’ai rencontré des historiens de la période. Je me disais que si un jour je trouvais la porte d’entrée pour traiter de ce sujet je me lancerai. Par Adi Bâ, je l’ai trouvée parce qu’il n’est pas qu’un tirailleur sénégalais ;  il est un tirailleur sénégalais qui s’engage dans la résistance. Il y a un moteur personnel.

Pourquoi ce choix de casting ?

Pour Marc Zinga, on est allé très vite et exclusivement le chercher lui. On avait vu son travail et remarqué cette force d’incarnation à traves les films qu’il avait fait en Belgique. On a également vu en lui cet aspect physique de ressemblance au personnage et en même temps cette intériorité, cette capacité à jouer sans même parler, ce quelque chose qui émane de lui. On a eu la chance qu’il accepte tout de suite le projet et qu’il s’engage dans l’aventure.

« Je suis persuadé que les films d’Histoire sont liés aux époques qui les racontent (…) »

 

Avez-vous rencontré des difficultés particulières à faire ce film ?

On a rencontré les difficultés qu’on rencontre sur tous les films. Dans le cinéma, quand vous avez un projet c’est toujours difficile de le monter. A moins d’être effectivement sur des comédies populaires avec des acteurs vedettes, ça c’est plus facile. Paradoxalement, le fait de rentrer dans cette histoire par ce personnage là, au contraire, faisait que les gens étaient étonnés et  s’y intéressaient.

Gabriel Le Bomin
Crédit photo: Alain Guizard

Diriez-vous donc que c’est le choix de cette histoire-ci qui vous a facilité les choses ?

En tout cas, les gens qui sont venus et qui ont investit sur le projet ont aimée cette histoire et ont eu envie de donner les moyens pour qu’on la partage. Donc oui, d’une certaine façon ça a facilité. Si on avait dit qu’on voulait faire un film sur le maquis de la délivrance sans le personnage d’Adi Bâ, on nous aurait sûrement dit non ou que ça avait déjà été fait. Cette  histoire abordée par ce personnage oublié, en marge, l’exemplarité de son parcours, c’est ça qu’on raconte aujourd’hui. Je suis persuadé que les films d’Histoire sont liés aux époques qui les racontent, qu’ils sont à la fois des films et des miroirs que l’on tourne vers leur époque, il y a une double circulation. Je pense qu’aujourd’hui on a dépassé l’oubli, qu’on est dans une démarche de réhabilitation, de relecture et j’espère d’apaisement. On peut évoquer les choses à présent. Les bonnes et les mauvaises avec les erreurs et les réussites. Moi en tout cas, c’est comme ça que j’aime aborder l’histoire et non pas pour en faire une source de conflit, de culpabilité ou de démarche revendicative. Au contraire, je veux donner la parole à toutes les parties, pour comprendre les mécanismes. Car c’est une histoire qui est la nôtre mais en même temps nous n’en sommes pas les acteurs.

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Pensez-vous que pouvoir en parler permet d’apaiser les choses ?

Je pense que ça apaise quand on est paisible. J’ai une expérience qui m’a bien fait comprendre qu’un film était un objet qui devenait très subjectif en fonction des publics qui le voyaient. J’ai réalisé un documentaire pour France 2, sur la guerre d’Algérie, avec Benjamin Stora, historien de référence sur le sujet. Il est, de l’avis général, un film qui dit l’histoire parce qu’on y montrait toutes les forces en présence. 90% des gens l’ont vu tel qu’il est et nous ont écrit pour nous féliciter. Tandis que les 10% restant, 5% d’un côté et 5% de l’autre, ont projeté leur propre histoire, leur propre douleur sur ce film. On a reçu des lettres de français qui nous ont accusés d’avoir fait un film pro FLN ; de l’autre d’avoir fait un film pro-colonial. Alors que c’est le même film. Alors là j’ai compris qu’on ne pouvait rien y faire. Les gens projettent systématiquement une grille de lecture. Aussi, la réalité d’un film c’est le regard que les gens portent dessus.

« L’histoire, plus elle s’éloigne des faits, plus elle devient lisible(…) »

Marc Zinda et Pierre Deladonchamps Crédit photo: Christine Tamalet

Raconter ces histoires, c’est se mettre à la place de ceux qui l’ont vécue. Concernant celle-ci, certains Noirs peuvent avoir parfois l’impression d’être encore des « sujets de l’empire ». Comprenez-vous ce point de vue ?

Oui, je pense que je le comprends. Parce qu’il reste vraisemblablement un rapport que je ne saurai définir. Il faudrait qu’on dépasse ça et qu’on comprenne que ce qu’ont construit nos grands-parents ce n’est pas ce qu’on construit nous. Nous on fait autrement. Et je crois que pour pouvoir s’en libérer il faut le regarder en face, en toute objectivité, loin des passions, des névroses, des culpabilités, du ressentiment. Il s’est passé des choses dans l’Histoire, il y a 100 ans, 50 ans ou moins mais c’est pas nous. Même si ça nous constitue. L’histoire, plus elle s’éloigne des faits, plus elle devient lisible, plus on peut aller voir dans les marges, dans ce qu’on n’a pas exploré. Ce film fait partie des histoires qu’il reste encore à partager. Donc étudions tout ça objectivement et aujourd’hui, construisons quelque chose de plus positif. Je pense que c’est possible.

Pourquoi est-ce qu’on doit aller voir ce film ?

J’aimerai que beaucoup de gens partagent le film parce que je crois qu’il est touchant, que l’histoire est belle, que les personnages sont puissants. Je pense qu’il raconte une histoire à hauteur d’homme. Celle de cet africain dans la tourmente de la France de l’occupation, au sein de ce groupe de patriotes que jouent Alexandra Lamy, Louane, Pierre Deladonchamps, bref, tous ces personnages qui à leur petit niveau cherchent à faire des choses. Je crois que le film est à l’image de son plan de fin, c’est-à-dire, une main noire dans une main blanche. Pour moi c’est ça le symbole du film, c’est cette force là, cette cohésion, malgré les différences, qui fait qu’on peut être ensemble.

SK
SK
SK est la rédactrice/ journaliste du secteur Politique, Société et Culture. Jeune femme vive, impétueuse et toujours bienveillante, elle vous apporte une vision sans filtre de l'actualité.

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