L’histoire de la résistance des Africains à l’esclavage est souvent réduite aux soulèvements sur le continent africain, ignorant leur continuité sur le sol américain. Ce biais narratif tend à suggérer que les identités africaines se sont dissoutes lors de la traversée de l’Atlantique, érodant ainsi la mémoire collective. Une telle vision a un double effet dévastateur sur la conscience historique des Afro-descendants : non seulement elle les détache de la force de résistance de leurs ancêtres africains, mais elle prive également les peuples d’Afrique de la revendication légitime d’un pan crucial de leur histoire.
En réalité, des liens forts se sont tissés entre les esclaves issus d’une même région, nation ou ethnie africaine une fois déportés en Amérique. Ces connexions ont permis l’émergence de véritables communautés ou « mini-nations« , où les souvenirs d’une identité partagée renforçaient la solidarité et la révolte. Si certaines insurrections furent effectivement panafricaines, d’autres étaient directement liées à des groupes ethniques particuliers, comme les Wolofs de Sénégambie, qui se distinguèrent par leur résistance farouche à l’esclavage dès les premières années de la traite transatlantique.
Les premiers insurgés africains en Amérique
Dès le début du XVIe siècle, des révoltes orchestrées par les Wolofs, appelés alors Gelofes ou Jelofes, sont attestées. Ces termes se réfèrent à l’empire du Djolof, une entité politique majeure en Sénégambie. Bien que certains individus référencés sous ces noms aient pu appartenir à d’autres groupes ethniques sous la domination du Djolof, il est indéniable que les Wolofs sont à l’origine de plusieurs insurrections marquantes sur le sol américain.
La première grande révolte d’esclaves noirs sur le continent américain eut lieu en 1522, sur la plantation de Don Diego Colon, fils de Christophe Colomb, dans l’actuelle République dominicaine. Bien que réprimée violemment, cette insurrection entraîna la mort de douze colons espagnols et poussa plusieurs insurgés à fuir vers les montagnes en quête de marronnage. Les sources indiquent que cette révolte fut principalement menée par des esclaves wolofs, qui parvinrent à rallier à leur cause d’autres Africains, y compris des Noirs christianisés.
La peur des colons et l’interdiction de déportation des Wolofs
La résistance des Wolofs marqua profondément les colons espagnols. Leur réputation de peuple indomptable se répandit rapidement, au point que les autorités espagnoles prirent des mesures radicales pour limiter leur influence. Dès 1526, une interdiction officielle de la déportation de certains groupes africains vers les Amériques fut édictée, incluant notamment les « Noirs du Levant« , ceux élevés en pays maure, ainsi que les « Gelofes« . Ces derniers, seul groupe ethnique explicitement mentionné, étaient perçus comme particulièrement dangereux en raison de leur esprit insoumis.
Les Wolofs furent impliqués dans d’autres révoltes notables à travers l’empire colonial espagnol, notamment en Colombie, à Panama, et à Porto Rico. En 1532, une lettre adressée à l’impératrice d’Espagne la suppliait de cesser d’importer des esclaves wolofs, qualifiés de « belliqueux » et « incitant les autres esclaves à la rébellion« . La même année, un édit royal confirmait l’interdiction de déporter des Wolofs vers les colonies espagnoles, les qualifiant d’“arrogants, désobéissants, rebelles et incorrigibles« , et les accusant d’inciter les autres esclaves à commettre des “mauvaises actions”.
Des guerriers redoutables aux Amériques et en Afrique
Au-delà de leur résistance constante, les Wolofs étaient également connus pour leurs compétences guerrières exceptionnelles. Cette réputation n’était pas nouvelle ; en Afrique, ils étaient considérés comme d’habiles cavaliers et d’excellents soldats. Les chroniques européennes de l’époque mentionnent une armée de cavaliers comptant entre 8 000 et 10 000 hommes sous le commandement du souverain de Djolof. Même l’épopée de Soundjata, fondateur de l’empire du Mali, fait référence aux chevaux provenant du pays wolof, témoignant ainsi de l’importance des Wolofs dans les échanges militaires de la région.
La poursuite de la déportation malgré la résistance
Malgré les interdictions et la peur qu’ils suscitaient chez les colons, les négriers continuèrent à déporter des esclaves wolofs tout au long du XVIe siècle et au-delà. En Amérique, ces captifs maintinrent un esprit de résistance qui ne s’éteignit jamais totalement, inspirant d’autres esclaves à suivre leur exemple. Cependant, cette partie cruciale de l’histoire reste largement méconnue aujourd’hui, tant en Amérique qu’en Afrique.
La résistance des Wolofs de Sénégambie contre l’esclavage, et leur impact sur les premières années de la colonisation américaine, constituent une histoire de courage et de défi qui mérite d’être réhabilitée. Ce récit, bien qu’étouffé par les récits dominants, appartient autant aux descendants des esclaves en Amérique qu’aux peuples de Sénégambie. En se réappropriant cette mémoire, les Afro-descendants et les Africains du continent peuvent revendiquer avec fierté leur lien avec une histoire de résistance collective, prouvant que, dès le début de la traite, des voix se sont levées contre l’injustice.
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Références :
- Michael A. Gomez / Black Crescent: The Experience and Legacy of African Muslims in the Americas
- Sylviane Diouf / Servants of Allah: African Muslims enslaved in the Americas
- Manuel Lucena Salmoral / Regulación de la esclavitud negra en las colonias de América Española