Pourquoi la France a-t-elle refusé de rendre au Bénin « les biens mal acquis » pillés au Royaume du Dahomey durant la période coloniale ? Quelles sont les raisons invoquées par l’ancien colonisateur ? Le bras de fer entre Cotonou et Paris se poursuit-il ? Eclairage sur cette affaire des trésors volés du Bénin.
Souvenez-vous, le 27 juillet dernier, lorsque le Bénin avait légitiment demandé à la France de rendre ses œuvres d’art volées à l’époque coloniale (plus de 5000), dont une trentaines sont exposées au musée du Quai Branly. Il s’agissait notamment de trônes royaux, de sceptres, des portes sacrées du palais d’Abomey ou encore de statues anthropomorphes. Ce fut la première fois qu’une ancienne colonie d’Afrique subsaharienne formulait une telle demande. La France adressa une « fin de non recevoir » honteuse à cette requête. En effet, le 12 décembre 2016, le ministre des affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault adressa à son homologue béninois, Aurélien Agbenonci, que la France refusait la restitution des biens pillés par la République:
Au sujet de ces trésors culturels béninois soustraient par le « Pays des Doit de l’Homme » M. Ayrault a argué qu’ils :
« ont été intégrés de longue date, parfois depuis plus d’un siècle, au domaine public de l’Etat français »
Il ajoutera plus loin, cynique, que:
« conformément à la législation en vigueur, ils sont soumis aux principes d’inaliénabilité et d’insaisissabilité. En conséquence, leur restitution n’est pas possible. »
Ainsi donc, selon les autorités françaises, les ravisseurs seraient protégés par la Loi .
Afin de mieux comprendre cette réponse, il convient de faire un saut en arrière dans le temps, en 1892, à l’époque où le Royaume du Dahomey était sous domination coloniale française. L’histoire de ces trésors remonte à la Seconde guerre du Dahomey qui se déroula entre Juillet 1892 et Janvier 1894. Les troupes françaises du colonel Alfred Dodds, général français métis né au Sénégal, défirent l’armée de Béhanzin, le Roi d’Abomey.
Cette guerre sonnera le glas du glorieux Royaume du Dahomey, qui sera incorporé à l’Empire colonial français. La défaite du Roi laissa la place au pillage de la République et le général Alfred Dodds et ses hommes ne se génèrent aucunement pour se servir comme de vulgaires pirates dans les trésors royaux. Même les bouteilles de vin dont raffolait « le fils du requin » furent descendus. Ce cas ne fut pas un cas isolé, car en réalité, c’est de cette façon que les pays colonisateurs, la France en tête, ont rempli leur musées (et leurs collections privées).
Plutôt que de reconnaître et d’assumer cela, une certaine Mme Le Gal, conseillère « Afrique » de François Hollande, ira même jusqu’à affirmer qu’il ne s’agissait pas d’un « pillage colonial », mais qu’en fait le roi Béhanzin avait :
« offert son trône, son sceptre et les statues de son père et de son grand-père de façon volontaire en vertu du droit international ».
Nous vous parlions plus haut de la fameuse lettre de refus de la France. Comme peu de gens ont eu l’opportunité de lire ce courrier, NOFI vous le propose , pour que vous preniez la pleine mesure de ce déni de mémoire.
Cependant, les défenseurs du patrimoine béninois n’ont pas dit leur dernier mot. En effet, Le Conseil Représentatif des Associations Noires (Cran), un collectif de députés français et béninois, rejoint par les rois traditionnels du Bénin ainsi que par Sindika Dokolo sont monté au front. Une lettre a été transmise à François Hollande afin qu’il rende au Bénin des œuvres pillées durant la colonisation. Le Cran affirme que de solutions existent déjà et pour cela, il suffirait que la France ait une véritable volonté de se conformer à la justice et à la morale élémentaire.
Louis-Georges Tin, le président du Cran, souligne d’ailleurs à ce sujet :
« Ils oublient qu’il existe en France une Commission nationale scientifique des collections, dont le but exact est d’examiner l’origine de certains objets pour une éventuelle restitution. Par conséquent, si le Quai d’Orsay voulait restituer les choses, il le pourrait. Et ils le savent évidemment, nous le leur avons dit. Donc, quand ils disent que c’est inaliénable, c’est une hypocrisie, c’est un mensonge, c’est tout à fait aliénable, d’ailleurs il y a des précédents »
Le 28 Mars dernier, l’affaire est montée d’un cran (sans mauvais jeu de mots). Ainsi, le congolais Sindika Dokolo, gendre du président angolais et certainement le plus grand collectionneur d’art du continent africain, dénonçait, dans une vidéo postée sur son compte Tweeter, « la spoliation par la France du patrimoine béninois« :
« Il s’agit d’objets royaux d’une importance capitale, explique l’homme d’affaires. Je suis choqué, dégoûté, car il s’agit d’une insulte pour tous les Africains. J’en ai marre qu’on traite l’Afrique comme ça ! J’ai donc décidé d’annuler le prêt de cinq objets d’art classique que je m’étais engagé à prêter lors d’une exposition sur les arts du Gabon avec le Musée du quai Branly… Les œuvres ont été volées, pillées. »
Il ne s’agit pas d’une lubie victimaire ni de demander de quelconques excuses à la France. Il s’agit plutôt de permettre au Bénin de tirer profit de son propre patrimoine culturel ainsi que de favoriser l’éducation historique de la jeune génération béninoise qui a légitimement le droit de connaître son histoire. Ne dit-on pas d’ailleurs que pour savoir où l’on va il faut savoir d’où l’on vient ?
Le cas du Bénin n’est pas exclusif. Régulièrement, de nombreux états à travers le monde demandent, à juste titre, la restitution de leurs biens culturels. Il est donc fort probable que le refus de la France s’explique par le fait que rendre le fruit de son pillage colonial pourrait faire jurisprudence et obligerait le « Pays des droit de l’Homme« , le « Pays des Lumières » à vider ses musées remplis à ras bord d’œuvres volées. Et cela, c’est une boîte de pandore qu’il rechigne à ouvrir.