Bien avant d’être une marque de biscuit au marketing douteux ou une insulte négrophobe qui « reste encore à peu près convenable » pour un fonctionnaire de police, le terme « Bamboula » recouvrait une réalité bien plus noble, ancrée dans nos traditions africaines ancestrales.
En effet, ce terme est dérivé de « kam-bumbulu » et de « ba m’bula » qui dans de nombreuses langues nigero-congolaises signifie tout simplement tambour.
La traite négrière ayant fait son oeuvre, « Bamboula » fait par la suite son apparition en Ayiti (alors Saint-Domingue) dans une chanson de 1757. « Bamboula » devint une danse syncopée exécutée au rythme d’un tambour éponyme, lors de rassemblements ou de cérémonies des africains captifs.
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Plus tard, la « Bamboula » s’exporte aux États-Unis, à travers la Louisiane, du fait de la déportation d’ Africains à la Nouvelle-Orléans au cours du XVIIIème siècle avec l’arrivée des colons français réfugiés (migrants) de l’île de Saint-Domingue, surtout après la Révolution haïtienne. Là-bas, les esclaves avaient l’habitude de se réunir sur le « Congo Square » (la Place Congo) [1] dans le quartier de Tremé au nord du « French Quarter » [2] de la Nouvelle Orléans afin de communier en dansant sur ce rythme venu d’Afrique. Ce lieu emblématique servait également , au-delà de la musique et de la danse, aux Noirs asservis de lieu où ils pouvaient s’exprimer spirituellement. Mais ces notions ne sont-elles pas intimement liées chez nous autres ?
A cette époque, les esclaves étaient bien loin de se douter qu’en dansant la « Bamboula« , ils jetteraient, à Congo Square, les bases de la culture afro-américaine. Nous sommes alors à mille lieux des fantasmes obscures d’une certaine biscuiterie de Loire-Atlantique. Jugez plutôt :
https://www.youtube.com/watch?v=0Bj9VCEyfLk
Rapidement, ces manifestations culturelles originaires de la Terre-Mère devinrent une véritable attraction touristique. En effet, de nombreux visiteurs affluaient de toutes parts afin d’assister à ce spectacle surprenant de danse et de musique noires. Les badauds pouvaient à loisir « s’ambiancer« grâce aux battements des bamboulas et/ou aux lamentations des banjos [3], et furent les spectateurs privilégiés de la multitude de danses africaines qui survécurent aux brutalités esclavagistes.
Encore aujourd’hui, les rythmes d’antan, qui résonnaient depuis la Place Congo, peuvent être entendus lors de funérailles ou de Mardi Gras, à la Nouvelle-Orléans.
A contrario, la bamboula fut considérée commune menace pour la puissance colonisatrice belge et de ce fait interdite. Selon les belges cette danse serait «un obstacle insurmontable aux bienfaits de la civilisation» et «à tous les efforts civilisateurs» ; elle s’opposerait «à l’accession des populations indigènes au niveau intellectuel et moral auquel la Belgique a entrepris de les élever». Pour l’administration coloniale, la bamboula revêtait un «caractère sacré» et «l’aspect avantageux d’un sacrifice rituel» aux yeux des populations africaines qu’ils avaient colonisés… [4]
Ainsi, avant que « Bamboula » ne soit synonyme de fiesta, avant que la marque St Michel n’ait la bonne idée d’ouvrir le parc d’attraction « Bamboulaland » ou que M. Poignant ne banalise l’injure raciale à heure de grande audience, rappelons-nous que ce terme fut avant toute chose synonyme de liberté et de reconnexion aux ancêtres.
Notes :
[1] originellement appelé la Place publique ou la Place des Nègres, ce lieu deviendra la Place Congo, car c’est là que se tient le marché aux esclaves.
[2] le French Quarter ou vieux quartier français est le centre historique de la Nouvelle-Orléans, fondée en 1718.
[3] adaptation afro-américaine de la Kora ouest africaine.
[4] Article paru dans le Figaro du 10 janvier 1914.
Congo Square, Racines africaines de La Nouvelle-Orléans, Freddi Williams Evans, éditions La Tour verte, 2012.