« Ogu Umunwanyi » : l’insurrection des femmes Igbo

En 1929, des milliers de femmes Igbo organisèrent une révolte massive contre les politiques socio-économiques imposées par les administrateurs coloniaux britanniques dans le sud du Nigeria, déclenchant la plus grave défiance à la domination britannique de l’histoire de la colonie. Le gouvernement colonial mis des mois à réprimer la «Guerre des femmes», qui devint un exemple historique de protestation anti-coloniale féminine.

Traditionnellement, les nigérianes ont souvent mené des actions collectives de grande ampleur pour faire entendre leurs voix :

  • Dans les années 1910, les femmes d’Agbaja [1] avaient déserté leur foyer des mois durant afin de dénoncer les meurtres de femmes perpétrés par les hommes de leur communauté. Cette mobilisation féminine obligea les anciens du village à répondre aux préoccupations des femmes.
  • En 1924, 3000 femmes de Calabar [2] s’insurgèrent contre une taxe sur les marchés exigée par le gouvernement colonial.

Très tôt, de nombreuses organisations féminines virent le jour, telles que l’Association des femmes du marché de Lagos, le Parti des femmes nigérianes ou l’Union des femmes d’Abeokuta. C’est dans ce contexte de militantisme féminin que les femmes Igbo [3] planifièrent ce que les archives coloniales britanniques nommeront la « Guerre des femmes » ou les « Émeutes des femmes d’Aba« .

La « Guerre des femmes » était inévitable tant le colonialisme avait modifié en profondeur la place de la femme au sein des diverses sociétés autochtones nigérianes. Traditionnellement, les femmes Igbo étaient fortement impliquées dans la gestion du pouvoir et participaient activement aux gouvernements locaux. Elles jouaient de plus un rôle économique considérable,par leur présence sur les marchés. A l’époque pré-coloniale, hommes et les femmes Igbo travaillaient de concert dans la sphère domestique et disposaient tout deux de rôles importants.

Pour les Britanniques, ces pratiques égalitaires étaient considérées comme des manifestations du chaos et du désordre qu’ils combattaient alors en marginalisant les femmes, les excluant notamment du pouvoir politique. Les autorités coloniales considéraient que seul un ordre patriarcal et 100% masculin établirait un « ordre moral ».

Dépouillées de leur ancien statut social, les femmes Igbo (sans doute plus que les hommes) ne pouvaient se satisfaire de ce nouvel ordre colonial. Les graines de la révoltes commencèrent à germer.

Frederick John Dealtry Lugard, gouverneur général du Nigeria entre 1914 et 1919
Frederick John Dealtry Lugard, gouverneur général du Nigeria entre 1914 et 1919

A partir du 1er Janvier 1914, le premier gouverneur de région-conduit par Frederick John Dealtry Lugard [4]– institua un système de domination indirecte qui bouleversa en profondeur l’architecture sociale traditionnelle. Ainsi, la puissance coloniale britannique gouvernait localement via des «chefs adjudants» nommés par le gouverneur, alors que les communautés Igbo étaient traditionnellement gouvernées et administrées par un conseil d’anciens [5].

En quelques années, les pseudo-chefs nommés par les colonisateurs devinrent de plus en plus despotiques. Ils saisirent arbitrairement des biens, imposèrent des lois drastiques, et emprisonnèrent tous ceux qui les critiquaient publiquement. Bien que la majeure partie de la colère soit dirigée contre ces chefs de pacotille; la plupart des Nigérians avaient compris qu’ils n’étaient que les marionnettes des administrateurs coloniaux britanniques. L’élément déclencheur de la révolte goutte d’eau qui fut l’annonce de taxes spéciales pour les femmes.

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Le 18 Novembre 1929, des milliers de femmes Igbo se réunirent à Calabar et Owerri [6] ainsi que dans des petites villes afin de protester contre les deux chefs et les taxes. Les femmes utilisèrent une pratique ancestrale visant à ridiculiser les hommes aux moyens de chants et de danses effectuées toute la nuit. Elles chantaient et dansaient, et dans certains endroits, réussirent à forcer la démission des chefs. Les femmes s’en prirent également à des magasins appartenant aux européens et à la Barclays Bank. Par ailleurs, les prisonniers attaquèrent les tribunaux indigènes gérés par les fonctionnaires coloniaux et en  incendièrent plusieurs. La police et les troupes coloniales furent dépêchés. Ces dernières firent feu sur la foule réunie à Calabar et Owerri, tuant plus de 50 femmes et blessant plus de 50 autres. Pendant les deux mois d’émeutes, pas moins de 25 000 vaillantes Igbo participèrent à des manifestations contre les autorités britanniques.

La « Guerre des femmes » eut un tel impact que les forces coloniales abandonnèrent leurs plans visant à imposer une taxe aux femmes et limitèrent le pouvoir des chefs qu’ils avaient eux-mêmes mandatés . L’insurrection des femmes Igbo est considérée comme la première défiance majeure envers l’autorité britannique au Nigeria et en Afrique de l’Ouest durant la période coloniale.

Notes:

[1] Agbaja est une localité de l’État de Kogi, dans le centre du Nigeria.

[2] Calabar est une ville dans l’État de Cross River, dans le sud du Nigeria.

[3] Les Igbo, sont un groupe ethnique d’Afrique de l’Ouest, principalement dans le sud-est du Nigeria

[4] Frederick John Dealtry Lugard (22 janvier 1858 – 11 avril 1945), était un officier britannique, et un administrateur colonial, gouverneur général du Nigéria (1914-1919). Il préconisa l’Indirect rule (« gouvernement indirect ») en matière coloniale.

[5] L’organisation politique traditionnelle Igbo était basée sur un système de gouvernement quasi démocratique. Dans les communautés, ce système garantissait à ses citoyens l’égalité.

[6] Owerri est une ville du sud-est du Nigéria. Capitale de l’État d’Imo, elle est située au cœur de la region Igbo

Mathieu N'DIAYE
Mathieu N'DIAYE
Mathieu N’Diaye, aussi connu sous le pseudonyme de Makandal, est un écrivain et journaliste spécialisé dans l’anthropologie et l’héritage africain. Il a publié "Histoire et Culture Noire : les premières miscellanées panafricaines", une anthologie des trésors culturels africains. N’Diaye travaille à promouvoir la culture noire à travers ses contributions à Nofi et Negus Journal.

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