Célèbre cabaret antillais des « Années folles », le Bal Nègre, symbolisait à souhait la fascination de la bourgeoise parisienne de l’époque pour « l’exotisme » de la culture noire.
En 1924, Jean Rézard des Wouves, candidat martiniquais à la députation, établît son Q.G de campagne à l’arrière bar-tabac situé au 33 rue Blomet. Il était très fréquent que ses meeting politiques se terminent en soirées dansantes. En effet, outre les aspirations politiques de Jean Rézard, ce dernier était un pianiste de talent, qui « ambiança » à de multiples occasions ce petit bout de Caraïbes en plein 15° arrondissement.
Le « bal Colonial » ou « Bal Nègre » était né. Initialement organisées en fin des réunions politiques de M.Rézrad des Wowes, les soirées dansantes se firent plus régulières. Ainsi, chaque mardis, jeudis, samedis et dimanches, la communauté Afro-caribéenne, déjà présente avant le Bumidom, se réunissait pour communier au rythme du pays natal.
Par la suite, c’est le violoniste et clarinettiste martiniquais Ernest Léardée qui dirigea un petit orchestre noir et continua de donner ses lettres de noblesse au Bal Nègre. Mort en 1988, cette figure de la biguine se souvenait de cette époque avec nostalgie :
« Cette période, est probablement la plus folle que j’ai vécue. Ce bal était le point d’attraction de la capitale… et pas un étranger ne quittait Paris sans être venu passer au moins une soirée dans ce lieu inhabituel »
La Biguine de l’Oncle Ben’s (Éditions Caribéennes, 1989).
Très vite, le 33 de la rue Blomet devint un night-club incontournable des nuits parisiennes. L’établissement attira les plus grandes personnalités artistiques de l’époque. On comptait notamment parmi celles-ci, Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir et même le roi Edouard VIII du Royaume Uni.
A cette époque, les intellectuels bourgeois-bohèmes de Paris avaient développé un véritable engouement pour le génie artistique noir. Il s’agissait, en premier lieu d’art Nègre issu du trafic colonial ou du Jazz introduit par les soldats Afro-américains. Après la Première Guerre mondiale, les gens se tournèrent vers le divertissement afin de se changer les idées, mais surtout pour se faire de l’argent. D’ailleurs, le spectacle le plus populaire de cette décennie fut La Revue Nègre (en 1925) avec Josephine Baker.
Cet intérêt pour les cultures « exotiques » ne datait pas de la veille. Avec les nombreuses expositions régulières que la France tenait pour présenter les artefacts et les populations des colonies françaises. La fascination pour la culture noire et l’image primitive, « en dessous de la ceinture » qui lui est associée ont prospéré au lendemain de la Première Guerre mondiale (1914-1918) et de l’Exposition coloniale de 1931.
Après la Première Guerre mondiale, la France connu un afflux venu de ses colonies africaines dans la capitale. Les parisiens de longue date furent fascinés par cette culture noire nouvelle dans la ville, notamment en matière de musique. Durant la fin des années 1920, plusieurs boîtes de nuit parisiennes commencèrent à organiser des soirées d’inspiration africaine. Elles étaient très populaires parmi les français peu importe leur origine. Ces bals devinrent l’un des principaux espaces d’interactions interraciales en France.
Alors que les africains et afro-descendants se rendaient au bal colonial, ou bal nègre, pour s’amuser par pur plaisir, les surréalistes français venaient pour observer « scientifiquement » la culture noire. La musique jazz et la danse sensuelle des discothèques noires furent décortiquées et admirées par ces observateurs. Malheureusement, ils contribuèrent à véhiculer toutes sortes de stéréotypes négatifs sur la culture noire.
Pour le commun des Français de l’époque, le Bal nègre était considéré comme le meilleur lieu pour vivre des « expériences exotiques et la liberté sexuelle ». La bourgeoisie parisienne les transformèrent, petit à petit en attractions touristiques. Mais entendons-nous, ces relations interraciales festive ne dépassaient pas les murs des boîtes de nuit parisiennes. Une fois la fête terminée, les structures raciales et sociales classiques de la France du début du XXe siècle reprenaient le relais.
La guerre interrompit les activités de ce bal, qui les reprit entre 1945 et 1962 avec d’autres orchestres. Resté simple café jusqu’en 1989, cet établissement devint alors un club de jazz/blues, sous le nom de Saint-Louis Blues, puis un bal sud-américain en 2000. Il fallut attendre 2015, pour qu’un ambitieux projet de réhabilitation de ce lieu voit le jour. Ce projet porté par Guillaume Cornu de rouvrir cet emblématique établissement fait couler beaucoup d’encre, notamment sur l’emploi en 2017 du terme « nègre ».
Une polémique qui est née suite à une interview pour Africultures où il évoquait des « musiciens au sang noir », et avait affirmé que bal nègre était « un nom magnifique, dansant, chantant et coloré. » Il n’en fallait pas plus pour que la communauté afro française s’indigne et que le CRAN monte au créneau et n’accuse M.Cornu de vouloir chosifier les africains. Une mobilisation qui a porté ses fruits puisque le Conseil représentatif des associations noires à obtenu de faire débaptisé le lieu.