Il y a 40 ans, Léon Gontran-Damas nous quittait. Il fut l’un des pères fondateurs du mouvement de la Négritude dont l’insolente poésie exprimait avec génie la nécessité d’être Noir et fier.
La négritude fut un puissant courant intellectuel poético-politique né en France dans les années 30, à Paris. Cette source d’inspiration du Black Nationalism prônait le sursaut de virilité des populations africaines à travers le monde, en proie à la violence de la colonisation. La Négritude visait à unifier les Noirs du monde entier en proclamant leur unité culturelle. Née dans la tourmente des rapports de domination entre les peuples sombres de la Terre et la barbarie occidentale, ce terme, comme le disait Aimé Césaire désignait en premier lieu :
«Le rejet de l’assimilation culturelle ; le rejet d’une certaine image du Noir paisible, incapable de construire une civilisation. Le culturel prime sur le politique.»
Léon Gontran- Damas naît à Cayenne, en Guyane, en 1912. Il est le fils d’Ernest Damas, un afrodescendant d’ascendance européenne et africaine, et de Bathilde Damas d’ascendance amérindienne et africaine. Cette triple identité, il en parlera avec le talent qu’on lui connait dans « Black Label » :
«Sur la terre des parias/un premier homme vint/sur la Terre des Parias/un second homme vint/sur la Terre des parias/un troisième homme vint/depuis trois Fleuves/trois fleuves coulent dans mes veines»
En 1924, Damas est envoyé en Martinique pour étudier au Lycée Victor Schoelcher. Là-bas, il fera la connaissance d’Aimé Césaire avec qui il se liera d’amitié et avec lequel il collaborera par la suite. 4 ans plus tard, il s’envolera pour Paris afin d’y poursuivre ses études. Là, il croisera de nouveau le chemin de Césaire qui lui présentera Léopold Sedar Senghor. Le trio de Choc de la Négritude était formé.
En 1935, les trois jeunes hommes publièrent le 1er volet de L’Étudiant Noir, un journal mensuel qui fut le premier vecteur du Mouvement de la Négritude. Cette revue, à travers ses articles d’intellectuels noirs francophones, rejetait farouchement la domination politique, sociale et morale de l’Occident. Léon-Gontran Damas décrivait le journal en ces terme :
«l’Étudiant noir, journal corporatif et de combat, avait pour objectif la fin de la tribalisation, du système clanique en vigueur au quartier Latin ! On cessait d’être étudiant martiniquais, guadeloupéen, guyanais, africain et malgache, pour n’être qu’un seul et même étudiant noir.»
Damas publia Pigments son premier recueil de poésie en 1937. Après avoir servi dans l’armée française durant la Seconde Guerre mondiale, il fut élu député de Guyane.
Damas était véritable globe-trotter, il voyagea et enseigna aux quatre coins du monde, que ce soit en Afrique, aux États-Unis, en Amérique latine ou dans les Caraïbes. Il fut également rédacteur en chef de la mythique revue panafricaine Présence Africaine, l’une des revues les plus respectées de la littérature noire.
En 1970, il s’établit à Washington où il sera professeur à l’Université de Georgetown, puis à l’Université Howard. C’est là qu’il écrira son dernier recueil de poèmes, Mine de Rien.
Plus que jamais, Léon-Gontran Damas restera le poète de la souffrance du peuple noir dont les vers puissants, et rythmés sont une dénonciation de l’assimilation. Comment honorer un tel génie si ce n’est en partageant avec vous quelque-uns de ses plus beaux poèmes ? régalez-vous :
T’EN SOUVIENT-T’IL
Le Blanc à l’Ecole du Nègre
tout à la fois
gentil
docile
soumis et singe
Jamais le Blanc ne sera nègre
car la beauté est nègre
et nègre la sagesse
car l’endurance est nègre
et nègre le courage
car la patience est nègre
et nègre l’ironie
car le charme est nègre
et nègre la magie
car l’amour est nègre
et nègre le déhanchement
car la danse est nègre
et nègre le rythme
car l’art est nègre
et nègre le mouvement
car le rire est nègre
car la joie est nègre
car la paix est nègre
car la vie est nègre
T’en souvient-il …
(Léon Gontran DAMAS, extrait de BLACK-LABEL)
SOLDE
Pour Aimé Césaire
J’ai l’impression d’être ridicule
dans leurs souliers
dans leurs smoking
dans leur plastron
dans leur faux-col
dans leur monocle
dans leur melon
J’ai l’impression d’être ridicule
avec mes orteils qui ne sont pas faits
pour transpirer du matin jusqu’au soir qui déshabille
avec l’emmaillotage qui m’affaiblit les membres
et enlève à mon corps sa beauté de cache-sexe
J’ai l’impression d’être ridicule
avec mon cou en cheminée d’usine
avec ces maux de tête qui cessent
chaque fois que je salue quelqu’un
J’ai l’impression d’être ridicule
dans leurs salons
dans leurs manières
dans leurs courbettes
dans leur multiple besoin de singeries
J’ai l’impression d’être ridicule
avec tout ce qu’ils racontent
jusqu’à ce qu’ils vous servent l’après-midi
un peu d’eau chaude
et des gâteaux enrhumés
J’ai l’impression d’être ridicule
avec les théories qu’ils assaisonnent
au goût de leurs besoins
de leurs passions
de leurs instincts ouverts la nuit
en forme de paillasson
J’ai l’impression d’être ridicule
parmi eux complice
parmi eux souteneur
parmi eux égorgeur
les mains effroyablement rouges
du sang de leur ci-vi-li-sa-tion
(Léon-Gontran Damas, Pigments. Névralgies, 1972, éd. Présence Africaine)
NON LE VENT
Non le Vent
qui en fausserait
le sens
contre la vitre
Mais la Pluie – Elle
improvise un poème
avec
fins moulus
à mesure
du rythme martelé
des six maîtresses mains
de
mâles
nègres
les mots-clé du langage
d’une langue lavée
au pied de l’un des trois sauts du Fleuve
en souvenir de ce qui fut au départ de Gorée
et demeure un cauchemar dont les mange-mil
ont de quoi se bâfrer.
Poème inédit de Léon-Gontran Damas
(Léon-Gontran Damas. L’homme et l’œuvre, Paris, Présence Africaine, 1983, p. 139)
En bonus, voici l’ancienne Garde des Sceaux, Christiane Taubira, dont on connait l’amour pour la poésie ainsi que sa terre natal fera résonner les vers emprunt de dignité et de liberté de tout un peuple, à l’Assemblé Nationale #Enjoy :