Les sociétés ‘à traditions écrites’ : pourquoi elles ne sont pas ‘supérieures’

L’inconscient collectif continue à associer l’Afrique noire à un manque d’intelligence. Contrairement à l’Europe, elle ne compterait en effet pas ou peu de sociétés à traditions écrites.

Par Sandro CAPO CHICHI / nofi.fr

Les Noirs ont longtemps été victimes de la négation de leur histoire. Nombre d’entre eux cherchent depuis un moment à se réapproprier celle-ci. Au centre de ce débat opposants ces deux parties, l’écriture joue un rôle de premier plan. Le mot histoire, dans son sens scientifique, est en effet souvent utilisé pour désigner la situation d’une zone géographique lorsque celle-ci commence à être décrite par des documents écrits.

Outre l’histoire elle-même, les traditions écrites sont souvent considérées comme une marque de civilisation. Les sociétés sans écriture et leurs arts sont ainsi souvent qualifiés de ‘primitifs’. L’utilisation d’un système d’écriture par une société est alors vu comme un indice de la supériorité de celle-ci par rapport à celles qui n’en disposent pas.

La présence d’une écriture dans une société n’est pas du tout un gage d’intelligence de ses membres. Ainsi, les membres d’une société sans tradition écrite doivent souvent faire travailler davantage leur mémoire pour retenir et notamment pour calculer. Ainsi, la maîtrise des mathématiques est souvent vue comme une marque d’intelligence. Par exemple, l’explorateur et négociant français Jean Barbot (1655-1712) décrivit en 1732 les habitants du royaume de Ouidah (actuel Bénin). Ils étaient selon lui doués d’une grande mémoire.  Toujours d’après Barbot, ils pouvaient réaliser de gros calculs que selon lui les Européens ne pouvaient réaliser qu’avec un stylo et du papier.

Représentation d'un habitant du royaume de Ouidah (18ème siècle) à gauche
Représentation d’un habitant du royaume de Ouidah (18ème siècle) à gauche

Les membres de sociétés à traditions écrites n’ont aucune raison d’être considérés comme intellectuellement supérieurs à ceux d’une tradition orale. Dans de nombreuses parties du monde musulman, en Afrique noire notamment, la connaissance par coeur du Coran devait être préalable à son étude. Elle était préférée à la seule possession du manuscrit.

Peut-on en dire que les inventeurs de ces écritures sont plus intelligents que les autres? Et que par la présence de ces génies dans des sociétés en fait par extension des sociétés plus intelligentes que ceux n’en comptant pas? Une nouvelle fois, cela dépend de ce que l’on veut dire par ‘inventeurs d’un système d’écriture’. Les sociétés occidentales dénonçant les sociétés négro-africaines comme inférieures sont précisément souvent dénuées d’inventeurs d’écriture’. Elles disposent au contraire d’individus ayant emprunté des systèmes d’écriture (ou simplement l’idée d’écriture) à des cultures étrangères et les ayant adapté à leur langue.

traditions écrites
origine de systèmes d’écriture moyen orientaux et européens via l’égyptien ancien, par Théophile Obenga

Il existe de nombreux inventeurs d’écriture récents en Afrique noire. Il est de ce fait aberrant de prétendre que les Noirs n’en soient pas capables.

Le jeune Cheikh Anta Diop avait créé un système d'écriture appliqué à toutes les langues africaines
Le jeune Cheikh Anta Diop avait créé un système d’écriture appliqué à toutes les langues africaines

L’invention d’une écriture sans inspiration externe ne garantit pas à ses membres d’être ‘supérieurs’. Il s’agit toutefois d’un acte admirable d’un point de vue intellectuel. De cette invention sans inspiration externe, peu de sociétés européennes peuvent se revendiquer.

En revanche, c’est une prouesse dont on peut gratifier des peuples des Amériques, d’Océanie, de Chine, de Mésopotamie et probablement d’Afrique de l’Ouest.

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