Sébastien Onomo est le producteur du film Le Gang des Antillais, sorti le 30 novembre 2016. Un pari osé pour un premier long-métrage duquel découlent des enjeux industriels et cinématographiques importants. Si on connaît souvent les acteurs et les réalisateurs, on parle rarement de ceux qui rendent les projets possibles. A 30 ans, Sébastien Onomo est un financeur de projets, parfois un faiseur de miracles et surtout, un producteur engagé.
Rencontre.
Comment êtes-vous devenu un financeur de projets ?
Je suis passé par différents corps de métiers. J’ai commencé comme comédien dans des court-métrages. Il n’y avait pas beaucoup de rôles pour les gens comme moi, alors j’ai décidé de les créer. Je me suis mis à l’écriture. Sauf qu’il n’y avait personne pour réaliser les projets que j’écrivais car les réalisateurs préféraient réaliser leurs propres projets. Il a donc fallu que je passe à la réalisation. Mais je ne trouvais pas de producteur… Alors j’ai également décidé de m’auto-produire. J’écrivais, je réalisais et produisais des court-métrages, des clips, des programmes courts pendant mes études de lettres à La Sorbonne. J’avais créé une association avec mon cousin, ce qui me permettait d’aller chercher des financements. Mon leitmotiv est simple : « on n’est jamais mieux servi que par soi-même » ! Cette période de ma vie m’a permis de beaucoup apprendre de manière autodidacte. J’ai ensuite fait une maîtrise en production audiovisuelle à l’INA (Institut National de l’Audiovisuel). C’est à ce moment-là que j’ai rencontré Serge Lalou, il m’a repéré lorsque j’étais étudiant là-bas et m’a proposé de rejoindre sa société comme producteur à la fin de mes études. J’avais 24 ans à l’époque, autant dire que c’était une opportunité difficile à refuser.
En France, y a-t-il beaucoup de producteurs de films noirs ?
Non, pas à ma connaissance. Du coup quand on me demande ce que je fais comme métier, et comme je fais relativement bien mon âge, les gens sont souvent étonnés. Je pense que parfois ils ne me croient pas. Moi ça me fait rire. Il faut dire que je suis assez loin de l’imaginaire collectif qu’il y a autour du métier de producteur.
Pourquoi avoir choisi de produire un film comme Le Gang des Antillais ?
D’abord, je connaissais le travail de Jean-Claude. Dès la première rencontre on était sur la même longueur d’onde. Ensuite, parce que le film permettait de raconter la grande Histoire méconnue du Bumidom, à travers la petite histoire, celle qui raconte la trajectoire de Loïc Léry, l’auteur du roman autobiographique Le Gang des Antillais. Enfin, il s’agissait pour moi d’un film universel. On parle dans le film de la migration des ultramarins, mais on pourrait transposer cette histoire à d’autres communautés. C’est ce qui en fait un film rare car il raconte une histoire de la diaspora antillaise, tout en parlant à un public plus large et de manière authentique. Ce qui est troublant, c’est que notre histoire se déroule dans les années 70, mais 40 ans plus tard on en est toujours à se poser les mêmes questions.
Est-ce un pari risqué du point de vue économique ?
Tous les films sont un pari risqué d’un point de vue économique. Le Gang des Antillais est pour moi un enjeu. A la fois économique et éditorial. Compte tenu des difficultés rencontrées pour boucler le financement, il faut que le film marche. On n’a pas d’autres alternatives pour prouver aux investisseurs qu’il y a un public pour ce genre de créations. Le 30 Novembre, on va avoir besoin d’une mobilisation massive du public. S’il est au rendez-vous et que l’on atteint un nombre d’entrées en salles supérieur à 200 000 places vendues, ce qui est une ambition plutôt modeste, nous aurons non seulement prouvé qu’il y a de l’appétence pour ce genre de film, mais aussi que le spectateur est capable de payer sa place au cinéma pour aller les voir.
Que permettrait une exploitation réussie du film pour la suite ?
On assisterait selon moi à l’émergence d’un écosystème viable, qui permettrait la création de beaucoup plus de films dans la même veine. Porté par un autre type de réalisateurs, avec un autre type d’histoire et un autre type de public prêt à payer pour découvrir ces histoires. Je pèse mes mots, mais l’enjeu est réel et le public à la clé pour permettre que les choses changent.
Y a-t-il réellement un malaise dans l’industrie cinématographique française quant aux films dits « communautaires » ?
Oui il y a un malaise. Les films dits « communautaires » posent une question essentielle pour moi : avons-nous envie de connaitre « l’autre » ? Son passé, son Histoire, sociale et ou culturelle. Je suis curieux des autres, et c’est ce qui me permet de me nourrir, d’échanger de dialoguer et d’avoir un entourage « mosaïque ». C’est cette ouverture que j’essaye de faire ressortir dans mes choix cinématographiques. Avec Le Gang des Antillais, nous avons fait un film universel qui parle d’une communauté.
Il s’agit du premier film produit, réalisé et interprété principalement par des Noirs. Peut-on dire qu’il leur est d’abord dédié ?
Oui c’est le cœur de cible du film. Mais il faut aller le voir pour bien se rendre compte des différentes dimensions présentes dans le film.
Pouvez-vous chiffrer « Le Gang des Antillais » ?
Je vais donner les chiffres clés : 5 ans pour boucler le financement du film. 6 ans depuis ma rencontre avec Jean-Claude avant de pouvoir présenter le film dans les cinémas. 2 millions d’euros de budget. 28 jours de tournage. Beaucoup de nuits blanches…
Ces projets sont-ils rentables ?
Si le public va massivement voir Le Gang des Antillais dès le premier jour de sortie le 30 Novembre, le film peut être (très) rentable et nous permettre d’en faire d’autres dans la même lignée derrière.
En dehors de l’aspect économique, quelles difficultés avez-vous rencontrées ?
La plus importante était de garder la ligne éditoriale que l’on s’est fixé avec Jean-Claude en débutant cette aventure. Faire un film avec du fond et avec de la forme. A la croisée des genres entre le film d’auteur et le film de divertissement grand public. Certains des partenaires qui ne nous ont pas accompagné voulaient nous pousser dans un genre ou dans un autre, avec le risque de basculer dans un film trop « intello » dans lequel le public noir ne se serait pas forcément reconnu, ou le risque de basculer dans un pur film d’action qui aurait probablement fait l’apologie du banditisme, et de l’argent facile. Une stigmatisation dont n’a pas besoin la communauté noire de France.
La deuxième difficulté, c’est que l’on est au XXIe siècle et visiblement c’est encore compliqué de concevoir qu’un film avec des noirs dans les rôles principaux peut intéresser le public. Je parle de films qui sortent du registre de la comédie. Ce fut une des plus importantes difficultés, mais bon on a fait avec et le film existe, c’est le plus important maintenant.
Diriez-vous que vous impliquer dans ce type de projets est un engagement ?
Oui. Par rapport au réalisateur qui compte sur nous et sur un accompagnement fidèle du début à la fin. Oui parce que je ne me lance sur des productions cinémas que lorsque je sens que ce film a du sens pour moi, et pour ce que je peux sentir des attentes des spectateurs. Oui parce que cela nous a pris 6 années de nos vies pour pouvoir le présenter au public, et espérer qu’ils seront nombreux au rendez-vous le 30 Novembre pour soutenir le film et la démarche.
Vous définissez-vous comme un producteur militant ?
Oui, je milite à travers mes choix éditoriaux. Mais tu ne me verras pas forcément dans des manifestations où ce genre de choses. Je préfère le concret, je préfère faire. Le blabla, c’est pas trop mon truc.
Quels sont vos productions à venir ?
Je produis actuellement un film d’animation sur le régime des khmers rouges, un premier film de Denis Do. Le prochain film de Thierry Binisti est en cours de financement. Le projet est en cours d’écriture et nous avons déjà quelques partenaires. Si ma communauté soutient Le Gang des Antillais, je produirais le prochain film de Jean-Claude Barny qui est un biopic sur Frantz Fanon.