2 : Léo et le cauchemar Congolais (ou Léo le sanguinaire, ou Léo le vampire)
Désormais propriétaire de ce jardin d’Eden, Léo met le paquet pour développer et exploiter au maximum les ressources naturelles du Congo. Dispensaires, écoles, routes, et autres infrastructures modernes de l’époque sont installées. L’association n’étant plus nécessaire, le roi la remplace par un cabinet de gestion du nouvel état.
Comme un amoureux jaloux, le souverain ne tolère la présence d’aucune autre forme de domination ainsi, il chasse les esclavagistes arabes alors présents dans l’Est du pays. [Cela faisait également partie des « vraies » mission s de l’AIA]. Toutefois, cette conquête qui n’avait rien n’à voir avec les intérêts de la population locale se transforme rapidement en cauchemar congolais. Pour lutter contre les convoitises d’autres puissances occidentales (France, Portugal, Angleterre, Etats-Unis), Léo mobilise les esclaves noirs libérés du Congo ainsi que les enfants pour en faire des soldats, sous les ordres de mercenaire blancs belges et étrangers. Par ailleurs, Léo envoie son armée éliminer l’irréductible chef du Haut-Congo (région du Katanga) et prendre ainsi possession du territoire. Comme les dispositions de la conférence de Berlin interdisaient l’esclavage et la traite, il contourne la législation grâce au travail forcé. En effet, il instaure « le régime domanial » : tout territoire n’ayant pas été colonisé, il s’en saisit de fait, obligeant ainsi les propriétaires congolais (et quelques rares étrangers) à travailler pour son compte.
Parce que l’entretien d’un tel espace (80 fois la Belgique) coûte cher, Léo le visionnaire divise le domaine en deux parties : l’une reste sa propriété (la zone domaniale) ; l’autre est confiée à des entreprises d’exploitation afin d’optimiser les frais et de rapporter des l’argent. Il exploite d’abord le caoutchouc et l’ivoire. Son monopole sur le commerce sera renforcé par un décret secret qu’il édite en 1891. Par conséquent, les commissaires ont carte blanche pour maintenir le monopole du roi sur les richesses congolaises.
« La prime était d’autant plus forte que le prix de revient [de l’ivoire ou du caoutchouc] était plus bas, et si l’on parvenait à se procurer [de l’ivoire ou du caoutchouc] pour rien, en faisant des exactions militaires, dans les régions où le contrôle de la justice était inexistant, la prime atteignait son maximum » rapporte un missionnaire.
Bien entendu, la population se doit de fournir la nourriture aux soldats et aux gestionnaires de comptoirs. Les congolais récalcitrants, hommes, femmes et enfants sont déportés dans des camps. Beaucoup meurent en captivité après avoir contracté des maladies. Ces détenus ne peuvent être libérés que par des hommes de leur famille et en échange d’ivoire ou de caoutchouc. Une fois libres, ils sont exécutés afin que les techniques de prise d’otage ne soient pas révélées aux autres. Léo instaure fait germer la haine du congolais par son semblable en recrutant des locaux pour torturer leurs frères.
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Les rapports sont formels : « Ce n’était pas une coutume indigène antérieure à l’arrivée du blanc : ce n’était pas le résultat des instincts primitifs de sauvages dans leurs luttes entre villages ; c’était un acte délibéré de soldats d’une administration européenne. » Rapport Casement, 28 décembre 1903
Enfin, le système d’exploitation des richesses offre de généreuses primes aux officiers belges. Ainsi, plus la quantité d’or ou d’ivoire est importante, plus la compensation est intéressante. Il faut toujours plus, ce qui donne lieu à des exactions répétées : mutilation, amputations des mains, viols, assassinats). Des hommes périssent en transportant sur le dos des paniers emplis de marchandises. D’autres meurent plus tard lors de la construction de la ligne de chemin de fer Léopoldville-Matadi. En 1903, le prix du caoutchouc augmente considérablement. Du coup, les massacres aussi puisqu’il fallait compenser en quantité le précieux liquide, jusque-là exploité à bas prix. Les langues commencent à se délier, les officiers témoignent, les observateurs et militants anti-Léopold II s’indignent. Léo prend les devants avec une campagne publicitaire faramineuse. Grâce à cela, il veut réduire à néant les accusations des britanniques, surtout, et acquérir à sa cause les sujets belges qui ignorent, pour le plus grand nombre, l’horreur du règne de leur souverain au Congo. Il crée une « commission de protection des indigènes » et paye des « journalistes » au sein du département des affaires intérieures (baptisé bureau de presse), pour qu’ils écrivent tout le bien de la colonisation du roi. Cela fonctionne pendant quelques temps.
Pourtant, la pression s’accentue et en 1904, Léo n’a pas d’autre choix que d’accepter la constitution d’une commission d’enquête. Toutefois, sa majesté, qui n’aime pas perdre, décide de gérer lui-même, avec ses gens de confiance cette institution imposée. De cette façon, il gagne encore un peu de temps. Après tout, il s’est démené pour conquérir ce Jardin d’Eden, il donc hors de question d’abdiquer aussi facilement…
Extrait des révélations du missionnaire américain Murphy pour le Times du 18 novembre 1895 : « La question du caoutchouc est au cœur de la plupart des horreurs perpétrées au Congo. Elle a plongé la population dans un état de total désespoir. Chaque bourg du district est forcé d’en apporter une certaine quantité tous les dimanches au quartier-général. Le caoutchouc est récolté par la force ; les soldats conduisent les gens dans la jungle ; s’ils ne veulent pas, ils sont abattus, leurs mains sont coupées et portées comme trophée au commissaire. Les soldats se moquent bien de ceux qu’ils frappent et tuent, souvent des pauvres femmes sans défense et des enfants inoffensifs. Ces mains — les mains des hommes, des femmes et des enfants — sont alignées devant le commissaire qui les compte pour vérifier que les soldats n’ont pas gaspillé leurs cartouches. Le commissaire est rémunéré l’équivalent d’un penny par livre de caoutchouc récoltée donc évidemment son intérêt est d’en faire produire autant qu’il est possible ».
A suivre : Léo et les britanniques et les autres (ou Léo et va-t-en guerre)