Le Nsibidi est un système d’écriture répandu au sud-est du Nigéria.
Par Sandro CAPO CHICHI / nofi.fr
Le débat opposant les partisans de la présence de grandes civilisations en Afrique Noire à ses négateurs prend souvent la forme suivante. Tout d’abord, le négateur occidental présente ‘sa’ civilisation comme un modèle auquel tout autre culture doit se conformer pour pouvoir prétendre à ce statut. Dans ce dialogue biaisé où le négateur donne la cadence (et qui se retrouve aussi dans d’autres domaines comme, celui des critères de beauté), le défenseur des civilisations noires se démène ensuite pour trouver des exemples contredisant le propos du négateur.
Malheureusement, le défenseur des civilisations noires sort souvent frustré de ce genre de conversations. En effet, le négateur, parce qu’il fixe les règles du jeu, finit systématiquement par y avoir le dernier mot.
Cela étant dit, dans cet interminable débat, la science semble avoir ces dernières années apporté de nouveaux éléments contredisant une nouvelle fois le négateur. On se base là sur les recherches de l’archéologue nigérian Ekpo Eyo et son élève américain Christopher Slogar. Ainsi, pour eux le Nsibidi, une écriture répandue au sud-est du Nigéria, aurait des origines remontant à plus d’un millénaire. Mais qu’est-ce donc que le Nsibidi?
Le Nsibidi
Le Nsibidi est un système d’écriture partagé par des populations du Sud-Est du Nigéria comme les Ekoi, les Igbo ou les Efik. Parce qu’au sein des Ekoi, il disposerait d’une diversité plus grande, des chercheurs ont suggéré qu’il se serait développé à partir de ce groupe ethnique vers les autres.
Usage dans la société
Dans certaines régions, le Nsibidi est associé aux membres de la société secrète des hommes-léopards appelés Ekpe, Mgbe ou Ngbe selon les langues. Ceux-ci disposaient traditionnellement d’un pouvoir judiciaire et exécutif important sur le reste de la société. Mais dans d’autres, il est beaucoup plus répandu.
Les supports d’écriture
Le Nsibidi était alors déjà utilisé sur plusieurs médias. Il l’était par terre, peints sur des murs, sur de la poterie, des feuilles, du tissu, du bois, du métal ou encore comme décorations corporelles.
La fonction
Le Nsibidi est traditionnellement utilisé pour exprimer des messages tabous comme d’amour. Il l’est aussi pour rendre des déclarations publiques comme des jugements, pour avertir de dangers imminents ou encore comme des marqueurs d’identités. Ainsi, dans son article de 1909, le Révérend J.K. MacGregor rappelle que :
« L’utilisation du Nsibidi est celle de l’écriture ordinaire. J’ai en ma possession une copie de la transcription d’un procès de la région d’Enyon et chaque détail, sauf les preuves, y est écrit. »
La structure
Loin d’être figé, le Nsibidi est un système d’écriture qui varie à certains degrés selon la région, le sexe ou l’âge. Ainsi, un peu comme une langue parlée, qui change d’une région à une autre et qui varie selon le sexe et l’âge de ses locuteurs, il s’enrichit continuellement de nouveaux éléments. Ceux-ci peuvent être dus à un contact ou à des innovations internes. Toutefois, son noyau dur reste compréhensible ici et là.
« Dans l’intérieur, les enfants et les jeunes filles ont toujours leurs corps peints avec des motifs représentés par des teintures de feuilles noires(…)Elles aiment aussi particulièrement orner leurs visages, surtout leurs fronts, avec des motifs de différentes couleurs. La maîtrise absolue de ceux-ci est largement supérieure à celle que l’on pourrait attendre de la part d’Européens. La variété de ces motifs est extraordinaire. Plusieurs centaines de croquis furent réalisés par ma femme et sa soeur-leur nombre semblait en effet infini. Ses contours sont souvent remplis de Nsibidi et parfois, la vie entière d’une fille est racontée de cette manière. Et ces motifs sont toujours tracés par une parente . »
Quel type d’écriture?
Car comme l’écriture chinoise par exemple, le Nsibidi est composé de logogrammes (de signes représentant des mots). Comme un Cantonais, un Mandarin ou un Japonais comprendront dans un texte qu’un caractère représente un enfant par exemple, nombre de personnes du Sud-Est du Nigéria comprendront que le signe suivant renvoie à une personne et que le suivant renvoie à l’amour. Ainsi, le sens des caractères importe peu, le texte reste compréhensible.
Les anciennes racines du Nsibidi
Des chercheurs ont autrefois suggéré une connexion entre hiéroglyphes égyptiens et Nsibidi. Toutefois, ces comparaisons ne reposent pas sur grand chose. Plus récemment, l’excavation de poteries datées entre le 5ème et le 15ème siècles de notre ère par le regretté archéologue nigérian Ekpo Eyo et leur analyse par son élève historien de l’art Christopher Slogar a montré l’utilisation très ancienne de nombreux signes du Nsibidi.
Toutefois, la profondeur historique de ce dernier était déjà évidente.
En effet, dès le début du vingtième siècle, existaient des comme S, qui en Nsibidi veut dire dans des régions lointaines un trouble-fête. La signification de ce signe était alors répandue chez des peuples distants et sa signification n’était pas devinable à son apparence. Son existence devait donc être bien antérieure à cette période. Le contexte d’utilisation des signes présents sur les poteries reste pour l’instant à préciser. Toutefois, l’ancienneté de ces poteries suggère fortement que l’écriture chez les populations du sud-ouest du Nigéria serait apparue avant l’arrivée des Européens. Elle y serait donc probablement le résultat du génie de populations noires africaines.
Références
Christopher Slogar / Early Ceramics from Calabar, Nigeria: Towards a History of Nsibidi
J.K. Mac Gregor / Some notes on Nsibidi