Richard Mpassi, pionnier de la danse Hip-Hop et instrument de la cause africaine

A l’occasion de son spectacle  en solo « Esclave »*qu’il a joué à Laplace, Nofi a rencontré le célèbre danseur franco-congolais Richard Mpassi. Précurseur de la danse Hip-Hop en France, après avoir intégré la première compagnie de danse hexagonale et performé dans le monde entier, il revient aujourd’hui avec une prestation engagée pour dénoncer les crimes au nord du Congo Kinshasa. Besoin de se libérer d’un fardeau, besoin de parler de l’Afrique, besoin de contribuer par son art, Richard Mpasssi se livre ici avec sensibilité.

Entretien

Pourquoi avoir appelé ce spectacle « Esclave » ?

Quand je dis esclave, je ne parle pas de l’esclavage qu’on a subit mais plutôt en terme général en pointant le doigt sur l’Afrique. Aujourd’hui je suis esclave en tant que Noir parce qu’on nous pille nos richesses sans qu’on ne puisse rien faire, face aux viols et tout ce qui se passe je suis impuissant pare que ça me dépasse. Tous les pays occidentaux sont en train de manger l’Afrique et nous, nous n’avons rien. C’est ça l’esclavage dont je parle.

Richard Mpassi en représentation pour son spectacle "Esclave"
Richard Mpassi en représentation pour son spectacle « Esclave »

Pourquoi était-ce important pour vous de parler des exactions au Kivu ?

Je viens du Congo Brazzaville, dans l’histoire, le Kongo était un royaume. Donc que ce soit ce qui se passe de l’autre côté à Kinshasa ou chez moi, je me sens concerné. Aujourd’hui je sens un fardeau, en tant qu’un des pionniers de la danse Hip-Hop en France, avec la maturité que j’ai, j’ai besoin de parler de l’Afrique noire. J’ai participé à une levée de fonds pour la fondation Panzi, du docteur Denis Mukwegue, qui répare les femmes et fillettes violées. Une de mes amies qui organisait cet événement m’a contacté pour y faire un freestyle. Elle m’a expliqué et j’ai fait des recherches sur internet, j’ai senti un poids. De là, j’ai décidé de préparer un spectacle pour danser avec mon cœur, et de laisser tomber le freestyle qui est une performance facile pour moi. J’ai monté un show de 3 minutes avec des extraits de reportages pris sur internet et des témoignages de femmes violées. Mon frère a composée la musique et c’est ce spectacle que je joue sur scène. Ça fait des siècles que ça dure mais on n’en parle pas à la tété parce que c’est très politique.

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Vous trouvez qu’il n’est pas suffisamment question de l’Afrique noire dans le Hip-Hop ?

Je pense qu’on n’en parle pas assez. Aujourd’hui j’ai envie de faire ma part et plus je danse, plus ça me libère de ce fardeau. Les gens viennent me voir à la fin du spectacle, émus par cette tragédie, ça interpelle. C’est une situation peu connue qui dure depuis trop longtemps. Je suis arrivé en France il y a 43 ans et ça avait déjà commencé.

En tant qu’homme, pourquoi la situation de ces femmes du Congo vous touche autant ?

Parce que je suis un être humain et lorsque je fais ce solo, il m’arrive d’avoir es larmes aux yeux. J’arrive à sentir cette douleur, rien que le témoignage me donne des frissons. Dans ce spectacle j’interprète le rôle d’une femme violée, c’est très difficile.

Avez-vous rencontré des problèmes pour jouer ce spectacle ?

Pas encore. Peut-être que j’en rencontrerais mais pour l’instant, il n’y a que du positif. Je suis croyant donc je n’ai pas peur.

Richard Mpassi Crédit photo: Heman School
Richard Mpassi
Crédit photo: Heman School

Vous faites partie des précurseurs de la danse Hip-Hop en France, comment avez-vous embrassée cette carrière ?

J’ai commencé à danser en 1976, en amateur. Mon père m’avait offert un mange-disque, il  écoutait beaucoup de musique. Moi, c’est James Brown en 45 tours qui a provoqué mon déclic. Plus tard, vers 1978, j’allais dans les clubs (Rex Club, Palace, Bataclan) où j’ai commencé  à me perfectionner en danse. En 1984, il y avait un casting pour rejoindre une compagnie de danse dans le 78 (Yvelines), organisé par Jean Djemad et Christine Coudin. Ils ont recrutés 38 danseurs dont moi, sous l’œil juge de Sidney (H.I.P-H.O.P). C’est là qu’est née la première compagnie hip-hop française, Black Blanc, Beur. L’idée, visionnaire pour l’époque, était de mélanger plusieurs cultures. Après notre premier spectacle, du jour au lendemain on a explosé. On a commencé à être appelés dans toute l’Europe. Ça m’a permis de faire le tour du monde. J’ai dansé dans toute l’Afrique noire et du Nord.

A quel moment avez-vous pris vos distances pour débuter une carrière solo ?

Je suis resté près de 20 ans avec cette compagnie. Ensuite, je me suis associée avec d’autres pionniers pour monter notre propre compagnie autour de la danse qu’on défend, le Jazz-Rock. Le collectif jeu de jambes était né. On a tourné ensemble pendant 10 ans. Puis j’en suis sortit parce je sentais qu’on ne partageait plus la même vision. Avec deux autres danseurs, on a monté le trio  Magic Step  qui existe depuis près de six ans. Je fais toujours partie du groupe mais parallèlement, avec un collègue de Magic Step aussi, on a monté le duo Two feet pimentos et maintenant, le solo que j‘ai monté par rapport au Congo. Il est tout neuf, il date de juillet 2016. J’ai 53 ans et je danse depuis 34 ans.

Le trio Magic Step
Le trio Magic Step

Est-ce que tout au long de votre carrière James Brown est resté votre source d’inspiration ?

Il a toujours été mon déclencheur, c’est la base. Il fait de la soul et la soul c’est l’âme, la souffrance aussi. James Brown a un côté spirituel, dans sa jeunesse, il avait  servi dans les églises. J’ai été voir le biopic, j’avais les larmes aux yeux. Pour moi c’est le roi et, de lui sont nés des princes tels que Michael Jackson et Prince. Ils se sont tous deux inspirés de lui. Comme les américains le font, je pense que les rappeurs français aussi devraient aller puiser dans la culture française de leurs aînés, c’est ce qui manque beaucoup.

Si vous deviez qualifier votre art, vous diriez quoi ?

Je suis un danseur de l’Eternel, je danse pour Dieu. Lorsque je monte sur scène, je fais en sorte que le public ne se soit pas déplacé pour rien. Je suis un instrument, je monte sur scène pour me laisser mourir et donner aux gens. C’est pour ça qu’il se dégage quelque chose de spéciale dans ma gestuelle, quelque chose de spirituel.

Quels liens entretiennent les danseurs avec les autres acteurs du Hip-Hop ?

J’ai eu l’occasion d’accompagner des chanteurs à la télévision, avec des grands comme Ricky Martins. J’ai rencontré des personnalités ce qui m’a plu au début. Quand vous dansez derrière un chanteur, vous avez une situation confortable au niveau des cachets. Mais, à la longue, ça ne m’intéressait plus alors j’ai commencé à chorégraphier des spectacles pour les artistes. Depuis, j’enseigne la danse, notamment dans l’école de danse que je tiens avec mon frère, Heman School, à Neuilly-Plaisance (Scène Saint-Denis), depuis 10 ans. Nous avons 200 adhérents et j’ai aussi ma propre compagnie dans laquelle je me suis engagée à former des femmes en Jazz-Rock. Je transmets aussi ma danse à moi que j’appelle le MP Style. Elles monteront bientôt sue scène pour montrer que les femmes aussi peuvent maîtriser le Jazz-Rock.

Richard Mpassi en plein cours de danse dans son école Heman School Crédit photo: Heman School
Richard Mpassi en plein cours de danse dans son école Heman School
Crédit photo: Heman School

Pourquoi est-ce important pour vous de transmettre ?

J’ai une connaissance et je me dis que je ne peux pas partir comme ça sans laisser mon savoir-faire. Chaque personne qui maîtrise quelque chose à le devoir de la transmettre.

Qu’est-ce que ça représente pour vous de jouer ici, au centre culturel du Hip-Hop (Laplace) ?

Comme je l’ai dit lors de l’inauguration de Laplace, c’est positif. Moi j’ai commencé à danser dans une cave aménagée, dans la fin des années 1970, un lieu comme celui-ci était bien loin d’être à l’ordre du jour. Aujourd’hui, je sui content qu’il y ait en France un endroit où les gens peuvent venir s’entraîner. J’ai vu arriver le Hip-Hop, dans le milieu, beaucoup me reconnaissent comme étant un ancien et viennent me demander conseil. Je leur donne des pas parce que ce qui leur manque aujourd’hui, selon moi, c’est de la fluidité dans les gestes. Il y a des échanges qui se font comme ça. Tout le monde est connecté. Des gens comme moi peuvent témoigner. C’est vrai que le Hip-Hop a amené des bagarres et d’autres choses négatives mais c’était utile, il fallait qu’il se passe ça, l’assimilation du Hip-Hop ne pouvait pas se faire sans ça. Donc c’était aussi positif. En plus, les personnes qui dirigent le centre, comme Mourad, sont des connaisseurs et c’est bien parce que je craignais de voir sur place des gens qui n’ont aucun lien avec ce mouvement.

En tant qu’expert, diriez-vous que la danse, c’était mieux avant ?

Pour la nouvelle génération oui c’est mieux. C’est plus pratique. J’ai commencé à danser quand il y avait trois chaînes. Aujourd’hui on peut apprendre à danser en regardant la télé. Donc oui, en ce sens c’est mieux mais, il manque quelque chose à la plupart des danseurs qui apprennent par cet intermédiaire,  le flow. Il manque la soul (rires). Donc finalement oui et non.

 

A ne pas rater ce spectacle que j’ai appelé « esclave »et qui est en train de mûrir. J’ai décidé de mettre le mot « esclave » en lari*, ça donne « Boembo ». Parce qu’en français, si tu ne connais pas ça fait peur donc à bientôt pour le spectacle Boembo.

*Lari : langue du Congo Brazzaville.

SK
SK
SK est la rédactrice/ journaliste du secteur Politique, Société et Culture. Jeune femme vive, impétueuse et toujours bienveillante, elle vous apporte une vision sans filtre de l'actualité.

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