En évoquant le génie architectural des civilisations africaines dans l’histoire, on évoque quasi exclusivement les ruines de civilisations du continent africain.
Par Sandro CAPO CHICHI / nofi.fr
On aurait pourtant à gagner à y inclure les constructions de Noirs afro-descendants ailleurs dans le monde. Un cas édifiant à ce propos est celui des bâtiments des Ramiers ou de la citadelle Laferrière et surtout du Palais Sans-Souci, bâti à Milot au nord d’Haïti entre 1810 et 1813 par l’un des principaux leaders de la révolution haïtienne, Henri Christophe, qui régna sur le nord du pays entre 1807 et 1820 sous le nom d’Henri Ier.
Les origines du palais
Les théories sur l’origine du nom du Palais Sans Souci sont diverses. Selon une hypothèse peu probable, il s’agirait d’un qualificatif signifiant ‘nonchalant’ appliqué au roi. Selon une autre hypothèse plus convaincante, l’adjectif décrirait l’édifice qui aurait été une résidence de repos pour Henri Christophe.
L’édifice aurait, selon un développement de cette dernière hypothèse, été inspiré d’un point de vue architectural par le palais de Sans Souci de Potsdam en Allemagne bâti entre 1745 et 1747 pour l’Empereur prussien Frédéric II, bien qu’il n’y ait pas de preuves formelles d’une telle influence.
Comme le rappelle toutefois feu l’anthropologue Michel-Ralph Trouillot, Sans Souci est aussi le nom de Jean-Baptiste Sans Souci, un héros de la révolution haïtienne qui devint l’un des principaux rivaux d’Henri Christophe durant celle-ci. Sans Souci ayant été tué par Henri Christophe sur le lieu même où a été bâti le palais, il est peu probable que son nom n’ait aucun rapport avec le nom du palais. D’après l’hypothèse convaincante de Trouillot, le palais aurait été bâti sur le lieu d’enterrement de la mort du principal rival d’Henri Christophe selon une vieille coutume africaine consistant à absorber de cette sorte la puissance de son rival. Elle aurait été inspiré par des Haïtiens originaires du royaume fon de Dahomey, nombreux et influents dans l’entourage d’Henri Christophe et dont le nom même du pays d’origine témoignerait d’une pratique similaire : Dahomey (Danxome), qui signifie dans le ventre de Dan, serait une référence au meurtre de Dan, un chef local sur le corps duquel le roi Dakodonou aurait bâti son palais, donnant par extension son nom à tout le royaume. En réalité, les deux solutions ne sont pas exclusives et il est tout à fait possible que la référence à l’existence d’un palais Sans Souci à Potsdam ait pu motiver la création d’un palais au nom de Jean-Baptiste Sans Souci ou vice-versa. Dans de nombreuses cultures africaines et du reste du monde en effet, l’homonymie de deux noms peut renforcer le choix de leur utilisation pour nommer un homme ou une chose.
Le palais
Le palais à proprement parler et ses dépendances réunies au même endroit afin de centraliser l’exercice du pouvoir en un seul endroit formaient un ensemble de 8 hectares décorés de jardins et constituaient une ville à part entière. Le fondateur de la géographie moderne, l’Allemand Carl Ritter, lors de son passage sur les lieux à la mort d’Henri Ier a témoigné de son admiration pour le palais, déclarant qu’il était « très impressionnant à voir ».
Après la mort d’Henri Christophe en 1820, le palais fut toutefois pillé et davantage encore endommagé lors d’un séisme en 1842. Pas plus que l’architecture monumentale européenne ne serait qu’une pale ‘copie’ de l’architecture d’Egypte et d’Asie Occidentale, mais une appropriation et une adaptation progressivement de plus en plus différente de celle-ci, le palais Sans Souci n’est une ‘copie’ de l’architecture européenne de l’époque. L’évolution artistique se nourrit de la confrontation de modèles et de la volonté de les surpasser. Sans Souci est d’une réadaptation habile et tout à fait originale de différents courants architecturaux qui ont offert à ce bâtiment construit par et pour des Noirs des Amériques la réputation d’être à son époque le plus beau magnifique des Antilles.
Les ruines de ce fabuleux édifice en harmonie avec son cadre pittoresque rendent ainsi toujours justice aux mots du chancelier du royaume, Vastey, pour qui les motivations de son bâtisseur Henri Christophe qui étaient de prouver au monde les capacités d’architectes des Noirs: « Cette année nous vîmes achever entièrement le palais sans souci et l’Eglise Royale de Cette ville. Ces deux monuments érigés par les descendants d’Africains, montrent que nous avons conservé le goût architectural et le génie de nos ancêtres ; eux qui ont couvert l’Ethiopie, l’Egypte, Carthage, et la vieille Espagne avec leurs superbes monuments ».
Bibliographie
Between History and Histories: The Making of Silences and Commemorations
http://whc.unesco.org/fr/list/180/