La guerre civile du Soudan, l’une des plus meurtrières de l’histoire contemporaine, a renvoyé au monde l’image des Arabes soudanais comme d’un peuple honteux de sa négritude. Qu’en est-il réellement?
Par Sandro CAPO CHICHI / nofi.fr
S’il est toujours abusif de généraliser certaines caractéristiques à l’ensemble de populations, le refus de se considérer comme des Arabes non-noirs plutôt que comme des Noirs africains semble être fréquent chez les Soudanais. C’est notamment ce que semblent montrer nombre d’études. Un témoignage particulièrement édifiant à ce propos est celui de l’important homme politique Zin al-Abdin al-Hindi qui, tout en admettant sa négro-africanité partielle en 1995 à un public soudanais à Londres, n’a pu taire sa répulsion à son égard:
« Je suis un Arabe. Je sais que je suis un Arabe. Personne ne peut le nier.J’ai une généalogie (…). Je descends du Prophète. Cependant, personne ne peut remettre en question mon africanité. Nous sommes venus et nous nous sommes mélangés avec eux et le résultat est notre laideur. »
Nombre de Soudanais, s’ils se considèrent comme des Arabes, ne peuvent évidemment pas nier leur héritage au moins partiellement négro-africain. Il est généralement expliqué par le métissage entre un père arabe et une mère négro-africaine. Les sociétés arabes étant patrilinéaires, être fils d’un père arabe fils d’un père arabe fils d’un père (…) justifierait que les Soudanais se considèrent des Arabes.
Les revendications d’ascendance arabe des Soudanais n’étaient jusqu’à présent pas prises au sérieux en dehors de leur pays. Ils étaient considérés comme des Nubiens ayant changé d’identité ethnique entre le 16ème et le 19ème siècle. Toutefois, une récente étude génétique par Hassan et al. (2008) vient peut-être de les confirmer. Elle conclut en effet que l’ancêtre patrilinéaire d’une partie significative des Arabes soudanais est partagé avec des populations de la péninsule arabique, à un degré même plus important que les ‘Arabes’ du Maghreb et d’Egypte. Les Arabes soudanais auraient donc raison de se considérer comme des Arabes.
La mondialisation, qui voit des Soudanais systématiquement perçus comme des Noirs dans les pays occidentaux comme moyen-orientaux a évidemment conduit de nombreux Soudanais à davantage accepter leur négro-africanité. En outre, historiquement, de nombreuses personnalités arabes de ce pays ont publiquement revendiqué leur négro-africanité.
Parmi deux des plus fameux, on citera par exemple Tayeb Saleh, considéré comme l’un des plus grands écrivains de langue arabe, dont l’Afrique noire fait figure de régulière toile de fond dans les romans. Pour lui, tous les Soudanais sont métissés de Nubiens d’Arabes et de Noirs africains plus au sud. Enfin, le célèbre poète Mohammed Moftahh Elfitory, dans un poème de 1967 ‘Ana Zanji’ (Je suis Négro-Africain), ne fait aucun mystère quant à son appartenance à cette identité, pourtant méprisée par tant de personnes dans le monde arabe depuis ses origines à ce jour:
Dis le à la face de l’humanité,
Je suis Africain,
Mon père et mon grand-père sont Africains,
Ma mère est Africaine,
Je suis Noir,
Noir mais libre, j’ai la Liberté,
Ma terre, c’est l’Afrique,
Vive ma terre,
Vive l’Afrique !(…) »
Références
Nos Ancêtres les Arabes / Xavier Luffin
Y-chromosome variation among Sudanese: restricted gene flow, concordance with language, geography, and history / Hisham Hassan et al.
The Crisis of Identty in Northern Sudan / Al-Baqir al-Afif Mukhtar
