Le Gang des Antillais : Rencontre avec les compositeurs de la B.O engagée

James Edjouma, aka Bks et Thibault Agyeman sont les créateurs de la Bande-Originale du Gang des Antillais. Un film criant de réalisme, un film de gangster des années 1970, un film inédit. Pour compléter cette fiction-vérité, il fallait que la musique soit à la hauteur. Grâce au travail de ces deux mélomanes techniciens, cette B.O est la rencontre d’artistes aux textes engagés, qui viennent sublimer les images du réalisateur. L’occasion de s’intéresser au travail capital de ces compositeurs sans qui le film serait incomplet.

Entretien.

Quels sont vos parcours respectifs ?

J : Thibault vient de la musique de film classique, moi je viens plutôt de l’urbain, même si je fais un peu de musique de film aussi. Donc ça a vraiment été la rencontre de deux mondes. Je suis auteur-compositeur. J’ai été repéré par Akon, c’est au sein de sa structure que j’ai fait mes premières armes. J’ai ensuite été signé  chez Universal aux Etats-Unis. Je composais des titres pour des artistes de la maison pendant quelques années pour Snoop Dogg, P.Diddy, Ja Rule ou Booba. A cause de différences contractuelles et de vision, j’ai décidé de partir pour recommencer à zéro. Ainsi, j’ai cofondé la structure Grown Kid il y a à peu près quatre ans. Nous faisons essentiellement de la musique de l’image pour l’instant, mais on a plusieurs casquettes. C’est en cohérence avec l’évolution de la musique d’aujourd’hui, on ne peut pas être juste compositeur dans un domaine particulier et s’en contenter. Sauf si on a la chance d’avoir le hit qui va tourner toute sa vie. Sinon, on a besoin de toucher à tout.

T : Mon père est musicien donc j’ai baigné dedans dès mon plus jeune âge. Je joue du piano depuis tout petit. J’ai suivi une formation au conservatoire pendant une dizaine d’années. Vers 10-13 ans je me suis essayé à la musique sur ordinateur. De la Soul, du  hip-hop, des choses avec beaucoup de violon. J’ai aussi joué dans des groupes et l’idée de la musique à l’image m’est venue vers 20 ou 21 ans. Je n’ai pas suivi de cursus particulier pour ça. Finalement, on s’aperçoit que ce n’est pas forcément nécessaire à partir du moment où on est capable de faire. J’ai commencé à travailler sur des courts-métrages pour des amis qui étaient en école de cinéma. Au fur à mesure, j’ai rencontré des gens avec qui j’ai bossé sur des films plus officiels et j’ai eu la chance de faire la musique du dernier Kirikou, sorti en 2012. Ce projet m’a fait entrer dans le monde professionnel du cinéma français. Je suis encore à l’aube de tout ça, Le Gang des Antillais est mon deuxième long-métrage. Je travaille actuellement sur le troisième, dont je ne peux pas encore parler.

Est-ce difficile de pénétrer le milieu de la musique de film ?

T : je dirai qu’il y a trois ingrédients essentiels pour réussir dans ce milieu. Il faut du talent, de la chance et du réseau. Si on a ces trois choses là, on peut commencer à prétendre pouvoir faire quelque chose. Maintenant ce n’est pas facile. Si ça l’était ce ne serait pas drôle.

J : Quand on écoute ce qui sort aujourd’hui, la musique est devenue très accessible, du coup le talent n’est plus qu’un paramètre parmi tant d’autres. C’est pourquoi le facteur chance est très important, développer son réseau et avoir une casquette business. C’est un peu là que certains pêchent, car ils restent focus sur le côté créatif, sans prendre en compte cet aspect.

Comment avez-vous été recrutés sur la B.O du Gang des Antillais ?

T : Je connais le producteur. Il m’a présenté au réalisateur à qui j’ai fait écouter des compositions. Le reste s’est fait naturellement. Sur ce projet j’ai également rencontré James, avec qui il a été très facile de travailler parce qu’on a la même sensibilité musicale. On se comprend directement.

J : Sébastien connaissait déjà un peu mon travail, via mon label. Une relation commune connaît nous a mis en relation et ça s’est fait comme ça, de fil en aiguille. J’y ai rencontré Thibault. Je pense que chacun, malgré des délais relativement courts, a respecté les compétences de l’autre. Nous avons travaillé en harmonie.

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James Bks et Tito Prince en séance d’enregistrement

Quelle a été la difficulté de travailler sur cette B.O ?

T : La difficulté était également amusante parce qu’il fallait arriver à trouver la couleur. Réussir à faire une musique à la fois Old School et moderne, tout en conservant les codes et la texture. Donc c’était amusant de pouvoir tenter des choses. On voulait que la musique fasse écho au contexte, les années 1970, mais aussi à ce qu’il se passe aujourd‘hui. Il y a une interaction entre la soul, et le hip-hop. Ça  été la fusion entre deux univers.

J : On a eu de la chance de travailler avec Jean-Claude. Il nous a laissé la chance d’exprimer notre créativité. Il nous a aussi proposé des choses, et on a réussi à réaliser ce qu’on voulait. Ce fut une belle collaboration et ce sont des projets rares en France.

Avez-vous personnellement choisi les artistes présents ?

J : C’est une réflexion qu’on avait eu avec Jean-Claude et Sébastien Onomo, le producteur. A savoir quel artiste était à même d’aborder ce thème et de le mettre en musique. Il y a eu un travail de recherche pour trouver des artistes pertinents. On l’a vraiment fait avec sincérité, pour la musicalité et sans chercher le buzz. Certains nous avaient sollicité, d’autres ont été recommandés par bouche-à-oreille. Il a fallu les départager au talent.

Est-ce important de pouvoir exprimer librement sa créativité sur ce type der projet ?

T : C’est important de l’avoir mais il faut quand même qu’on soit cadrés. . Il nous a laissé beaucoup de liberté mais dans une direction bien précise. Le réalisateur c’est vraiment le boss numéro 1, c’est son film, il connaît la direction, il connaît la couleur. Nous sommes juste son bras.

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De gauche à droite: Thibault Agyeman, Tito Prince, Jean-Claude Barny, James Bks Crédit photo: Mjf média Group

Connaissiez-vous l’histoire du Gang des Antillais avant de travailler dessus ?

T : non. Moi je l’ai vraiment découverte en lisant le synopsis.

J : pareil.

Comment vous êtes-vous imprégnés du récit pour faire la B.O ?

T : Ce n’était pas si compliqué que ça en fait. La résonance des problèmes que les afros ont pu rencontrer dans les années 1970, on les connaît depuis qu’on est tous petits puisque nos parents sont arrivés en France dans ces années là. On les a entendus dans les histoires qu’on a pu nous raconter. Même si on a eu plus de chance que nos parents par rapport à cette intégration, on endure encore des difficultés aujourd’hui. C’était simple de s’identifier au film et de comprendre la couleur. De toute façon, le boulot qu’on fait tous les deux,  c’est de ressentir suffisamment d’empathie pour se mettre dans les bottes du personnage.

J : C’est la même démarche que les acteurs. S’imprégner du sujet, de la vision du réalisateur pour interpréter au mieux toute cette musique là.

Avant cela, vous intéressiez-vous à l’histoire afro ?

T : C’est une identité. Si je prends mon cas personnel, je suis métisse. Mon père est du Ghana et ma mère française. Ce serait un peu me renier que de ne pas connaître cette partie de mon histoire. On se sent toujours concernés quand on entend une actualité liée à cet héritage. Par exemple, comme pour ce qui se passe aux Etats-Unis.

J : On va être plus sensibles parce que même si on ne vit pas aux Etats-Unis, ce que les afros américains vivent pourrait nous arriver ici. C’est une partie de notre histoire. Ce qu’il est vraiment important de mentionner, c’est que les projets qui traitent ces histoires là, à travers le regard d’une personne qui vient des Antilles, qui connaît le personnage principal sont très rares. Nous avons le devoir d’être à fond et de prendre le sujet au sérieux.

 

 

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Thibault Agyeman

On parle peu souvent de ceux qui font la musique des films. Est-ce si important ?

J : on est conscients de l’importance de la musique dans un film. Sans elle, il ne va pas se passer grand-chose à l’écran, même si le réalisateur est très bon. S’il manque cette deuxième lecture on va sentir une lacune. Donc c’est essentiel. En revanche, si la musique se fait trop remarquer, le travail du compositeur n’aura pas été fait correctement. Car il doit travailler mains dans la main avec le réalisateur pour sublimer le film par l’image,  et non prendre le dessus. Il y a un travail de dosage à faire.

T : Si on la retire, il manque quelque chose, la scène est comme nue. Le boulot c’est de se calquer sur l’image mais de ne jamais la surpasser. Donc oui, cette deuxième lecture est très importante. Il faut essayer de sortir des clichés et s’adapter.

Pourquoi doit-on aller voir le Gang des Antillais ?

J : Le gang des Antillais est un film qu’on doit aller voir parce qu’aujourd’hui, rares sont les films qui défendent ces valeurs et qui passent au cinéma. C’est une bataille en soi d’arriver au bout de ce genre d’aventure. Je pense que si on n’est pas concernés pour supporter ces projets là, on fait vraiment fausse route dans la lutte pour l’émancipation. Il faut savoir réellement pourquoi on se bat et ce genre de film porte cet espoir là. On a un cinéma et on a des compétences pour réaliser des histoires qui nous parlent.

T : La France a un visage, une histoire. Nous sommes en 2016, nous consommons tous du cinéma. Lorsqu’on se rend en salles, on aime aussi voir des films qui font écho à la société qu’on a aujourd’hui. Et on a trop peu de ce genre de films. Il y a plusieurs raisons qui peuvent nous pousser à aller voir Le Gang des Antillais, mais je crois vraiment que c’est le premier de ce genre. Même si je n’vais pas travaillé dessus, je serai allé le voir.

SK
SK
SK est la rédactrice/ journaliste du secteur Politique, Société et Culture. Jeune femme vive, impétueuse et toujours bienveillante, elle vous apporte une vision sans filtre de l'actualité.

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