Qu’entraînerait vraiment l’accession de Marine le Pen à la fonction présidentielle ?
Une collaboration entre François Durpaire et Farid Boudjellal a donné naissance à « La présidente », une bande-dessinée d’un réalisme terrifiant, qui dépeint une France gouvernée par la droite extrême. Les conséquences des mesures économiques et sécuritaires désastreuses, en particulier pour les étrangers, sont directement titrées du programme du Front National. François Durpaire répond à 11 questions sur cet ouvrage choc.
Entretien
Pourquoi pensez-vous que l’arrivée de Marine le Pen au pouvoir est un scenario catastrophe ?
Rien que votre question montre à quel point les choses ont changé. Cette question n’aurait jamais été posée il y a 10, 15, 20 ans. Mais aujourd’hui il faut montrer, expliquer, les conséquences de l’arrivée du FN au pouvoir. D’ailleurs avez-vous remarqué que la banalisation du FN s’est accompagnée d’un changement de vocabulaire : la « dédiabolisation » est devenue la « normalisation », l’ « extrême droite » est devenue le « mouvement bleu marine », et Madame Le Pen est devenue seulement « Marine »… Tout a été fait pour que les gens se disent : mais finalement elle est peut-être pas pire que les autres celle-là… Alors notre objectif dans la BD est de montrer avec rigueur les conséquences économiques, sociales, et pour nos vies quotidiennes, de l’arrivée de marine Le Pen à l’Elysée. Pour cela nous nous sommes entourés d’une équipe de spécialistes, économistes, politologues, spécialistes de l’outre-mer etc.
Dans son dernier roman (Soumission) l’écrivain Michel Houellbecq a écrit un scénario dans lequel la catastrophe était la venue d’un président musulman. Cela vous a-t-il inspiré pour cette Bande Dessinée ?
Absolument pas car elle était prévue avant, en revanche ne trouvez-vous pas qu’il est étrange que le roman le plus vendu (celui de Houellbecq) mette en scène l’arrivée d’un musulman au pouvoir (ce qui semble quand même difficile dans le contexte) alors que l’arrivée de la chef du parti qui a mis 10 points dans la vue du parti de gouvernement et 5 points dans celle du parti républicain d’opposition nous fait passer pour des gens ayant beaucoup d’imagination. Ce n’est pas de l’imagination, c’est de la prospection sérieuse. On analyse exactement le scénario qui va conduire à cela. Il ne reste plus que 18 mois…
Pourquoi une BD pour traiter le sujet ?
Pour rendre cela très frappant, et apparemment ça marche car les gens nous disent après avoir lu la BD : le voir nous a glacé le sang et nous a convaincu qu’il fallait absolument faire quelque chose avant que cela n’arrive. Avant qu’il ne soit trop tard pour agir. Car vous savez aujourd’hui, les idées du FN touchent tous les milieux sociaux et toutes les communautés. Au sein des minorités noires, elles sont extrêmement marginales mais ne sont pas inexistantes.
Comment cet ouvrage a-t-il été reçu par la classe politique, et le Fn lui-même ?
C’est trop tôt pour le dire mais le ministre de la justice que je prévoie dans le gouvernement de Marine Le Pen, Geoffroy Didier, a déjà twitté : « Je ne serai pas le garde des sceaux de Marine Le Pen ». Quand aux autres, vous verrez qu’il est probable que l’on ait pas mal d’attaques, voire des plaintes, mais qui peut nous empêcher d’envisager l’avenir ? Nous n’insultons personne et il n’y a aucune diffamation.
Au vu de l’actualité, l’ultra-présence policière sous son régime n’est-elle pas ce vers quoi nous tendons irrésistiblement ?
Tout à fait, il y une scène malheureusement prophétique où Marine Le Pen présidente annonce… des mesures que François Hollande vient juste de prendre dans le contexte des attentats de la semaine dernière !
Mais au delà de cela, la BD décrit ce qui se passerait pour nous tous si un parti autoritaire autoritaire arrivait au pouvoir et utilisait tout l’arsenal de lois de surveillance qui sont passées depuis les attentats de janvier 2015.
La jeune Fati, étudiante en Droit, est renvoyée au Sénégal parce qu’elle n’a pas renouvelée sa carte de séjour. C’est un fait qui existe déjà, même sous un gouvernement de gauche.
Exactement ! Vous avez raison mais la question est : dans quelle proportion ?
Quelques chiffres et vous allez comprendre ! Marine Le Pen va réduire l’immigration légale de 200 000 entrées par an à 10 mille, soit une division par 20 ! Et je vous livre le reste de son programme, décortiqué dans la BD : une suppression du droit du sol, une interdiction de la double nationalité, et même un retour à la frontière des immigrés légaux s’ils n’ont pas trouvé de travail au bout de quelques mois ! Vous le saviez ? Et bien je crois que tout le monde ne le savait pas, et je peux vous dire qu’on va sentir une différence avec l’actuel chef de l’Etat, qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas !
« Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde ».
Quelle problématique la venue du Front National pose-t-elle réellement pour les étrangers ?
En France, il n’y aurait plus aucune issue de notre point de vue.
Attention à ce que nous faisons. Ce n’est pas parce que l’on est déçu de tous les politiques que l’on ne peut pas être dans une situation encore bien pire ! Il y a une idée qui traîne dans l’air que rien ne peut être plus difficile que ce que l’on vit déjà. Mais c’est faux, il peut y avoir encore plus de chômage, de discriminations, d’insécurité etc. Ne nous réveillons pas le 8 mai 2017 avec seulement nos yeux pour pleurer…
Le Front National a le vent en poupe depuis quelques années. Cela ne trahit-il pas une volonté de repli de la population française ?
Mais pas que des Français ! Dans toutes les sociétés européennes et en Amérique du nord, il y a le passage d’un racisme d’Empire, lié à la période coloniale, à un racisme défensif, lié au sentiment de déclassement de l’Occident sur le plan économique, démographique et culturel. Et ce sont les populations noires qui en payent le plus lourd tribut.
Une volonté légitime selon vous ?
Bien sûr que non. On peut comprendre mais pas légitimer ! Oui l’Europe qui a dominé ne se sent plus surpuissante. Mais le repli n’est pas la solution. Ces réponses politiques ne sont pas des solutions. Elles ont la force de la simplicité à une époque où le besoin est urgent de réponses complexes à des questions complexes.
La parole xénophobe et raciste s’est dangereusement libérée, y a-t-il un lien à faire avec ce succès du FN ?
Il y a un lien mais la question est dans quel sens : « est-ce du fait du FN que la parole xénophobe s’est libérée » ou bien « est-ce la montée du racisme qui fait le succès du FN qui capte cette parole » ?
En tout cas, ce qui est important à dire, et c’est ce que nous décrivons dans la BD – sans dévoiler le scénario – c’est qu’une fois qu’un parti qui a des racines extrêmes arrive au pouvoir, sa nature extrémiste ressurgit.
Doit-on croire en une réelle fracture entre la vielle classe du Front National de Jean-Marie le Pen et cette nouvelle image que tente de donner sa fille Marine ?
Il y a des divisions en sein du FN, comme dans tous les partis, il ne faut pas le nier, notamment entre cette ancienne garde et cette nouvelle génération. Mais ce qui compte c’est que sur le plan du corpus idéologique, le virage tient plus de la stratégie politique que d’une réelle conversion aux idées de liberté, d’égalité, de fraternité qui sont au coeur de notre projet. Et c’est cela qui est au coeur de notre ouvrage, quand nous citons Aimé Césaire : « Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde ».
