« C’est à nous aujourd’hui d’être à l’avant-garde de la justice dans le monde ».
Bakary Sakho signe son premier livre, Je suis , aux éditions Faces cachées. Les problématiques des quartiers, du communautarisme, du racisme institutionnalisé, des Noirs face à leurs réalités, de l’exclusion sociale … Autant de thèmes difficiles qu’il aborde avec précision et sincérité. Le regard d’un jeune, d’un Noir, d’un garçon des quartiers populaires du XIXème arrondissement de Paris et surtout, d’un militant associatif.
Entretien.
Un premier ouvrage
Vous êtes un cliché : Noir, banlieusard, musulman.
Oui (rires). L’introduction de mon livre a justement été choisie dans ce sens-là. Pour bien montrer que c’est une affaire raciale. Les couleurs de la couverture sont le bleu, le blanc et le rouge parce que je suis en France. C’est chez moi ici, du fait de l’impôt du sang qui a coulé. L’Europe, c’est chez moi parce que l‘Europe s’est construite, vit et survit grâce aux richesses africaines.
Pourquoi le titre « Je suis » ?
Rien n’a voir avec Charlie Hebdo. A l’origine, j’avais pensé à « Qui suis-je ? » et en écrivant je me suis rendu compte que je savais très bien qui j’étais et où je voulais aller. C’est devenu une affirmation. Je ne suis pas le premier mais, je voulais populariser ce combat intellectuel sur notre situation en m’appuyant sur la culture urbaine. Dire aux gens que la littérature est aussi un monde à nous, pour des gens comme nous et qu’on va écrire notre histoire pour devenir les spécialistes de notre propre Histoire. Faire en sorte de collaborer au maximum avec des médias qui nous ressemblent. Parce que je n’ai rien n’à vendre. Mes retours les plus positifs sont les jeunes qui me disent que mon livre est le premier qu’ils lisent ou qu’ils achètent, les messages d’autres qui osent se lancer dans l’écriture et là le pari est gagné.
Page 49, chapitre II vous écrivez « Sans aucune distinction d’appartenance raciale (…).» Pourtant, c’est bien de cela dont il est question ?
Ce que j’ai voulu dire c’est que Nous, communauté afro-carribéenne, sommes la communauté qui n’a porté d’injustices contre aucune autre nation. Personne ne peut dire qu’un jour les Noirs se sont levés pour terroriser une autre communauté. Nous avons subi et supporté, des tribus entières ont été décimées et nous sommes toujours là. C’est à nous aujourd’hui d’être à l’avant-garde de la justice dans le monde. Pour moi il faut que chaque enfant du continent africain, où qu’il soit sur la surface de la terre, ait conscience qu’il porte l’une des plus grandes missions jamais confiée à aucun peuple.
L’expérience d’être Noir
Comment est venu l’engagement militant ?
En avril 2000, j’ai 19 ans, nous sommes un groupe de cinq amis et l’un d’entre nous meurt brutalement d’une crise cardiaque. C’est ce qui a été mon déclic, je me suis rendu compte qu’il y avait une fin à notre vie. A partir de là, une réflexion s’est mise en place, des questions existentielles se sont imposées à moi. Automatiquement, je me suis questionné sur mon identité, ma place dans cette société, la communauté à laquelle j’appartiens et qui en bave à mort.
Il paraît que vous avez fait « l’expérience d’être Noir » en arrivant à l’école ?
Oui. En dehors de cela, il y avait quand même les propos racistes mais, on savait les affronter. Le plus souvent on était entre nous, entre enfants de la diaspora, on vivait ensemble, on mangeait ensemble, on se disputait. C’est vraiment en approchant du Bac et du milieu professionnel que cette violence s’abat sur nous parce qu’on est directement confronté au monde des adultes. C’est carrément un état d’esprit. Il y a toute une philosophie, réfléchie, ancrée dans le système. Je me suis rendu compte très tôt dans le militantisme que le racisme n’était pas populaire mais institutionnel. Je suis du Sénégal et de la Mauritanie, j’avais ces clash avec des antillais, des congolais mais c’était entre nous pour rire. Là c’est violent !
L’importance de connaître son histoire
Lorsque vous avez quitté l’école, vous aviez déjà cette conscience de ce qui se passait ?
Nous venions de créer notre structure, après le décès de notre ami. La BGA, Braves Garçons d’Afrique est un nom qu’on a repris du film Les princes de la ville dans laquelle la BGA était la Black Guerilla Army. On a voulu transformer ça en positif. Seize membres de la communauté afro-carribéenne d’Afrique et des Antilles parce que ça nous mettait tous d’accord, étant donné les antillais viennent d’Afrique. Où que nous allions, notre couleur de peau nous suit, notre héritage aussi donc il ne sert à rien d’être plus royaliste que le roi. On est des africains, on vit en France et on se battra ici pour plus de justice.
Quelles étaient les activités de la BGA ?
On organisait des soirées pour gagner de l’argent et payer les intervenants pour des conférences. Nous portions des t-shirts avec notre logo : une tête de garçon noir coiffé d’une afro avec un peigne dedans. En 2002, on part en petit groupe à Dakar (Sénégal), au retour nous organisons un gros chantier culturel. En 2004 on s’envole pour Bamako (Mali), en 2006 pour les Etats-Unis. Nous étions vraiment dans la recherche de notre histoire, de nos racines et la rencontre de notre communauté à travers le monde.
L’importance des modèles
Les émeutes de 2005 sont le catalyseur qui a concrétisé et politisé votre combat. Comment avez-vous vécu ces événements ?
En 2005 nous étions beaucoup à ne pas être d’accord avec le fait de brûler des voitures. Je ne connais pas grand monde qui se vante aujourd’hui d’avoir agi comme ça. Pourtant, il fallait montrer cette rage, ce désespoir et si cela pouvait être un moyen d’attirer les caméras pour parler de ce mal-être, il fallait le tenter. L’Etat a dit que les gens qui se révoltaient n’aimaient pas la France alors qu’ils ont supporté pendant des années cette misère sociale en silence. C’est un appel fort que l’on doit comprendre mais ne pas légitimer. Je ne brûle pas de voiture pourtant je suis constamment dans la rébellion. J’ai transformé ma colère en action.
Avec ce constat que rien n’a vraiment changé, que pouvez-vous dire à la jeunesse afin qu’elle ait confiance en l’avenir ?
Il y a une différence parce que maintenant nous faisons ce travail nous-mêmes, nous sommes devenus les cadres du milieu associatif. Notre génération n’a pas eu de modèles qui lui ressemblaient pour se construire. Pour les jeunes, en 2005 c’était trop brûlant pour pouvoir les canaliser d’un seul coup. Il fallait un travail de plusieurs années, construire une identité locale et que les jeunes puissent devenir des porteurs de projets. C’est ce qu’on favorise ici au centre Curial.
Ya-t-il toujours une notion éducative dans les activités que vous proposez ?
Toujours et ça ne se perdra jamais. Ici, j’aide des jeunes à monter leur équipe de basket en vue d’ouvrir un club. Nous organisons donc des projections sur l’histoire du basket, des joueurs les plus illustres et des films qui traitent du sport dans une autre dimension.
Un entrepreneur engagé
Parlez-nous des éditions Faces Cachées.
Je suis passé de BGA à près d’une dizaine d’associations. Je suis actuellement président LIDEE, un laboratoire d’initiatives durables, d’expérimentations et d’économie solidaire. Cette structure a été créée pour en aider d’autres à se développer. Les Editions Faces Cachées sont justement nées de ce labo. Nous avons rencontré Ouafa, une jeune femme dynamique qui avait ce projet. Nous lui avons proposé de le faire immédiatement. Lorsqu’il y a une bonne idée il ne faut pas attendre cent ans pour la concrétiser sinon ce n’est plus une bonne idée. Aujourd’hui, on a sept ou huit auteurs qu’on va publier dans les prochaines années.
Un autre livre en préparation ?
Oui. Mon prochain livre sera autobiographique avec des précisions sur nos actions avenir en France comme en Afrique sur la réduction des inégalités sociale. Je me définirai toujours comme un africain mais est-ce que je porterai des injustices contre un système politique comme ils l’ont fait sur le peuple noir ? Jamais de la vie.
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