Dès le début du XXème siècle, les Etats Unis avaient clairement exprimé leur volonté d’occuper le territoire haïtien, conformément à la doctrine de Monroe, (l’Amérique aux Américains) en vigueur depuis 1823. Profitant de l’instabilité politique, voire, de la situation d’anarchie qui régnait au sein de la société haïtienne au cours des années 1910, les Marines débarquent le 28 juillet 1915 afin d’obtenir le contrôle des douanes et des institutions financières de la première république noire.
Par Jean Gardy Adrien
Celatout en excluant les négociants européens, notamment allemands, de la vie économique du pays. Ainsi, durant 19 ans, (1915 à 1934), Haïti est brutalement mise sous la tutelle des Yankees. Cette occupation incarne donc une volonté de refonder la légitimité du colonialisme, de l’impérialisme et de la suprématie blanche sur les peuples de couleur en général, et sur le premier peuple noir indépendant, en particulier.
Invasion et domination américaine
En moins de deux mois, les soldats américains ont procédé au désarmement de la quasi-totalité des paysans afin d’anéantir toute velléité de rébellion. Le 12 aout 1915, ils placent à la présidence du pays le mulâtre Sudre Dartiguenave par des moyens frauduleux ; puisque celui-ci s’est révélé plus soumis que son adversaire, le docteur Rosalvo Bobo qui revendique un fort nationalisme. Tous les gouvernements constitués par les Yankees durant les 19 ans de l’occupation étaient dirigés par des éléments de l’élite haïtienne (mulâtre) fidèles à la cause de l’impérialisme. Ainsi, le pouvoir réel est détenu par les administrateurs américains. En 1918, une nouvelle constitution est arbitrairement instituée afin d’éliminer l’interdiction du droit à la propriété aux étrangers imposée par toutes les précédentes constitutions depuis le règne de Jean-Jacques Dessalines, fondateur de la patrie. Plus tard, de nombreux paysans vont être expropriés en faveur des entreprises américaines. D’où l’aggravation de la misère des masses paysannes.
Le racisme des yankees, le système d’oppression imposé conjointement par les autorités haïtiennes et les administrateurs américains, les multiples massacres perpétrés à l’encontre des paysans, la corvée imposée à ces derniers sont autant de griefs qui ont suscité l’exaspération des paysans, des nationalistes, des intellectuels, des écrivains ainsi que les journalistes de l’époque.
Organisation de la résistance haïtienne
D’un point de vue externe, Haïti était perçue comme une « public nuisance », suivant qu’elle était présentée comme un pays de sorcellerie qui s’adonnait à des sacrifices humains. Et l’occupation passait pour l’opinion publique américaine comme une mission civilisatrice. Il a fallu plusieurs années pour que l’international et les militants noirs américains antiracistes prennent conscience de la réalité.
L’Association Nationale pour l’Avancement des Noirs (NAACP), fondée par les Noirs américains, antiségrégationnistes, après une enquête réalisée en 1920, commence enfin à dénoncer l’occupation d’Haïti par les USA. Ainsi, suite aux mouvements réalisés par les résistants haïtiens et les recommandations des militants étrangers, une commission formée par le gouvernement américain appelée ‘Commission Forbes’, autorise le retrait des forces d’occupation. Ce retrait s’est concrétisé en 1934 après la visite du président Roosevelt au Cap Haïtien. Cependant le contrôle des douanes n’a été remis aux autorités haïtiennes qu’en 1946 sous la présidence du président « noiriste », Dumarsais Estimé.
Un bilan désastreux
La conséquence la plus grave de l’occupation américaine est sans conteste la perte de la souveraineté de ce petit état caribéen. Les USA ont gardé leur droit d’ingérence même après la dés-occupation dans les affaires du pays sous le régime de S. Vincent et d’Elie Lescot. A l’arrivée de Dumarsais Estimé au pouvoir (1946) jusqu’au dictateur François Duvalier, Papa Doc (1957-1971) celle-ci était relativement rétablie. Cependant, après la chute de Jean-Claude Duvalier, Baby Doc, (1986) la souveraineté est complètement anéantie. Cela étant dit, les américains étaient les principaux acteurs du retour de Jean Bertrand Aristide au pouvoir en 1994, après trois ans d’exil. Les marines rentrent à Port-au-Prince au cours de cette même année, ils rétablissent le gouvernement de Jean Bertrand Aristide et dissolvent les Forces Armées d’Haïti. En 2004 ils débarquent à nouveau après le départ forcé de celui-ci, lors de son second mandat. A leur départ ils laissent la place aux casques bleus de l’ONU (la Minustha). A nos jours presque toutes les grandes décisions de l’Etat haïtien dépendent du gouvernement américain. En 2011, il a fallu que l’ambassadeur américain se prononce pour que le président Michel Martelly soit accepté comme un Haïtien authentique, qui n’a jamais renoncé à sa nationalité haïtienne. Plus récemment, la présence de l’ambassadeur américain dans l’enceinte du Parlement le jour de la convocation à l’extraordinaire de l’Assemblée Nationale, le dimanche 11 janvier 2015, pour éviter la dissolution du parlement a provoqué des remous dans l’opinion publique locale et internationale. Au cours de cette année, des rassemblements et des colloques sont réalisés dans les milieux universitaires et populaires et se poursuivront autour de la date du 28 juillet pour marquer le 100ème anniversaire de l’occupation américaine.
Cependant, signalons qu’aucune Cour n’a rendu justice aux nombreuses victimes de l’occupation américaine de 1915. Hormis quelques intellectuels, la population haïtienne, (y compris les victimes et les parents des victimes des occupations de 1994 et de 2004) garde un relatif mutisme face aux actes arbitraires et racistes perpétrés par les Marines dans l’exercice de leur fonction. On garde l’espoir que certains points seront éclaircis lorsque la souveraineté du pays sera rétablie.
Jean Gardy Adrien.