Quatre mythes ‘noirs’ répandus sur l’Egypte ancienne

Le caractère négro-africain de l’Egypte pharaonique a et continue à générer un grand nombre de discussions. Parmi celles-ci ont émergé des arguments fallacieux qui ont pourtant été érigés au rang de vérités.

Par Sandro CAPO CHICHI / nofi.fr

1. Les Egyptiens viendraient du Soudan parce que ce dernier a plus de pyramides

Pyramides de Méroé, Soudan / par Wufei07
Pyramides de Méroé, Soudan / par Wufei07

Pour affirmer l’origine méridionale des Egyptiens anciens et de leur culture, on entend souvent dire que leur symbole le plus connu dans l’imaginaire occidental, la pyramide, serait plus répandu au Soudan, sur le territoire de l’ancien royaume de Kouch. Ce dernier comporte en en effet plus de 220 pyramides connues contre moins de 100 en Egypte. Toutefois, la construction de pyramides par les Kouchites date de près de 2000 ans après la construction des premières pyramides égyptiennes (26ème siècle avant notre ère contre huitième siècle après notre ère). Surtout, ces constructions au Soudan font suite à une longue colonisation de la région par l’Egypte ancienne, qui a entre autres vu l’emprunt d’autres éléments culturels comme des traits de la royauté pharaonique, certaines divinités et pratiques mortuaires ainsi que le système d’écriture hiéroglyphique. Par là, il n’est pas pertinent de postuler une antériorité du Soudan ancien sur l’Egypte ancienne par la plus importante présence de pyramides dans le premier, a fortiori puisque les Kouchites seraient arrivés dans la vallée du Nil soudanaise après la formation de l’Etat égyptien, supplantant d’autres anciens Soudanais. Sans tomber dans la caricature raciste de nombreux égyptologues qui continuent à présenter les rois kouchites comme une bande d’aliénés de la colonisation égyptienne sans culture propre, on peut prendre l’exemple de la prolifération de sectes chrétiennes en Afrique alors que celles-ci sont moins nombreuses et vivaces en Europe. Ce sont pourtant bien les Européens qui ont introduit le Christianisme chez ces Africains.

2. La ‘citation de Diodore de Sicile’

L'encensoir de Qustul (vers 3200-3000 avant notre ère). Trouvé au sud de l'Egypte, il est souvent présenté comme étant une preuve de l'antériorité de la royauté nubio-soudanaise sur celle de l'Egypte ancienne. La citation d'Agatharchide ne fait pas allusion à ce type d'objets, mentionnant des faits culturels empruntés par Kouch à l'Egypte au 16ème siècle avant notre ère
L’encensoir de Qustul (vers 3200-3000 avant notre ère). Trouvé au sud de l’Egypte, il est souvent présenté comme étant une preuve de l’antériorité de la royauté nubio-soudanaise sur celle de l’Egypte ancienne. La citation d’Agatharchide ne fait pas allusion à ce type d’objets, mentionnant des faits culturels empruntés par Kouch à l’Egypte au 16ème siècle avant notre ère

Les Ethiopiens disent que les Egyptiens descendent d’une de leurs colonies, qui fut conduite en Egypte par Osiris ; et ils ajoutent que ce pays n’était, au commencement du monde, qu’une mer ; mais qu’ensuite le Nil, charriant dans ses crues le limon emporté de l’Ethiopie, a peu à peu formé des atterrissements. S’appuyant sur ce qui se passe aux embouchures du Nil, ils démontrent clairement que toute l’Egypte est l’ouvrage de ce fleuve : tous les ans le terrain est exhaussé par l’apport du limon, et le sol s’agrandit aux dépens de la mer. Ils disent, en outre, que la plupart des coutumes égyptiennes sont d’origine éthiopienne, en tant que les colonies conservent les traditions de la métropole ; que le respect pour les rois, considérés comme des dieux, le rite des funérailles et beaucoup d’autres usages, sont des institutions éthiopiennes ; enfin, que les types de la sculpture et les caractères de l’écriture sont également empruntés aux Ethiopiens. Les Egyptiens ont en effet deux sortes d’écritures particulières, l’une, appelée vulgaire, qui est apprise par tout le monde ; l’autre, appelée sacrée, connue des prêtres seuls, et qui leur est enseignée de père en fils, parmi les choses secrètes. Or, les Ethiopiens font indifféremment usage de l’une et de l’autre écriture. L’ordre des prêtres est, chez les deux nations, établi sur les mêmes bases. Ceux qui sont voués au culte des dieux font les mêmes purifications ; ils se rasent et sont vêtus de la même façon, et ils portent tous un sceptre en forme de charrue. Les rois des deux nations portent aussi un sceptre semblable ; ils ont de plus sur la tête un bonnet long, ombiliqué au sommet, et entouré de ces serpents que l’on nomme aspics. Cet ornement semble indiquer que quiconque ose commettre un attentat contre le roi est condamné à des morsures mortelles. Les Ethiopiens allèguent encore beaucoup d’autres preuves de leur antiquité et de leur colonie égyptienne ; mais nous pouvons nous dispenser de les rapporter.

Cette citation de Diodore de Sicile, qui est en réalité une citation d’un autre auteur du 2ème/1er siècle avant notre ère, Agatharchide de Cnide, est souvent utilisée pour prouver le fait que les Egyptiens et les (Ethiopiens) Kouchites étaient ‘de la même race’, et que les Egyptiens et leur culture étaient effectivement d’origine soudanaise.
Toutefois, ces traits culturels communs aux Egyptiens et Soudanais qui ne sont pas attestés avant la colonisation de Kouch par les Egyptiens sont très vraisemblablement le résultat de cette dernière. La colonisation de l’Egypte étant très ancienne à cette époque, il est possible que les Kouchites aient fini par considérer qu’ils avaient autrefois colonisé l’Egypte. Toutefois, il est fort probable, comme cela est souvent avancé que les Egyptiens aient eu un phénotype similaire, puisqu’ Agatharcide implique que les premiers Egyptiens anciens auraient été des Ethiopiens.

3. La ‘table des races de la tombe de Ramsès III’

Repriduction des Table des races de la tombe de Ramsès III par Lepsius
Repriduction des Table des races de la tombe de Ramsès III par Lepsius

Popularisée par la couverture du livre Nations Nègres et Culture de Cheikh Anta Diop, la Table des Nations de la tombe de Ramsès III est souvent présentée comme une preuve de la ‘négritude’ des Egyptiens anciens (Rt Rmtjw), le prototype de ces derniers étant représenté de la même manière que le prototype du Soudanais ancien (NHsw). Toutefois, et cela est moins mentionné, le TmHw typique (Africain du Nord-Ouest) est ici représenté comme un Levantin typique (Âamw) et vice-versa. Il n’existe pas à notre connaissance de représentation d’Egyptiens anciens comme sur la tombe de Ramsès III ailleurs dans leur art. Le fait qu’une autre peinture de personnages dans la tombe de Ramsès III soit représenté de manière erronée suggère que la représentation de l’Egyptien de manière identique au Soudanais ne peut être considéré comme une preuve solide de la ‘négritude’ des Egyptiens anciens.

4. Couleur et symbolisme

Lors du grand débat sur la couleur de peau de Toutankhamon il y a plusieurs années, de nombreux partisans de sa ‘négritude’ ont brandi comme exemple une statue du roi le représentant couleur ‘noir-bleu’.

Statue du Ka de Toutankhamon
Statue du Ka de Toutankhamon / ancient-egypt.co.uk

Cependant, il ne s’agit que d’une statue sensée abriter la force vitale du roi après sa mort et les sourcils peints couleur or auraient du alerter ses partisans. La plupart des autres de ses représentations vivant le montrent avec une carnation marron commune à beaucoup d’autres Noirs africains du continent.

Toutankhamon et Ankhesenamon
Toutankhamon et Ankhesenamon

 

L’art égyptien a de nombreux degrés de symbolisme et nous invitons les plus jeunes et moins expérimentés membres de notre communauté intéressés à l’africanité de l’Egypte ancienne à être vigilant avant de le lire avec des critères esthétiques occidentaux du vingt-et-unième siècle.

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