L’équipe NOFI a rencontré l’astronome Fatoumata Kebe. Originaire de Noisy-le-Sec (Seine Saint-Denis), cette Française d’origine malienne travaille à l’observatoire National, à Paris, et devenue depuis cet entretien docteur en Astronomie.
Une carrière des plus prestigieuses et des plus rares pour cette femme aux mille ambitions, qui gère également un projet d’agriculture au Mali.
Combien gagne un astronome ? Combien d’années d’études faut-il faire ? Fatoumata répond à toutes nos questions et nous expose son parcours d’excellence. Entretien avec l’élite d’une génération.
Quand vous est venue cette passion pour l’astronomie ?
Depuis petite j’étais passionnée par les étoiles et les planètes, ça m’a suffit à me dire que plus tard je travaillerais dans l’astronomie.
Quel est votre parcours ?
J’ai suivi une filière générale à l’Université Marie Curie et passé une licence d’ingénierie mécanique. J’ai ensuite eu un Master en mécanique des fluides. Puis, j’ai travaillé comme ingénieur et j’ai eu la thèse en Astronomie à l’Observatoire de Paris. Ça fera 11 ans d’études en tout. Je mettrai un point final à mes études une fois que j’aurai présentée ma thèse. Sauf si je fais un autre doctorat (rires).
.Votre famille croyait-elle en ce projet ?
Je suis la première à avoir eu mon Bac chez moi donc il y avait la peur de l’inconnu. Surtout que les études sont longues, ma mère me demande « Quand est-ce que tu vas gagner de l’argent ? » (Rires). Le regard a changé depuis que je suis passée sur la chaîne malienne et sur RFI.
Sinon, ça a normalisé les études secondaires dans ma famille. Mes cadets ont des Masters dans des domaines différents, bien que je sois la dernière à être encore étudiante (rires).
Quel est précisément votre métier ?
Je travaille sur les débris spatiaux, qui sont les vestiges d’activités humaines dans l’espace. Ce sont tous les objets qu’on a laissé autour de la terre (satellites, vaisseaux, morceaux de fusées…) et qui sont incontrôlables. Ils représentent un danger pour les autres objets fonctionnels dans l’espace et ils peuvent aussi retomber sur terre.
Je fais des simulations de collisions et d’explosions sur mon ordinateur et je détermine le nombre de débris, calcule leur masse, leur taille, et leurs mouvements autour de la terre.
Les gens ont cette fausse idée que la recherche est un milieu tranquille, mais c’est complètement faux.
Le poste que vous occupez est très récent, pourquoi n’existait-il pas avant ?
Au départ, les industriels minimisaient le phénomène en se disant « l’espace c’est grand ». Pourtant, on se rend compte que ce n’est pas si vaste que ça, parce que les zones auxquelles il faut accéder pour avoir certains services sont restreintes. Les activités spatiales génèrent des milliards d’euros par année, car les satellites gèrent beaucoup de choses comme la communication, internet, les GPS… Entre temps, il y a eu des collisions qui ont forcé les gens à se poser la question des débris. La France est en train de mettre en place des politiques et de débloquer des financements pour pouvoir travailler plus concrètement sur cette problématique. Car la NASA a établi des études montrant que si on continuait comme cela, d’ici 2025, il deviendrait très compliqué d’envoyer un objet dans l’espace sans qu’il risque d’être percuté par les débris.
Combien ça gagne une astronome ?
Pas beaucoup en fait. Les salaires de départ se situent entre 1500 et 1700 euros. Il faut être passionné parce qu’en France, dans la recherche, on gagne peu d’argent.
A quoi ressemble votre journée type ?
Lorsqu’on soutient une thèse, on doit faire de la veille scientifique, c’est-à-dire que, je dois lire les articles qui concernent mon domaine pour ne pas faire la même chose et vérifier certaines théories. Généralement j’arrive au labo à 9h du matin, j’y reste jusqu’à 20 heures et le soir je travaille un peu chez moi.
Dans ce monde ultra-fermé y a-t-il beaucoup de femmes, beaucoup de jeunes, beaucoup de noirs ?
Non. Il y’ a à peine 17% de femmes dans le domaine du spatial et de l’astronomie. Pour la diversité, elle est quasiment inexistante.
Avez-vous été confrontée au racisme ?
Le racisme ça n’existe pas (rires). Des collègues m’ont rapporté qu’elles avaient surtout été confrontées au sexisme. Lors de conférences, quand elles prenaient la parole, soit on les ignorait, soit on ne tenait pas compte de leurs propos, tout ça avec beaucoup de condescendance.
Est-ce qu’il y a de la concurrence dans ce milieu ?
Enormément ! Les gens ont cette fausse idée que la recherche est un milieu tranquille, mais c’est complètement faux. C’est encore pire depuis qu’il faut chercher des financements pour son projet parce que c’est au meilleur dossier que revient l’argent. La concurrence monte jusqu’au niveau européen, car tout le monde convoite le financement de l’agence spatiale européenne car pour pouvoir travailler correctement sur nos recherches il nous faut absolument du budget.
Pour ce que je connais du Mali, je me dis que l’avancée spatiale n’est pas pour tout de suite.
Quels sont vos projets avec ce bagage en astronomie ?
J’aimerai continuer à travailler sur la problématique des débris spatiaux. Continuer à étudier leur trajectoire suite à une explosion ou une collision dans l’espace, travailler sur une méthode de nettoyage pour l’espace et aussi sur l’établissement d’une loi pour la préservation de l’environnement spatial.
Je peux soit allé travailler dans un institut d’astronomie, une agence spatiale ou alors pour une entreprise privée.
Avez-vous pensé au Mali ou à un autre pays d’Afrique pour la suite de votre carrière ?
J’ai un projet pour le Mali mais il n’a rien à voir avec l’astronomie. Pour ce que je connais du Mali, je me dis que l’avancée spatiale n’est pas pour tout de suite. Il y a des urgences plus directes à régler sur terre. Au Mali, il y’a des milliers de terrains loués à des pays étrangers alors que la population n’arrive pas à se nourrir correctement. Donc mon projet concerne plutôt l’agriculture.
En quoi consiste ce projet d’agriculture au Mali ?
Ce projet s’appelle Connected Eco. L’idée c’est d’utiliser des capteurs qui fonctionnent à l’énergie solaire et qui, installés dans les champs, envoient des informations sur la terre (via tablettes ou smartphones). Ils déterminent si le sol est sec et dans ce cas, une vanne se déclenche automatiquement pour irriguer.
Je pensais à cette installation depuis longtemps, et c’est en me retrouvant lauréate à un concours organisé par l’Union Nationale des Télécommunications (une agence des Nations Unies) l’année dernière, que j’ai vraiment décidé de le mettre en place. L’agriculture consomme 70% des ressources mondiales en eau et la plus grande partie est gaspillée. Les paysans, pour arroser, se servent de grosses bassines qu’ils balancent à l’aveuglette sur l’étendue du champ, alors que c’est de l’eau gâchée qu’ils pourraient boire.
Avez-vous pris en compte la viabilité des réseaux de télécommunication sur place ?
Au niveau du téléphone, le Mali est plutôt bien positionné, En tout cas, tout le monde en a un. Au niveau d’Internet, il s’agit d’une technologie que j’ai empruntée à un autre lauréat. Ce n’est pas du Wifi mais quelque chose de plus complexe qui s’adapte aux pays en voie de développement comme le Mali. Pour les ordinateurs, j’en ai récupéré quelques uns, je commence petit quoiqu’il arrive. Je travaille avec la coopérative « Femmes en action », un groupe de cinquante femmes, sur place, avec lesquelles on va observer l’évolution du concept pendant un an.
Les pays d’Afrique devraient avoir leurs propres réseaux de communication.
Etes-vous au courant du regard que les africains portent sur l’astronomie ?
En fait, la population ne s’y intéresse pas beaucoup là-bas. Même au niveau des chercheurs, c’est difficile de se procurer des écrits. Prenez par exemple l’un des plus grands savants et écrivains africains, Amadou Hampaté Ba. Les gens le connaissent de nom mais combien ont pu accéder à ses livres ? Il est plus facile de trouver l’un de ses ouvrages en France qu’au Mali !
Pensez-vous que le domaine spatial soit un véritable enjeu pour les états africains ?
Absolument. Les pays d’Afrique devraient avoir leurs propres réseaux de communication. C’est ce qu’est en train de faire le Nigéria, et il s’en sort très bien. Il vient d’ouvrir sa propre agence spatiale et c’est très important. Mais c’est quand même très coûteux et tous ne peuvent se le permettre.
Essayez-vous d’apporter la passion des étoiles à d’autres jeunes français ?
Je donne des cours d’astronomie à d’autres jeunes de Seine Saint-Denis depuis le début de l’année, par le biais de mon association Ephéméride. Le but est de démystifier l’Astronomie et de casser les préjugés que les jeunes de ces quartiers ont sur certaines études qu’ils croient hors de portée. C’est une initiation qui leur fait beaucoup de bien parce que quand tu apprends à un enfant à lire une carte du ciel, qu’il réalise qu’il en est capable, il gagne une confiance en lui incroyable.