Rachid Santaki: « Je ne fais pas l’éloge de l’école, je souligne son importance et son rôle central. »

Rachid Santaki, romancier et scénariste, est à l’origine de la « Dictée des Cités ». Avec l’association Force de Mixité, il organise le 30 mai la 20 ème dictée en plein air, lieu de rencontre entre les habitants de banlieues, mais aussi et en fait, entre tous les habitants de la Région parisienne qui souhaietent apprendre, se perfectionner et partager.

Rachid Santaki est également un homme d’origine maghrébine ayant grandi en Seine-Saint-Denis, dans ces zones que la République française se plaît souvent à ignorer. A travers le manifeste « La France de demain », qu’il a co-écrit avec son ami engagé en politique, Brahim Chiki, il décrit les banlieues, leurs problématiques mais aussi leur vivacité et leur richesse.

A l’approche de la Dictée pour laquelle 1000 personnes son attendues, il a accepté de nous livrer son regard d’initié sur la situation des cités de France dont  l’éducation est l’une des clés de réhabilitation.

 

Dans ce manifeste vous clamez votre amour pour l’éducation. Justement, quelle lecture faites-vous de la réforme scolaire portée par Najat Wallaud-Belkacem ?

Je pense que cette réforme c’est d’abord une mesure d’économies. Elle a été lancée par Peillon et assumée par la ministre mais c’est une erreur. Enseigner le latin est quelque chose d’important et une base de culture générale, le supprimer c’est tirer vers le bas. Quant au fait de garder  l’allemand je suis moins convaincu de son importance. Concernant l’éducation nationale, c’est vrai qu’il y a un véritable sujet notamment sur le collège sachant que c’est une étape décisive pour le jeune. Et je pense qu’il faut effectivement donner envie d’apprendre aux jeunes, adapter l’enseignement mais leur laisser le latin afin qu’ils aient une ouverture sur le monde.

 

Trouvez-vous important que l’histoire des populations immigrées figure (de la façon la plus authentique) dans les manuels scolaires ? (Revenir sur des périodes qui permettraient une lecture plus juste (la colonisation), notamment en ce qui concerne la question de l’Islam).

Si cela peut permettre de fédérer et d’apaiser c’est bien. Mais je pense qu’il est beaucoup plus important de susciter auprès des élèves la curiosité pour que chacun cherche, s’interroge, se documente et se fasse sa propre lecture.

 

Vous traitez d’origines sociales modestes dans les banlieues françaises, mais peut-on dissocier, dans ces espaces, la question sociale (socialo-économique) de la question ethnique (raciale) ?

Je crois que la misère est tout d’abord sociale. Après on pense qu’elle est ethnique mais ce qui nous permet d’être mobile ce sont les moyens. On a accès à plus de choses, on étouffe moins. Quelqu’un de classe ouvrière a moins de mobilité, de perspectives et se retrouve confronté à plus de difficultés qu’une personne de classe supérieure et j’en sais quelque chose.

A la fin du chapitre « Des adultes pour nos enfants » écrit par Brahim Chikhi, une excellente question est posée : « Au nom de la survie économique et du devoir de subvenir aux besoins de la famille, il serait donc autorisé de laisser un enfant livrée à lui-même ? ». Dans ces cas précis, que peut-on proposer à ces parents en difficulté financière, sociale, affective ? Quels pourraient en être les relais en dehors de l’école républicaine qui ferme ses portes à 18 heures ?

L’idée est surtout que chaque habitant prenne ses responsabilités car nous avons tous un devoir dans notre quartier et c’est ça la citoyenneté. On ne peut pas s’enfermer chez nous sans prendre en compte l’extérieur, sans contribuer à notre société, selon nos capacités. Si chacun s’investit un peu  (donne de son temps) sur son territoire c’est un moyen de préserver son environnement, d’éviter qu’il se dégrade et aussi de vivre ensemble. Quand les parents sont en difficultés et qu’il existe un noyau de gens investis dans le quartier on peut les aider à s’en sortir, à ne pas s’isoler. On peut orienter les enfants vers les structures associatives, vers des activités qui leur permettent de se construire. J’ai mené pour le bailleur Plaine commune Habitat des ateliers d’écriture sur une période de six mois dans un quartier de Saint Denis. J’ai commencé avec les ados sur un court métrage. Les primaires sont venus pour reproduire le travail de leurs ainés. Et les parents se sont aussi impliqués dans le projet et ont développés des évènements fédérateurs (fête des gardiens, de fin d’année etc.). Après mon départ du quartier, ces habitants ont continué des actions ensemble et finalement l’écriture et les restitutions ont été des prétextes pour recréer un lien, le préserver et qu’ils composent ensemble. C’est un exemple concret et j’en ai d’autres. L’avenir de notre société est entre les mains de ses citoyens et il faut vraiment développer ça, reconstruire ensemble au lieu de s’opposer.

 

Dans ce même chapitre, il est écrit : « Le temps est l’essence même de l’éducation. » Pourtant, pensez-vous que la République ait réellement ce temps ? Ou est-elle comme ces parents qui, préoccupés par les impératifs économiques, délaissent les questions d’encadrement des enfants ?

Oui il y a aussi de la part de l’état des soucis d’économie et notre service public se dégrade avec ces coupures budgétaires. Je pense qu’on est aujourd’hui dans une gestion de masse plutôt qu’individuelle et qu’on le fait pour des impératifs économiques. Après c’est aussi une époque que j’appelle l’ère numérique, tout va vite, on a plus le temps et on délaisse l’humain et les valeurs.

 

Vous abordez la question de l’éducation parentale. Que pensez-vous de ce débat sur la fessée et autres châtiments corporels éducatifs, ou : comment peut-on interdire à des parents d’éduquer selon des principes qui leurs semblent efficaces et se voir plus tard reproché le mauvais chemin pris par son enfant ?

J’ai rencontré un parent à Goussainville. Ce dernier racontait comment dans les années 90 les services sociaux sont intervenus auprès d’autres parents pour empêcher la fessée. L’enfant prétendait que ses parents étaient durs et les services se sont interposés, cela a fini en placement dans une famille. Puis l’enfant a fugué et les services se sont rendu compte qu’il jouait de ça. Ensuite ces parents qui ont perdus leur autorité on leur a rendu mais cela déstabilise de voir les services remettre en question l’éducation que vous donnez à vos enfants pour une fessée. Les enfants ont pris le pouvoir et on ne peut pas s’immiscer dans la structure familiale pour une fessée (on ne parle pas là de violences mais d’une fessée) et plus tard on reproche de ne pas avoir d’autorité. Il y a un juste milieu et le débat sur la fessée n’est pas nécessaire. Mais aujourd’hui c’est aussi compliqué car les structures familiales sont différentes, il y a les familles monoparentales, les familles recomposées et même les familles où les mamans partagent avec d’autres familles un appartement (par soucis d’économie).

 

Vous confiez dans ce manifeste, avoir arrêté l’école au niveau BAC, pourtant vous en faites l’éloge. Cela signifie-t-il qu’à un moment donné, quelque chose dans l’institution n’a pas fonctionné, qu’il y a eu des carences au sein du système par rapport à vos aspirations ?

Je ne fais pas l’éloge de l’école, je souligne son importance et son rôle central. L’école c’est la chance pour tous même si cela se dégrade. C’est aussi l’école (si elle est de qualité) qui fait rester des classes moyennes dans un quartier et permet sa mixité. Ce sont aussi les enseignants impliqués qui peuvent transmettre aux enfants et en faire des acteurs de notre société (j’en connais pas mal). Concernant mon cas, étant jeune j’étais fan  de Comics et j’aspirais à devenir dessinateur-scénariste mais la conseillère d’éducation m’a orienté vers autre chose (une 4eme techno). Et j’avais un mauvais dossier. J’ai rencontré il y a quelques années un groupe d’enseignants de Seine Saint Denis dans le cadre de mon métier de romancier et scénariste. Pendant cette rencontre je suis revenu son mon parcours scolaire et professionnel. L’une des enseignantes m’a dit « quand on vous voit, on se dit qu’on (enseignants) a laissé passer quelque chose. Qu’on a loupé quelque chose ». Je pense que c’est un peu ça, on n’a pas forcément entendu ce que je voulais faire, pas vu comment je dessinais et du coup l’école passe parfois à côté. Tout dépend des rencontres que l’on fait.

En quoi pensez-vous que l’exercice de la dictée peut être un moyen de rassembler et de promouvoir la jeunesse des banlieues, tout en étant un moteur d’émancipation ?

En dix-neuf dictées, j’ai vu les participants, de tous les âges, toutes les origines, toutes les confessions autour d’un même texte de littérature française.  La dictée montre que les jeunes aiment la langue française et s’interrogent sur leurs fautes, qu’ils sont passionnés même s’ils la tordent avec leurs codes. La dictée c’est un moment où tout le monde se retrouve mais qui déclenche aussi la curiosité, on prend sa copie et on cherche ses erreurs, la signification des mots. Ce la peut sembler idyllique mais c’est vraiment beau de vivre ça, ça incarne vraiment les valeurs de la république mais il faut le vivre pour le palper.

 

La notion de communauté, au sens ethnique, est remplacée par l’assimilation. Si les communautés ne sont pas à prendre en compte dans  ces territoires, peut-on dire que l’Islam, par la communauté musulmane, constitue l’une des seules réelles dans les quartiers ?

L’islam est une jeune religion en France et elle séduit de plus en plus de gens qui la rencontrent à travers les gens qui la pratiquent. Je pense qu’elle suscite des interrogations, des inquiétudes, plusieurs sentiments mais qu’elle est vivante car active dans les quartiers (maraude pour les démunis, valeurs familiales etc.). Ceci dit, j’ai vu un pasteur actif dans le quartier du Haut lièvre à Nancy. Je pense que les autres religieux ont désertés le terrain, pour quelles raisons ? Peut-être parce que les jeunes n’ont pas pris le relais tandis que l’islam prend de plus en plus d’ampleur et je ne parle pas des extrêmes. Par exemple au quartier Dourdain à Saint Denis dans les années 90 vous aviez des bonnes sœurs très actives mais elles sont aujourd’hui âgées et ont quittés le quartier. Personne n’a repris le flambeau.

 

Quel est votre avis concernant la décision de justice rendue lundi dernier dans l’affaire Zyed et Bouna ?

Il y avait une forte attente de la part des familles. Et je pense qu’elles avaient besoin d’un signal, d’une justice et  avec la relaxe des policiers elles ont vécu une injustice. Concevez-vous que vos enfants puissent mourir dans un transformateur sachant que des policiers étaient dans les environs et savaient qu’ils s’y étaient introduits ?  Que finalement ce sont les grands de la cité qui les ont retrouvés. J’en ai discuté avec une amie qui a suivi les familles depuis dix ans et elle a assisté au procès. Elle m’a dit que l’annonce de la décision lui a donné froid dans le dos et cela résume parfaitement mon avis sur la décision de justice.

SK
SK
SK est la rédactrice/ journaliste du secteur Politique, Société et Culture. Jeune femme vive, impétueuse et toujours bienveillante, elle vous apporte une vision sans filtre de l'actualité.

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