Qu’est-ce que la surliquidité bancaire ? 8 questions à l’économiste Auguste Mpacko Priso

Parmi les phénomènes économiques qui entravent le développement de l’Afrique, il y a celui de la surliquidité bancaire. Directement lié aux habitudes de consommations des populations africaines, ce problème constitue un des principaux freins au fonctionnement d’une économie saine, dans des pays en demande d’émergence. Que devient le capital généré par un pays ? Comment est-il transformé pour fructifier et comment les investissements, ou l’absence d’investissements constituent un danger pour l’équilibre financier d’un Etat. Comprendre ce qu’est la surliquidité bancaire, c’est déceler un des facteurs  clés quand au processus de croissance économique.

L’économiste camerounais Auguste Mpacko Priso a accepté de décrypter pour nous ce sujet complexe à travers huit questions.

 

Qu’est-ce que la surliquidité bancaire ?

Pour comprendre la question de la surliquidité, il faut d’abord enlever le préfixe et comprendre le concept de liquidité.

La liquidité est la facilité avec laquelle un actif (action, obligation, devise, immobilier…) peut être transformé en monnaie de banque centrale (seule monnaie acceptée de tous). Il est facile de comprendre pourquoi la liquidité d’un actif intéresse les investisseurs et les autorités de régulation (des banques, des marchés financiers et des marchés d’assurance). Lorsqu’un investisseur envisage d’acheter un actif, il aimerait qu’il soit liquide afin de pouvoir le vendre lorsqu’il le souhaite (par exemple lorsque son prix a beaucoup augmenté et qu’il a la possibilité de faire une plus-value). Certains actifs sont illiquides par nature. C’est le cas de l’immobilier physique et certains compartiments de l’immobilier papier. Par exemple si vous possédez un appartement, le vendre vous prendra quelques mois (délai lié à la procédure même lorsque vous trouvez un acheteur tout de suite).

 

On parle de surliquidité bancaire lorsque la banque a collecté une épargne qui ne se retrouve pas dans les crédits octroyés aux clients.

 

 

Le concept de liquidité est donc facile à comprendre lorsqu’il concerne un actif. Qu’en est-il de la liquidité bancaire ?

Pour appréhender la réponse, il faut se rappeler les deux métiers de base d’une banque : collecter l’épargne des agents économiques dont les revenus de la période sont supérieurs aux dépenses de la période (encore appelés agents à capacité de financement) et la mettre à la disposition des agents économiques qui sont dans une position contraire (agents à besoins de financement). La période peut être le jour, le mois, l’année ou davantage. Supposons qu’au cours d’une période, la banque a collecté plus d’épargne qu’elle n’en a octroyé de crédits, elle peut acheter des titres. Si le client qui a placé son épargne souhaite la récupérer, la banque peut être obligée de vendre ces titres. Si ceux-ci ne sont pas liquides, elle ne peut satisfaire tout de suite la demande du client. Ce qui la mettra en difficulté.

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On parle de surliquidité bancaire lorsque la banque a collecté une épargne qui ne se retrouve pas dans les crédits octroyés aux clients. Elle garde donc cette épargne dans ses comptes et quelques fois, elle la place auprès de la banque centrale.

Cela dit, la question de la surliquidité bancaire est difficile à appréhender en Afrique à cause de la défaillance du système d’information. En effet, la monnaie qui est créée dans un pays correspond à la richesse produite dans ce pays. N’oublions pas la fonction de base de la monnaie : permettre une circulation dans le temps (d’aujourd’hui à demain) et dans l’espace (d’une ville à une campagne ou inversement) des biens réels. Comme la création de richesse est très mal mesurée en Afrique du fait du poids de l’informel, il est difficile de savoir si la quantité de monnaie créée correspond à la richesse produite.

 

 Dans les zones BEAC et UEMOA, même si les cadres ont été africanisés, la politique monétaire est encore gérée depuis Paris.

 

Depuis quand la surliquidité bancaire a-t-elle été identifiée comme problème ?

La surliquidité bancaire est un problème lorsque les projets ne peuvent être financés parce que les banques ne veulent pas prêter. Or pour qu’une banque prête à un client, elle a besoin d’avoir un minimum d’informations fiables sur le client. Le problème en Afrique est que le plus souvent, l’information n’est pas fiable, tout simplement parce que le système le permet. Comment comprendre qu’aujourd’hui, on trouve des entreprises qui annoncent des chiffres d’affaires de l’ordre du milliard de F CFA (plus de 1,5 million d’euros) et qui sont dans l’informel (pas de comptabilité notamment).

 

Finalement, la surliquidité est un problème plus ou moins visible en fonction des périodes et des contraintes économiques des pays.

 

Lorsqu’une banque prête à un client, elle a besoin d’avoir une visibilité minimale. Une entreprise qui fonctionne dans l’informel ne peut pas lui donner cette visibilité. Face à un poids important de l’informel, les banques préfèreront la surliquidité bancaire. L’informel a donc toujours été un problème pour les banques. Cependant, lorsque le boom économique général (essentiellement les années 70 avec l’explosion des prix des matières premières) permettait de camoufler ce problème et que les banques compensaient les pertes par des gains réalisés ailleurs, personne ne faisait le lien entre informel et surliquidité. Malheureusement, même aujourd’hui, de nombreux économistes ne comprennent pas que pour résoudre le problème de surliquidité, il faut réduire de façon importante le poids de l’informel. Finalement, la surliquidité est un problème plus ou moins visible en fonction des périodes et des contraintes économiques des pays.

 

Dans quelle mesure ce phénomène impacte l’économie d’un pays ?

La surliquidité est néfaste pour l’économie d’un pays dans la mesure où elle ne permet pas de financier l’investissement. Dans des pays comme les nôtres, où les marchés financiers sont quasi-inexistants, le financement bancaire est essentiel. La micro-finance ne peut pas financer les projets d’une certaine taille. Par conséquent, le financement bancaire est indispensable. Or, sans investissement, pas de création de richesse. Pas de création de richesse, pas de recul de la pauvreté.

 

Sur le continent africain, combien de pays sont concernés ?

La quasi-totalité des pays d’Afrique sub-saharienne sont concernés même si c’est à des degrés divers. Quelques progrès ont été réalisés ces dernières années mais le chemin à parcourir est encore long.

 

Quelles répercussions peut-il y avoir sur des secteurs autres que l’économie ? (secteur du travail, de la Santé, du bâtiment ?)

Tous les secteurs de l’économie ont besoin de se financer. L’incapacité des banques à répondre favorablement à des demandes de crédit impacte tous les secteurs. Aucun secteur n’est à l’abri.

 

  On connait des pays qui ont eu besoin de quelques décennies pour transformer leur économie.

 

 

Comment expliquez-vous que beaucoup de gouvernements africains fassent le choix de conserver les liquidités au lieu de les réinvestir ?

La plupart des gouvernements africains ne comprend pas comment fonctionne une économie moderne. La plupart des dirigeants africains raisonne comme à l’époque de l’économie de la cueillette. D’ailleurs, ils ont un rapport très étrange à la banque. D’un côté, il y a ceux qui ont sous-traité cette question au colonisateur. Dans les zones BEAC et UEMOA, même si les cadres ont été africanisés, la politique monétaire est encore gérée depuis Paris. Il n’y a qu’à se rappeler comment a été décidée la dévaluation du Franc FCA en janvier 1994. Naturellement, les gouvernements contesteront cette affirmation, mais c’est ça la réalité. De l’autre, les pays qui avaient créé leur propre monnaie l’ont si mal gérée qu’ils ont contribué à diffuser l’idée selon laquelle les peuples de cette partie du monde étaient inaptes à la gestion de la monnaie. Tout le monde se souvient de l’exemple de l’hyperinflation au Zaïre. Dans la RDC aujourd’hui, plusieurs monnaies subsistent et nombreux sont ceux qui font davantage confiance au dollar américain qu’à la monnaie nationale, le Franc Congolais.

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L’affirmation selon laquelle ils font le choix de la surliquidité au lieu de l’investissement n’est donc pas exacte. Ils ont confié la gestion de leur économie aux banques étrangères et les banques étrangères protègent leurs propres intérêts. Lorsqu’ils ont créé leur(s) banque(s), ils l’ont si mal géré qu’elle(s) a (ont) fait faillite(s). Ils ont là-aussi laissé penser au monde que les Africains ne pouvaient gérer cette chose cruciale pour l’économie qu’est la banque. Or, aucun pays au monde ne s’est développé sans banque(s) locale(s). Je ne connais d’ailleurs aucun pays qui s’est développé avec plus de banques étrangères que locales. C’est très simple à comprendre. La banque étrangère, en dépit des accords signés, rapatrie les bénéfices dans le pays de la maison mère. Pire, avec l’ingénierie comptable, elles peuvent même rapatrier tous les bénéfices.

 

Y’a-t-il de structures viables et fructueuses dans lesquelles l’argent pourrait être réinvesti ? Lesquelles par exemple ?

La chose qui manque le plus à l’économie africaine est le financement des investissements. Il n’y a que deux sources de financement : les marchés financiers ou les banques. Le caractère embryonnaire des marchés financiers africains fait qu’on ne peut compter que sur les banques. Or, les banques doivent être professionnelles. Elles n’ont d’ailleurs qu’une clé de ce professionnalisme et pas les deux. L’autre clé est détenue par les autorités qui doivent moderniser leur économie. Pour la moderniser, il faut déjà comprendre comment elle fonctionne. Cela a l’air simple, mais c’est horriblement compliqué.  Il faut arrêter d’essayer d’inventer l’eau chaude. L’immense majorité des peuples dans le monde ont été, comme les africains, des paysans. On connait des pays qui ont eu besoin de quelques décennies pour transformer leur économie. Les Africains se complaisent dans le déni. Ils aiment à rappeler que Paris ne n’est pas fait en un jour. Ils préfèrent s’accrocher aux mauvais exemples plutôt qu’aux bons. Tous les économistes cultivés savent qu’au sortir des indépendances, la Corée du Sud était moins riche que le Ghana. Aujourd’hui, le premier pays cité boxe dans la cours des grands lorsque l’autre rêve encore d’émergence !

 

Peut-on dire que ce phénomène influence le rapport des africains avec l’argent ? Comment ?

Ça plait beaucoup aux Africains de dire qu’ils sont différents. J’ai du mal à identifier en quoi ils sont vraiment différents des autres peuples face à l’argent. La seule chose que je vois c’est que dans d’autres pays, les élites ont pris leurs responsabilités. Ce n’est pas le cas en Afrique. Cependant, la guerre n’est pas encore terminée. Bien sûr, nous avons perdu beaucoup de batailles mais la guerre n’est pas finie. Ce qui est dommage, c’est que les Africains assistent en spectateurs à la guerre économique qui se passent depuis plus d’une décennie chez eux.  Il s’agit incontestablement de la dernière frontière. Sera-t-elle tracée comme en 1844 à Berlin ? Les Africains finiront-ils par se réveiller et comprendre enfin comment fonctionne l’économie afin de protéger leurs intérêts ?

 

·         Liquidité bancaire :  possibilité de transformer rapidement en monnaie un actif.·         BEAC : Banque des Etats de l’Afrique Centrale.·         UEMOA : Union Economique et Monétaire Ouest Africaine.
·         Surliquidité bancaire : accumulation de liquidités  non réinvestis  dans l’économie réelle.·         La gestion économique d’une grande partie des états africains se fait par des banques étrangères.

 

SK
SK
SK est la rédactrice/ journaliste du secteur Politique, Société et Culture. Jeune femme vive, impétueuse et toujours bienveillante, elle vous apporte une vision sans filtre de l'actualité.

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