Agontime était la Kpojito ou ‘reine-mère’ du Roi Guezo de Dahomey (1818-1858).
Par Sandro CAPO CHICHI / nofi.fr
Dans le traitement institutionnel occidental de la question de la traite des Noirs, des rois africains sont systématiquement placés comme équivalents en responsabilité aux Etats occidentaux et à leurs dirigeants. L’un d’entre eux est le roi Guezo de Dahomey (1818-1858), qui aurait notamment demandé dans un courrier à la Reine d’Angleterre, d’interdire la Traite des Noirs partout sauf dans son royaume, l’économie de ce dernier ne pouvant selon lui pas s’en passer.
Le cas de Guezo et d’autres rois africains est sans cesse utilisé pour opposer Noirs d’Afrique et des Amériques ; les premiers seraient les descendants des vendeurs des ancêtres des seconds. Devant cette vision simpliste, on a souvent objecté que loin d’être seulement héritiers de vendeurs d’esclaves, les ancêtres des Africains du continent étaient aussi ceux des victimes de la déportation de leurs parents. Si par ces critiques, on sous-entend qu’aux classes dirigeantes africaines collaboratrices de la traite s’opposaient des Africains ‘du quotidien’ victimes de ce crime, l’exemple de Guezo montre que la situation était encore plus complexe.
Agontime
En 1797, lors de la mort du roi de Dahomey Agonglo (1789-1797), c’est son fils Adandozan qui monte sur le trône, au détriment, notamment de son demi-frère Guezo, soutenu par sa mère Agontime.
Adandozan, qui voyait probablement Agontime comme une menace à son autorité, l’aurait faite déporter au Brésil. Vers 1818, Guezo, avec l’aide d’un négrier brésilien, Francisco Félix De Souza, renverse son demi-frère Adandozan et devient roi.
A Dahomey, le pouvoir du roi (symbolisé par le léopard, kpo en langue fon) se partage avec une reine-mère (la kpojito, ‘celle qui engendre le léopard’).
Pour mener au mieux son règne, mais évidemment aussi pour renouer les liens affectifs avec sa mère, Guezo envoie plusieurs missions diplomatiques au Brésil.
Le résultat des missions diplomatiques de Guezo au Brésil est inconnu. Alors que certaines traditions rapportent qu’elle fut retrouvée et rapatriée à Dahomey, d’autres prétendent qu’elle n’a jamais été retrouvée. Des récits contemporains du règne de Guezo font en tous cas mention d’une Agontime. L’historienne américaine Edna G. Bay a notamment pointé du doigt que cette Agontime ne pouvait être la mère biologique de Guezo, ce qui laisse à penser qu’il s’agit d’une autre Agontime, et non celle déportée une vingtaine d’années auparavant sous Adandozan. Les héritières des Kpojito de Dahomey, conservant leur héritage mais aussi le nom de règne de leur ancêtre, on peut penser que l’Agontime décrite sous le règne de Gezo n’en était pas la mère et que la première n’aurait été pas été retrouvée.
Au Brésil, à São Luis de Maranhão, de manière intéressante, se trouve un temple fondé au dix-neuvième siècle et appelé Casa das Minas.
La particularité des divinités qui y sont toujours adorées a attiré l’attention d’un chercheur français, Pierre Verger dans les années 1940. Bien que les prêtres du temple n’en étaient pas au courant à l’époque, il s’agit de noms de membres déifiés de la famille royale de Dahomey dont le plus récent est ‘Agongono’, qui correspond à Agonglo, le père de Guezo et époux d’Agontime. Notamment parce qu’ Agontime était une prêtresse réputée et qu’elle avait officié jusqu’après la mort et la divinisation d’Agonglo, Verger a conclu qu’ elle était probablement la fondatrice de la Casa das Minas. Cette conclusion a depuis été contestée, notamment car au moins quatre dizaines d’autres femmes du palais royal de Dahomey avaient été vendues sous Adandozan. Dans la culture populaire brésilienne toutefois, cette association est acquise et Agontinme est considérée et célébrée comme un symbole et une figure de l’héritage africain au Brésil à côté de personnages comme Zumbi de Palmarès.
Conclusion
Le cas de Guezo et d’Agontime montre la complexité du phénomène de la traite des Noirs en Afrique noire. Celui-ci ne peut se réduire à une distinction entre Africains modernes tous descendants de négriers et Noirs du Nouveau Monde de leurs victimes, ni entre Africains et Noirs du Nouveau Monde entièrement descendants de victimes d’une classe dirigeante africaine qui aurait été leur bourreau. Jusque dans cette dernière, le poison de ce crime fanatique et incontrôlable qu’était la traite des Noirs s’était en effet propagé, amenant ses membres les plus influents à combattre ses excès lorsque ceux-ci le touchaient dans leur chair, sans pouvoir pourtant pleinement y parvenir, et laissant une partie de leur sang de l’autre côté de l’Atlantique.