ENQUÊTE – Les Noirs de France se cherchent une place dans la société

Est-ce que la société a une place à consacrer aux Noirs de France ? Force est de constater que cette frange de la population française peine à tracer son sillon dans le pays de l’Egalité-Liberté et Fraternité. Alors question : à qui la faute ? Dans cette enquête, nous tentons d’expliquer les raisons du problème d’intégration de certains Français, nés dans l’Hexagone ou d’origine immigrée.

(Enquête Nofi)

La communauté noire est toujours aussi victime de racisme et discrimination. Pour preuve, un sondage inédit (les fichiers basés sur des critères ethniques sont interdits) réalisé par l’institut TNS Sofres  du 3 au 23 janvier 2007, à la demande du Conseil représentatif des associations noires (CRAN), fait savoir que 56% des Noirs de France se déclarent victimes de discrimination raciale.

Ce constat nous pousse à nous poser cette question : les Noirs de France sont-ils considérés comme des citoyens à part entière ou, au contraire, des citoyens entièrement à part ?

Noir, Black, Négro, Nouveau Noir, Personne de couleur ?

Dans une interview accordée, en mars, au site Clique.tv, le rappeur américain à succès Kanye West affirme que le racisme est un « concept daté et stupide ». Pour lui, la discrimination serait désormais sociale étant donné que les jeunes ne ressentent plus, selon lui, les effets négatifs du mot Nègre.

Par ailleurs, la  star du rap US a mentionné le terme de Nouveau Noir, notamment évoqué par Pharell Williams lors d’une interview accordée l’année dernière au journal britannique The Guardian. « Le Nouveau Noir ne blâme pas les autres races pour nos problèmes. Il rêve et réalise que ce n’est pas une question de pigmentation mais bien de mentalité, qui peut jouer en votre faveur ou contre vous », estime le célèbre chanteur.

« Je ne comprends pas pourquoi, en France, on préfère utiliser le terme Black pour dire Noir, s’interroge Bénédicte Mvondo. C’est une hypocrisie bien française, souligne cette étudiante, âgée de 24 ans, en Master 1 de Droit des affaires à la Sorbonne. Personnellement, je pense que Négro ou Négresse est un mot trop connoté négativement, rappelant crescendo l’esclavage », ajoute-t-elle.

Du même avis, Yahi Diallo, 31 ans, renchérit : « Les termes comme Négro ou Nègre étaient utilisés pendant l’esclavage. Donc, les utiliser en 2015 pour nous nommer c’est une façon de nous rabaisser, dit-il et d’ajouter : Je préfère les mots Black ou Personne de couleur qui me semblent moins agressifs », conclut ce commercial d’origine malienne.

Salomon, ingénieur d’une vingtaine d’années, pense qu’il faut appeler un chat, un chat. « Je pense qu’on devrait appeler un Noir, Noir. Tout comme un Blanc, Blanc aussi. Me concernant, je déteste le mot Personne de couleur car toute peau a une couleur, explique cet immigré camerounais. On s’en fout un peu de l’appellation à partir du moment où il n’y a aucune discrimination », précise-t-il.

On peut dépasser la question de la peau seulement lorsqu’on vit dans une société à population homogène. D’où la difficulté pour les Noirs de France de trouver leur place dans la société française, une société à dominance blanche. Cependant, il n’y a rien de bénéfique à se complaire dans le rôle de victime, parce que cela situe le sujet concerné dans une posture de passivité obstruant aussi les possibilités infinies autour de soi

L’ascenseur social est en panne

Il est judicieux de rappeler que le taux de chômage tourne autour de 10% en France. Et les Noirs de France sont, davantage, victimes de ce marasme économique. Par conséquent, de nos jours, on assite plutôt à l’expatriation de Français issus des minorités vers les USA là où ils semblent trouver leur place.

Un contexte social compliqué que Franco, porte-parole de la Brigade Anti-Négrophobie, dénonce. « Pour avoir une idée de la place que cette République nous (les Noirs de France) réserve, il faut que l’on arrête de regarder les belles apparences affichées par le dit pays des droits de l’Homme, et que l’on apprenne à lire entre les lignes de ses fables pleines de bonnes intentions pour y déceler finalement la réalité monstrueuse d’un racisme d’Etat », s’offusque le militant associatif.

« Force est de constater l’échec de notre communauté en France », s’indigne Bénédicte Mvondo. Avant de tirer la sonnette d’alarme : « Les Indiens et Chinois, par exemple, réussissent ici. Pourtant, ils sont arrivés il n’y a pas longtemps dans ce pays. » C’est aussi l’avis de Yahi Diallo qui déclare : « Nous, les Noirs de France, sommes tout en bas de l’échelle sociale. J’ai l’impression que cette image de losers nous fait perdre toute crédibilité. » Salomon, lui, intellectualise le débat. « La différence entre les Noirs étrangers et les Noirs français c’est que les premiers sont, en général, très bosseurs car ils savent d’où ils viennent et sont conscients des sacrifices à faire pour s’intégrer afin de réussir dans un pays qui n’est pas (totalement) le leurs », estime-t-il. Poursuivant son analyse, il soutient l’idée selon laquelle : « les fils d’immigrés sont, malheureusement, considérés comme étrangers en France, et pourtant ils sont des Français à part entière ».

Solidarité vs communautarisme

La présence des Noirs en France remonte à plus loin qu’à l’immigration postcoloniale. En réalité, elle date de l’esclavage. Du coup, il y a lieu de se demander pourquoi la communauté noire de l’Hexagone a du mal à tirer son épingle alors que les immigrés européens, présents dans le pays depuis quelques décennies seulement, se sont fondus parfaitement dans la masse.

« Evincer la question de la couleur comme élément de stigmatisation dans les rapports humains, c’est omettre que les stéréotypes et les clichés sont imbriqués dans l’imaginaire collectif », confie Odome Angone, écrivaine-chercheure.

« Pour moi, le communautarisme est le meilleur moyen pour qu’une communauté réussisse », croit savoir l’étudiante en Droit que nous avons interviewée. « La division de notre communauté est une des raisons de notre échec », poursuit-elle. Alors que le commercial qui a répondu à nos questions estime que « le Noir lambda a un complexe d’infériorité qu’on ne retrouve pas chez les Noirs célèbres qui sont mieux considérés par les Blancs ». Enfin, l’ingénieur qui a participé à notre enquête dit que « vouloir c’est pouvoir » : « Je pense qu’un Noir qui veut réussir en France, réussira. Il suffit de connaître les règles (lois) et agir en conséquence. »

Selon Odome Angone, interviewée par Nofi, on peut dépasser la question de la peau seulement lorsqu’on vit dans une société à population homogène. D’où la difficulté pour les Noirs de France de trouver leur place dans la société française, une société à dominance blanche. Cependant, « il n’y a rien de bénéfique à se complaire dans le rôle de victime, parce que cela situe le sujet concerné dans une posture de passivité obstruant aussi les possibilités infinies autour de soi », explique-t-elle.

Sébastien Badibanga
Sébastien Badibanga
Journaliste-reporter, cool et branché. La politique est mon dada. J'aime aussi : la culture, les Etats-Unis, le PSG, l'électro et la mode. Je suis un épicurien qui croque la vie à pleine dent. "Je ne suis pas là pour plaire ou déplaire, mais pour porter la plume dans la plaie" (Albert Londres).

News

Inscrivez vous à notre Newsletter

Pour ne rien rater de l'actualité Nofi ![sibwp_form id=3]

You may also like