‘L’opinion tranchée de Sandro’ est une rubrique NOFI qui propose un parti-pris de notre rédacteur Sandro CAPO CHICHI sur un fait d’actualité ou de société. Aujourd’hui ‘Dear White People: une subtile propagande contre l’activisme noir’. Derrière une façade de lutte et de dénonciation du racisme blanc aux USA, le film Dear White People cache un message très critique contre l’activisme noir dans ce pays.
Par Sandro CAPO CHICHI / nofi.fr
Dear White people (2014), de Justin Simien est un film qui parvient à mettre la lumière sur certains faits plus ou moins subtils autour du racisme dans les sociétés occidentales modernes : le caractère odieux du blackface; la fétichisation des Noirs, de leurs corps et de leurs cheveux par les Blancs dans les relations amoureuses, amicales et professionnelles; la nécessité de les combattre; la légitimité de la discrimination positive; l’absurdité du concept de racisme anti-blanc, etc.
L’ ‘oppression’ des métis par les Noirs?
Au delà de ces petits points pédagogiques qui n’ont pas non plus réinventé la roue, est présentée l’histoire de l’héroïne du film Samantha ‘Sam’ White, à côté de celle, moins décisive, de trois autres personnages. Sam White, dont il est difficile de croire que le nom (et le prénom?) a été choisi au hasard, est en quelque sorte une ‘métisse refoulée’ qui passe plusieurs heures dans sa salle de bain chaque matin pour cacher ses cheveux lisses qui trahiraient son métissage. Mais le travestissement ne s’arrête pas là. La jeune femme admire secrètement Ingmar Bergman, un réalisateur blanc, mais se sent obligée de raconter qu’elle adore Spike Lee en public. Elle écoute des rockeurs blancs, mais se sent obligée de proclamer qu’elle aime le rap. Elle aime un jeune Blanc mais refuse de le sortir de sa chambre à coucher et s’affiche en public avec un Noir. Qui force Sam à agir ainsi? Manifestement pas l’efficacité puisque le réalisateur se fait un plaisir de montrer le caractère inepte des méthodes des activistes pro-Noirs pour régler le problème du racisme…à part comme seconds couteaux agissant sous la coupe d’une idéologue ouverte au métissage.
Sam et ses prétendants
Sam est amoureuse en secret de Gabe, un jeune étudiant blanc qui partage sa passion du cinéma, son coeur et son lit. Clairement viril, il n’hésite pas à la contredire, est prêt à la défendre en personne, lui révèle ce qu’elle est vraiment et l’aime pour ce qu’elle est.
Son autre prétendant, un étudiant noir appelé Reggie n’attire pas du tout Sam, qui n’accepte visiblement qu’à contrecoeur de l’embrasser. Complètement asexué et soumis à Sam, il se comporte de son propre aveu comme un toutou avec elle, la suivant partout ; il n’a pas les ‘couilles’ de se présenter comme représentant des étudiants et préfère laisser cette tâche à Sam, allant même jusqu’à truquer l’élection pour la voir se faire élire. Il veut la forcer à passer pour une activiste énervée qu’elle n’est pas et n’est choisi par elle que parce qu’il serait le ‘seul Noir célibataire potable et libre du campus’ (sic).
Alors d’accord, il existe des cons blancs et des cons noirs, des bons Blancs et des bons Noirs, mais le choix délibéré d’un tel héros blanc et d’un tel zéro noir n’a comme choix symbolique de l’avenir de la femme métisse ne peut pas ne pas avoir de conséquences dans l’inconscient du spectateur.
Dans la dernière partie du film, la résolution du problème du grossier racisme anti-noir se fait grâce à la suggestion de Gabe à Sam : elle doit arrêter de jouer les Malcolm X et ses dénonciations via son émission Dear White People. C’est son génie de cinéaste et son anarchisme révélés par Gabe qui régleront le problème, pas le fait de jouer le rôle d’une activiste pro-noirs énervée qu’elle n’est pas en son for intérieur.
Lors d’une scène particulièrement édifiante, Reggie, qui est toujours accompagné de ses acolytes activistes énervés, exige de Sam qu’elle prenne la tête de leur manifestation, celle-ci refuse et quitte les lieux après avoir appris que son père blanc était malade se dirigeant à la même occasion vers Gabe. Lors d’une des scènes finales du film, Sam déclare sa flamme à Gabe en le comparant à son père blanc avec qui elle avoue avoir eu honte de sortir autrefois comme elle a eu plus récemment honte de sortir avec Gabe. Le couple se décide enfin à marcher ensemble publiquement main dans la main devant le regard haineux de ses anciens amis activistes pro-noirs qui s’ils empêchaient le couple de s’aimer au grand jour empêchaient également symboliquement aussi le règlement du racisme anti-noir le plus visible.
Pourquoi avoir associé de manière si manifeste le règlement le problème du racisme et le mariage mixte sinon pour se prêter à une apologie du métissage, qui semble pour le réalisateur devoir être revendiqué, légitimé et différencié de toute forme de relations interraciales du passé basées sur le viol et l’esclavage? Que dans cette Amérique d’Obama où le métissage d’amour est désormais possible et glorifié, à part les discriminations les plus grossières envers les Noirs comme le Blackface, l’Amérique serait un pays tolérant où les Noirs ne doivent plus se plaindre dans les revendications communautaires et les blessures des relations raciales du passé?
La réponse est peut-être dans le profil du réalisateur et dans le succès du film. Justin Simien a lui-même déclaré s’identifier à Woody Allen et à Ingmar Bergman en tant que réalisateur et refuser d’être comparé à Spike Lee. Homosexuel, il a peut-être subi l’intolérance d’une partie de la communauté noire. Une expérience, associée à une autre dans une université blanche qui l’a inspiré explique peut-être ce film qui s’apparente au final davantage à un règlement de compte contre une partie de la population noire présentée comme inférieure au vivre ensemble et au métissage dans le règlement du problème du racisme, un postulat qui colle parfaitement avec l’idéologie de l’Amérique de Barack Obama, un pays qui lui a au demeurant bien rendu en le couvrant de critiques positives et de récompenses. Le fait que le film soit ou non bon d’un point de vue cinématographique n’est pas le propos. Il convient à mon avis simplement de pointer su doigt qu’il s’agit d’une oeuvre, basée sur une vue de la société, biaisée par le regard et l’expérience de son créateur et non pas une vision purement objective de la société comme on l’a parfois présenté.