Le Premier Congrès Panafricain tenu les 19, 20 et 21 février 1919 marque le début d’une lutte internationale pour l’émancipation des Noirs et la décolonisation de l’Afrique. Un tournant historique.
Un tournant historique pour l’unification des peuples Noirs
Le 19, 20 et 21 février 1919, Paris a accueilli un événement historique marquant la première grande initiative de réflexion collective sur l’avenir des Noirs dans le monde : le Premier Congrès Panafricain. Cet événement s’inscrit dans une dynamique de contestation du colonialisme et du racisme, posant ainsi les bases du mouvement panafricain moderne.
Aujourd’hui, il existe de nombreuses conférences et rencontres internationales organisées à Dakar, Paris, Philadelphie ou encore Londres, explorant les questions de l’autonomie africaine, du racisme systémique et de l’émancipation économique. Mais en 1919, la mise en place d’une telle initiative relevait du véritable parcours du combattant.
Le contexte historique : Un monde en transition
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La fin de la Première Guerre mondiale a provoqué un séisme géopolitique majeur. L’Europe, affaiblie et en pleine reconstruction, voit la victoire des Alliés contre l’Allemagne comme une occasion de redessiner la carte du monde. Les anciennes colonies allemandes en Afrique deviennent un enjeu diplomatique essentiel. C’est dans ce contexte que certains leaders noirs américains, européens et africains ont tenté de peser sur les discussions autour du Traité de Versailles, en réclamant la fin du colonialisme et la création d’un État africain unifié et libre.
Les précurseurs du Congrès : Marcus Garvey et W.E.B. Du Bois
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Deux figures majeures du panafricanisme de l’époque tentent d’organiser une délégation pour plaider la cause africaine à Versailles : Marcus Garvey et W.E.B. Du Bois. Cependant, ils se heurtent à une opposition farouche des puissances occidentales. Marcus Garvey, fondateur de l’Universal Negro Improvement Association (UNIA), est systématiquement empêché d’obtenir des visas pour se rendre en France.
W.E.B. Du Bois, intellectuel et cofondateur de la NAACP (National Association for the Advancement of Colored People), parvient à contourner cette interdiction en obtenant une accréditation en tant que journaliste. Il quitte les États-Unis le 1er décembre 1918 et arrive à Paris le 5 février 1919, où il entreprend de réunir des figures influentes du monde noir pour organiser un congrès international.
Les défis logistiques et la surveillance politique
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L’organisation de ce congrès ne se fait pas sans obstacles. Du Bois est rapidement placé sous surveillance par les services secrets français. Le gouvernement américain, inquiet de la montée en puissance d’un discours anticolonial et antiraciste, fait pression sur la France pour restreindre l’événement.
Toutefois, Du Bois trouve un allié de taille en la personne du Sénégalais Blaise Diagne, alors sous-secrétaire d’État aux colonies et commissaire général des troupes indigènes françaises. À travers lui, il obtient l’accord de Georges Clemenceau, président du Conseil français, pour organiser le congrès sous la condition qu’il ne préconise pas une rupture radicale avec les puissances coloniales.
Les obstacles britanniques et la participation limitée
Les Britanniques, redoutant une contagion nationaliste dans leurs propres colonies africaines, s’opposent fermement au congrès. Ils refusent d’accorder des passeports à leurs ressortissants noirs, réduisant ainsi le nombre de participants. Au final, seulement 57 délégués de 15 pays participent à l’événement, représentant principalement la diaspora africaine, les Antilles et les États-Unis.
Les revendications du Congrès
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Malgré ces obstacles, les travaux du Premier Congrès Panafricain résultent en une série de revendications majeures :
- L’égalité des droits entre Noirs et Blancs dans les colonies.
- Un enseignement universel et accessible aux populations africaines.
- Un processus progressif vers l’autonomie politique et l’auto-administration des colonies.
- Une meilleure reconnaissance de la culture africaine dans les sociétés occidentales.
- L’interdiction des formes les plus brutales du travail forcé dans les territoires coloniaux.
Ces conclusions sont envoyées aux puissances européennes impliquées dans la rédaction du Traité de Versailles, mais elles sont largement ignorées dans les accords finaux.
Un tournant dans l’histoire du panafricanisme
Si les objectifs immédiats du congrès n’ont pas été atteints, cet événement marque un moment fondateur du mouvement panafricain. Il donne à W.E.B. Du Bois une stature internationale et pose les bases d’une réflexion collective qui mènera, des décennies plus tard, aux mouvements de libération africains des années 1950-1960.
L’héritage du Premier Congrès Panafricain
Le Premier Congrès Panafricain inspire de nombreux autres rassemblements, notamment ceux de 1921 à Londres et Bruxelles, de 1923 à Lisbonne, et celui de 1945 à Manchester qui est considéré comme un catalyseur direct des mouvements d’indépendance africains.
Aujourd’hui, la question de l’unité africaine et de l’autodétermination reste au cœur des débats contemporains. La création de l’Union Africaine en 2002, les initiatives pour une monnaie unique africaine, ou encore les discussions sur la restitution des biens culturels africains montrent que les idées soulevées en 1919 restent toujours d’actualité.
Le Premier Congrès Panafricain de 1919 fut une étape décisive dans l’histoire du panafricanisme, jetant les bases des luttes pour l’indépendance et l’autodétermination. En dépit des restrictions et du nombre limité de participants, il a permis de poser un discours collectif sur l’avenir des peuples noirs et de nourrir les aspirations à l’émancipation politique et économique de l’Afrique.
Sources :
- W.E.B. Du Bois, The World and Africa: An Inquiry into the Part Which Africa Has Played in World History (1947).
- Hélène Blais, L’Empire des géographes: De la géographie coloniale à la décolonisation (2018).
- Marc Michel, L’Appel à l’Afrique: Contributions et réactions à la Première Guerre mondiale (1982).
- Hakim Adi & Marika Sherwood, Pan-African History: Political Figures from Africa and the Diaspora since 1787(2003).
- John Hope Franklin, From Slavery to Freedom: A History of African Americans (1947, réédité en 2011).
- Archives Nationales de France – Section Coloniale et Panafricaine.
- Discours de Blaise Diagne, Rapport officiel du Premier Congrès Panafricain, Paris, 1919.