L’empire de Songhaï, un des plus vastes états de l’histoire africaine

Après les illustres empires du Ghana et du Mali, l’Empire de Songhaï émerge comme le dernier grand empire médiéval de l’Afrique ouest-sahélienne. S’étendant de la Mauritanie jusqu’au nord du Bénin, en traversant le Niger et le Mali (le cœur même de son pouvoir), Songhaï a su marquer de son empreinte la richesse culturelle et historique de cette région fascinante.

Origines de l’empire de Songhaï

Les Songhaïs, un peuple désormais principalement installé au Mali, au Niger, au Nigeria, et au Bénin, forment la base ethnique de ce qui allait devenir l’un des plus grands empires d’Afrique de l’Ouest. Les origines du futur empire Songhaï remontent à une période située entre les cinquièmes et neuvièmes siècles de notre ère, une époque où les premières communautés s’organisent et commencent à former des structures politiques et sociales complexes.

« Equestre », IIIe-Xe siècle, Niger, Bura-Asinda-Sikka, Institut de Recherches en Sciences Humaines, Université Abdou Moumouni de Niamey, Niger (BRK 85 AC 5e5)

Les statuettes en terre cuite trouvées dans les cimetières d’Asinda-Sikka et de Kareygorou témoignent de la richesse culturelle et de l’avancée artistique des peuples de cette région avant même la consolidation de l’empire. Ces artefacts, souvent associés à des rites funéraires, offrent un aperçu précieux des croyances et des pratiques sociales des premiers Songhaïs.

Au 9ème siècle, le géographe et historien arabe Al-Yaqubi1 mentionne pour la première fois le royaume de Kawkaw2, qui correspond à l’actuelle Koukia. Sous la direction de la dynastie Dia3, ce royaume est décrit comme « le plus grand royaume du pays des Noirs, le plus important et le plus puissant ». Cette description met en lumière l’importance précoce de Songhaï comme centre de pouvoir régional.

L’état de Kawkaw, précurseur de l’empire Songhaï, aurait incorporé les cultures de Gao-Sané et de Gao ancien, deux centres urbains significatifs. Cette fusion culturelle est cruciale pour comprendre l’évolution de Songhaï en un melting-pot de traditions et d’innovations.

La position stratégique de Songhaï le long des routes commerciales transsahariennes est attestée par la découverte de nombreux artefacts, y compris des pierres tombales en marbre ornées d’écriture kufi4, vraisemblablement importées d’Espagne au 11ème siècle. Ces découvertes soulignent l’étendue des échanges commerciaux et culturels de Songhaï avec le reste du monde méditerranéen et africain.

L’émergence de l’empire de Songhaï

Initialement, durant la dynastie des Dia, le royaume de Songhaï servait d’état vassal à l’Empire du Mali5. Cette période coïncide avec l’époque où l’empereur Moussa 1er du Mali, célèbre pour son pèlerinage opulent à la Mecque, a grandement contribué à l’ouverture d’une nouvelle route commerciale entre le Sahel occidental et l’Égypte. Songhaï a profité de cette nouvelle voie pour s’enrichir en tant qu’intermédiaire commercial crucial, jetant les bases de sa future indépendance.

Vers la fin du 14ème siècle, Songhaï commence à s’affranchir de la tutelle malienne, marquant le début d’une ère de souveraineté et de conquête. C’est avec l’avènement de la dynastie des Sonni6, notamment sous les règnes de Sonni Suleyman Dama et surtout de Sonni Ali Ber, que l’empire commence réellement à se dessiner. Originaire de Dendi dans l’actuel Bénin, Sonni Ali Ber, surnommé ‘Le Grand7, a été une figure déterminante dans l’expansion de Songhaï.

Établissant la capitale à Gao, Sonni Ali a orchestré des campagnes militaires réussies, conquérant des centres commerciaux vitaux comme Djenné8 en 1475 et Tombouctou9 en 1468. Ces victoires ont non seulement agrandi le territoire de Songhaï mais aussi renforcé sa position en tant que puissance dominante dans la région.

Malgré ses succès, la figure de Sonni Ali Ber est entachée de controverses. Accusé de pratiquer un mélange d’animisme et d’islam, il ne fut pas toujours populaire parmi les élites touarègues de Tombouctou, qu’il avait dépossédées de leur pouvoir. Ces tensions se reflètent dans les écrits de l’époque, où il est parfois dépeint de manière négative.

En dépit des critiques, Sonni Ali Ber a indéniablement transformé Songhaï d’un royaume en un empire puissant qui dominera l’Afrique de l’Ouest sahélienne. Sa mort en 1492, après une expédition dans le pays gourma au sud, marque la fin d’un règne qui a vu Songhaï atteindre des sommets de puissance et d’influence, posant ainsi les bases d’un empire qui perdurera dans l’histoire comme un symbole de grandeur africaine.

La dynastie des Askia : une nouvelle ère pour l’empire de Songhaï

À la suite du décès de Sonni Ali Ber en 1492, la lutte pour sa succession a ouvert une période de tumulte. Sonni Baro, son fils et successeur désigné, se trouva en compétition avec Mohammed Touré, un de ses généraux et gouverneur de la ville de Hombori. Mohammed, issu de l’ethnie soninké du Fuuta Toro10 et doté d’un large soutien parmi la population musulmane pratiquante, l’armée impériale, et les dignitaires de Tombouctou, a réussi à mobiliser ses alliés pour renverser l’héritier légitime après deux mois de conflits. En 1493, il fonda la dynastie des Askia, marquant un tournant décisif pour Songhaï.

Sous la dynastie des Askia11, l’Empire de Songhaï a étendu son influence en intégrant des territoires stratégiques tels que Méma, l’Empire peul du Macina, ainsi que des parties de l’ancien empire de Mali. Ces conquêtes ont renforcé la position de Songhaï comme une puissance dominante en Afrique de l’Ouest.

Le tombeau des Askia, à Gao.

Symbole de sa nouvelle autorité, Askia Mohammed a construit son tombeau sous forme pyramidale à Gao, aujourd’hui reconnu comme le ‘tombeau des Askias‘, un monument historique significatif qui témoigne de l’architecture et de la vision de l’époque.

En tant que pieux musulman, Askia Mohammed a réalisé un pèlerinage à la Mecque entre 1496 et 1497, renforçant ses liens avec le monde musulman et affirmant son rôle de leader religieux. Il a également lancé une guerre sainte contre le royaume animiste de Yatenga au sud, bien que cette campagne se soit soldée par un échec. Cependant, ses succès militaires à l’est contre les états haoussas et au nord contre des régions berbères, comme Agadez, Walata, et les mines de sel de Teghazza au Mali, ont accru la richesse et le prestige de l’empire.

L’encouragement de l’islamisation sous son règne a provoqué une floraison de la vie intellectuelle à Tombouctou, qui est devenue l’un des plus grands centres intellectuels de l’Islam. Les lettrés et savants de Tombouctou, soutenant Askia Mohammed dans sa prise de pouvoir, ont joué un rôle crucial dans la consolidation de son régime.

Dix ans avant sa mort en 1528, Askia Mohammed fut écarté du pouvoir par ses fils, avec son aîné Askia Moussa prenant la relève. Sa longue vie, décédée à l’âge de 95 ans, a été marquée par un règne efficace et respecté, contrastant avec celui de son prédécesseur Sonni Ali Ber. Les chroniques arabes, comme le Tarikh es Soudan, louent sa gouvernance, évoquant un empire où « la paix régnait partout », sous l’autorité d’un souverain juste et puissant.

Cette période a non seulement solidifié l’Empire de Songhaï en tant que force dominante en Afrique de l’Ouest mais a également posé les fondations pour un héritage durable, imprégné de piété, de prospérité et de puissance intellectuelle.

La période de turbulence et le déclin de l’empire de Songhaï

Après la période troublée marquée par l’assassinat d’Askia Moussa par son frère, suivi de la déposition rapide de son successeur, Askia Mohammed Bunkan, le pouvoir revint à la lignée d’Askia Mohammed. En 1537, l’ascension d’Askia Ismaïl, suivi par Askia Ishaq en 1539, marque un effort pour stabiliser et consolider le pouvoir au sein de la dynastie. Toutefois, ces changements fréquents de leadership ont affaibli l’autorité centrale, préparant le terrain pour des conflits internes et externes.

Askia Ishaq a été confronté à un premier différend majeur avec le puissant voisin marocain du nord. Ahmed al-Araj, le dirigeant marocain de l’époque, revendiqua les lucratives mines de Teghazza, alors sous contrôle de Songhaï, et adressa un ultimatum à Ishaq. En réponse, Ishaq orchestrera des raids dans la région de Draa au sud du Maroc, démontrant ainsi sa puissance et sa volonté de défendre les intérêts de Songhaï.

À la mort d’Ishaq en 1549, Askia Daoud prit le pouvoir. Ancien général, Daoud avait déjà montré ses compétences militaires en envahissant et pillant la capitale de l’ancien empire de Mali. Son règne vit une nouvelle invasion de ce dernier et des tentatives mitigées contre les États mossis. Bien que des butins aient été rapportés, ces conflits ont coûté la vie à de nombreux officiers de Songhaï, affaiblissant davantage l’empire.

Sous le règne de Mohammed es-Sheikh, sultan marocain de mère africaine, des relations initialement cordiales se détériorèrent progressivement. En 1582, après la mort de l’Askia Daoud, ces tensions atteignirent un point critique lorsque Ahmad al Mansour, successeur de Mohammed es-Sheikh, demanda l’abandon des mines de Teghazza. Le nouvel Askia Ishaq II répondit de manière provocante, exacerbant les tensions.

Le Maroc, technologiquement supérieur en raison du manque d’intérêt des derniers Askia pour la modernisation de l’armée, lança une invasion de 4000 hommes en 1591. Après des mois de résistance, les régions occidentales de Songhaï, y compris les centres commerciaux et intellectuels de Tombouctou, Djenné, ainsi que la capitale Gao, tombèrent aux mains des Marocains. Ahmad al-Mansour célébra cette victoire comme une union divine des races de Sem et de Ham, symbolisant la domination marocaine sur Songhaï. Ce dernier se maintint dans la région du Dendi mais perdit sa prestance en tant que centre de puissance militaire, matérielle, intellectuelle et influente dans le monde noir et musulman.

Cette série d’événements a non seulement marqué le déclin de l’Empire de Songhaï mais a également illustré l’impact des conflits internes et des pressions externes sur les grandes civilisations, mettant en lumière la complexité des interactions politiques et militaires en Afrique précoloniale.

Pour en savoir plus

Pour ceux qui souhaitent approfondir leur connaissance de l’Empire de Songhaï et de son contexte historique et culturel, voici une sélection d’ouvrages et de documents contemporains qui offrent des perspectives enrichissantes :

  1. « Couleurs de l’esclavage sur les deux rives de la Méditerranée (Moyen-âge – XXè siècle) » par Roger Botte et Alessandro Stella
  2. « Timbuktu and the Songhay Empire: Al-Sadi’s Tarikh al-Sudan down to 1613 and other contemporary documents » par John Hunwick
  3. « The Oxford Handbook of African Archaeology » édité par Peter Mitchell & Paul Lane
  4. « L’Afrique soudanaise au Moyen âge : le temps des grands empires (Ghana, Mali, Songhaï) » par Francis Simonis
  5. « Discovery of the earliest royal palace in Gao and its implications for the history of West Africa » par Shoichiro Takezawa et Mamadou Cisse

Notes et références

  1. Al-Yaqubi († 891 ou 897) : Géographe et historien arabe du 9ème siècle, al-Yaqubi est l’un des premiers à mentionner le royaume de Kawkaw, précurseur de l’Empire de Songhaï, dans ses écrits. Ses travaux offrent une perspective précieuse sur les structures politiques et culturelles de l’Afrique de l’Ouest bien avant l’émergence de l’empire. ↩︎
  2. L’État de Kawkaw (mentionné au 9ème siècle) : Ancêtre direct de l’Empire de Songhaï, le royaume de Kawkaw était déjà un centre politique et commercial important lorsqu’il a été décrit par Al-Yaqubi au 9ème siècle. Il comprenait des régions qui font aujourd’hui partie du Mali et du Niger, jouant un rôle crucial dans les échanges commerciaux à travers le Sahara. ↩︎
  3. Dynastie Dia (avant le 10ème siècle) : Dynastie régnante sur le royaume de Kawkaw, cette lignée de rois a établi les fondements du futur Empire de Songhaï. Sous leur gouvernance, le royaume a commencé à jouer un rôle notable dans les réseaux commerciaux transsahariens, préfigurant l’ascension de Songhaï en tant que puissance régionale. ↩︎
  4. Écriture Kufi (7ème au 10ème siècle) : Style calligraphique de l’écriture arabe, l’écriture kufi est caractérisée par ses lignes droites et ses formes angulaires. Utilisée principalement pour les inscriptions monumentales et les premiers manuscrits coraniques, cette écriture a été trouvée sur des artefacts à Songhaï, témoignant des liens culturels et commerciaux avec le monde islamique durant cette période. ↩︎
  5. Empire du Mali (c. 1235-1600) : Un des plus grands empires de l’Afrique de l’Ouest médiévale, fondé par Soundiata Keita et célèbre pour sa richesse et son commerce florissant en or et en sel. L’Empire du Mali s’étendait sur une large partie de l’Afrique de l’Ouest, englobant des parties importantes du Mali moderne, la Mauritanie, et le Sénégal. Il est notamment connu pour la ville de Tombouctou, un centre majeur de commerce et d’apprentissage islamique. ↩︎
  6. Dynastie des Sonni (c. 1464-1492 et après) : Dynastie régnante de l’Empire de Songhaï, fondée par Sonni Ali Ber. Elle a marqué le début de l’expansion territoriale significative et des réformes militaires qui ont établi Songhaï comme une puissance dominante en Afrique de l’Ouest. La dynastie des Sonni a été caractérisée par des guerres de conquête et une gestion efficace des territoires conquis, y compris des villes clés comme Djenné et Tombouctou. ↩︎
  7. Sonni Ali Ber (c. 1464-1492) : Considéré comme l’un des grands dirigeants de l’histoire de l’Afrique de l’Ouest, Sonni Ali Ber a étendu l’Empire de Songhaï à son apogée territoriale. Il est célèbre pour avoir amélioré l’armée de Songhaï et utilisé des navires de guerre pour contrôler le fleuve Niger, ce qui a permis de sécuriser et d’élargir les routes commerciales. Son règne a également été marqué par la conquête des villes de Djenné et Tombouctou, augmentant ainsi la prospérité de Songhaï. ↩︎
  8. Djenné (fondée avant le 13e siècle) : Située au Mali moderne, Djenné est célèbre pour sa grande mosquée de boue et son architecture distinctive de l’Afrique de l’Ouest. Historiquement, c’était un important centre commercial et culturel avant même son intégration à l’Empire de Songhaï par Sonni Ali Ber en 1475. La ville est aussi reconnue pour son marché hebdomadaire et son rôle dans le commerce transsaharien. ↩︎
  9. Tombouctou (fondée au 5e siècle, prospérité à partir du 12e siècle) : Située dans le nord du Mali moderne, Tombouctou était un centre majeur d’éducation islamique et de commerce sous l’Empire du Mali avant de passer sous le contrôle de l’Empire de Songhaï. Elle est surtout connue pour ses universités islamiques, ses manuscrits précieux et son rôle dans la diffusion de l’islam en Afrique de l’Ouest. La ville a atteint son apogée culturelle et économique sous la dynastie des Askia, successeurs des Sonni. ↩︎
  10. Fuuta Toro (aussi connu sous le nom de Fouta Toro) : Région historique située entre le fleuve Sénégal et le fleuve Niger, habitée principalement par les Peuls. Fuuta Toro est reconnu pour son rôle dans les échanges commerciaux et culturels en Afrique de l’Ouest et pour avoir été un centre précoce de l’islamisation de la région, notamment à travers la réforme religieuse et sociale au 18e siècle sous le régime des Almaami. ↩︎
  11. Dynastie des Askia (1493-1591) : Dynastie qui a gouverné l’Empire de Songhaï après la déposition de Sonni Ali Ber. Fondée par Askia Mohammed Touré, un général qui renversa Sonni Baro, la dynastie des Askia est célèbre pour son administration efficace, son expansion territoriale, et son renforcement des institutions islamiques, notamment à Tombouctou. Elle a joué un rôle crucial dans la consolidation de l’islam comme élément central de l’identité politique et culturelle de l’empire. ↩︎

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