Cet article propose de rapporter l’atmosphère qui a conduit à l’assassinat de Malcolm X le 21 janvier 1965 à New York.
Fin 1964, Malcolm X a fait évoluer sa pensée. Il ne stigmatise pas, comme autrefois, tant les Blancs que les Blancs qui font du mal aux Noirs. Il critique aussi les Noirs qui dans l’intérêt impérialiste occidental se dressent contre leurs frères à l’instar de Moïse Tshombe, le président fantoche de l’éphémère République du Katanga qu’il cite souvent dans ses discours et qui avait été mis en place pour assurer la mainmise belge sur le Congo, entreprise conduisant notamment à la mort de Patrice Lumumba en 1961.
Après une série de voyages en Afrique en 1964, le discours de Malcolm avait profondément pris un tournant panafricain.
Il déclarait ainsi en décembre de la même année :
« Le but de notre rencontre ce soir, comme nous l’avons annoncé, était de montrer la relation entre la lutte en cours sur le continent africain et le combat qui al lieu parmi les Afro-Américains ici dans ce pays. D’une part, je voudrais faire comprendre, particulièrement à ceux qui se disent leaders, qu’il est important qu’ils réalisent le lien direct entre les Afro-Américains de ce pays et le combat de tout notre peuple dans le monde entier. Aussi longtemps que nous penserons-comme l’un de nos frères me l’a mentionné d’un coin de la bouche ici il y a deux semaines-, que nous devons régler (la crise raciale du Mississipi) avant de penser à la situation au Congo, nous ne réglerons jamais (la crise au Mississipi). Pas tant que vous n’aurez pas réalisé votre lien avec le Congo. «
De la relation avec la Nation of Islam dont il avait été le charismatique ministre du culte et dont il avait largement contribué à l’expansion, il ne restait plus que de l’inimitié. La popularité de Malcolm qui incarnait désormais la Nation of Islam aux yeux du public et la dénonciation des relations extra-maritales de son leader Elijah Muhammad allait contraindre Malcolm X à quitter la Nation of Islam en mars 1964 et à fonder la même année la Muslim Mosque Inc. (MMI, une organisation religieuse) et l’Organization of Afro-American Unity (OAAU).
Lors de ses voyages dans les pays arabes, il avait également décrédibilisé la Nation of Islam, elle qui avait pourtant tenté de légitimer son image au sein du monde arabe. Ces différends avaient escaladé en une campagne de dénigrement puis de menaces physiques. Qualifié de « voleur, de drogué et de maquereau » par John Ali, le secrétaire national d’Elijah Muhammad qui allait se révéler être un agent du FBI et qui avait aussi officialisé le retrait du nom de son X, il allait être la cible d’autres pamphlets de la part de la Nation. Celle-ci lui reprochait d’être un opportuniste et un hypocrite et d’appels à sa destruction physique par des membres comme le futur Louis Farrakhan qui allait déclarer:« Le sort en est jeté et Malcolm n’y échappera pas, particulièrement après des paroles si imprudentes et diaboliques.(…)Un homme tel que lui mérite la mort ».
Les attaques physiques se portent d’abord sur des proches de Malcolm, comme Kenneth Morton, tué par des Fruits of Islam, la branche armée de la Nation, aussi responsable du passage à tabac de Leon Ameer. Malcolm n’est nulle part en sécurité peu importe le lieu de ses déplacements dans son pays et des membres de la Nation sont souvent présents par intimidation lors de ses meetings.
Le 22 janvier, 3 membres de l’organisation s’apprêtent à l’attaquer devant chez lui mais il parvient à rentrer chez lui et à prévenir la police. Lors de son départ de Los Angeles pour Chicago, fief de la Nation, Malcolm est suivi en voiture par des membres de l’organisation qui n’abandonnent sa traque qu’après que Malcolm n’ait d’avoir un fusil en agitant une canne hors de son véhicule.
A l’aéroport où se trouvent d’autres membres de la Nation, Malcolm doit utiliser un tunnel sur ordre de la police pour atteindre son avion. Une fois arrivé sur place, Malcolm apparaît dans les médias et continue à dénoncer la Nation, témoignant notamment pour l’Etat de l’Illinois contre un ancien membre de la Nation of Islam qui s’était vu refuser l’accès à des documents de l’organisation lors de son incarcération, expliquant que la Nation n’aurait pas la légitimité religieuse pour être lue en prison. Lorsqu’il rentre, il déclare le 31 janvier lors d’un meeting que sa mort a été décidée aux plus hauts échelons de la Nation of Islam et deux jours plus tard, lors d’une émission télévisée, il est à nouveau la cible de membres de la Nation qui l’attaquent lui et ses hommes, causant une bagarre générale, dont il parvient à réchapper.
Il décide ensuite de se rendre en Europe pour participer au Congrès du Conseil des Organisations africaines, pour prononcer un discours devant des étudiants africains et consolider la présence de l’OAAU sur le continent. Le 9 février, il se voit refuser l’entrée en France dirigée par Charles de Gaulle, ce qui fera soupçonner un rôle de celle-ci dans son assassinat. A Londres, il tient à nouveau un discours sur l’identité noire:
« Nous, en Occident, sommes conditionnés pour haïr l’Afrique et les Africains. » (Les Caribbéens en Grande-Bretagne) « ne veulent pas accepter leurs origine; ils n’ont ni origine ni identité. Ils veulent être des Anglais. »
Le lendemain de son retour, le 14 février, son domicile est la cible d’un attentat par le biais de cocktails molotoff. Sa famille doit désormais vivre cachée. La Nation est évidemment soupçonnée, bien qu’elle accuse Malcolm d’avoir mis le feu à la maison dont la famille allait bientôt être expulsée et récupérée par la Nation. Avant sa mort, le 21 février 1965, lors d’un discours dans une salle de danse de New York, Malcolm X est décrit comme dans un état de tension maximale. Il n’organise toutefois pas de fouilles corporelles à l’entrée de la salle. Après un premier discours de Benjamin X,son assitant à la MMI Malcolm X arrive au pupitre. Avant même son discours, Wilbur McKinley, un conjuré, crie « Négro! Sors tes mains de mes poches » à un de ses complices focalisant l’attention du service d’ordre, composé de deux novices. Malcolm leur crie d’arrêter. Puis un fumigène est lancé au fond de la salle et crée la confusion, puis trois autres conjurés Willie Bradley, Talmadge Hayer et Leon Davis tirent sur Malcolm et le tuent en l’atteignant de 21 balles.
Dans la salle se trouvaient son épouse Betty enceinte de jumelles et leurs quatre filles qui vécurent donc la mort de leur père, l’une d’entre elles, cachées par un banc par leur mère, demandant « vont-ils tuer tout le monde »? La foule parvint à intercepter Talmadge Hayer et le passa à tabac, ne pouvant toutefois empêcher la fuite des autres conjurés.
Talmadge Hayer, Norman Butler et Thomas Johnson seront inculpés du meurtre de Malcolm X, bien que les deux derniers en furent innocentés dans les années 80 après que Talmadge Hayer (sorti de prison en 2010) ait déclaré sur l’honneur leur innocence et l’implication de Wilbur McKinley, de Willie Bradley, de Benjamin Thomas et de Leon Davis qui ne seront toutefois pas inquiétés pour ce crime.
Qui fut le réel instigateur de ce crime? Malcolm X lui-même avait déclaré à un journaliste que John Ali avait tout fait pour exacerber les tensions entre lui et Elijah Muhammad. Selon un ancien chauffeur de Malcolm, l’ordre de tuer Malcolm était directement venu de John Ali. Pour d’autres, l’ordre aurait été donné par James Shabazz, le directeur de la mosquée de Newark au New Jersey et porté par Benjamin Thomas, Leon Davis, puis Talmadge Hayer qui a déclaré avoir agi pour amour et respect pour Elijah Muhammad. Hayer aurait en tous cas rencontré John Ali la veille de l’assassinat de Malcolm X.
Pour en savoir plus :
Malcolm X : a life of reinvention / Manning Marable