Plusieurs oeuvres d’art représentant un sphinx crées par des Afro-descendants ont été comparées à des prototypes issus de l’Egypte ancienne, l’une des plus vieilles civilisations connues du monde noir.
Par Sandro Capo Chichi / nofi.fr
Ainsi par exemple, on connait tous le sphinx de Gizeh censé représenter un roi de la quatrième dynastie égyptienne avec un corps de lion. Avec les pyramides et la pose de profil, ce sont les trois oeuvres les plus caractéristiques de la civilisation des pharaons. L’année dernière, la génialissime ‘artiste afro-américaine Kara Walker a réalisé une sculpture de sucre intitulée ‘A Subtlety’ inspirée du prototype égyptien comme le montrent ses propos:
« J’ai commencé avec une sorte de sphinx égyptien et je l’ai fait évoluer en une sorte de sphinx grec ou greco-romain, vous savez, le sphinx qui garde les portes de Thèbes et qui dévore tous ceux qui ne la comprennent pas ».
Même si la forme finale de l’oeuvre est inspirée du sphinx européen, Walker avoue l’inspiration égyptienne dans son processus de création. Outre cela, on peut imaginer une autre influence égyptienne dans l’oeuvre. En effet, le sphinx de Walker est officiellement décrit comme :
« Le merveilleux bébé de sucre, un hommage aux artisanes non-payées et surchargées de travail qui ont raffiné nos bons goûts, des champs de cannes à sucre aux cuisines du Nouveau Monde à l’occasion de la démolition de la plantation de raffinement de sucre Domino. »
Le personnage représente clairement une Mama noire du sud esclavagiste des Etats-Unis. Dans la culture populaire occidentale, la création du sphinx et des pyramides est associée (probablement à tort) à la servitude d’esclaves. On peut penser que ce choix n’est donc pas anodin et qu’il renvoie d’une autre manière à l’Egypte Pharaonique ou du moins à son image dévoyée.
D’autres oeuvres crées par des Noirs semblent à première vue renvoyer au sphinx égyptien. C’est le cas d’une peinture réalisée par l’artiste béninois Cyprien Tokoudagba (1939-2012) inspiré par la tradition et par le vodoun fon de Dahomey.
Contrairement au sphinx égyptien, le ‘sphinx’ de Tokoudagba ne peut pas être interprété comme une créature divine à la tête d’un homme mais au corps d’un animal. Agassou est en effet un homme au port humain, fils d’une princesse du royaume de Tado et d’un léopard. En représentant de la sorte Agassou, Tokoudagba a probablement cherché à représenter de manière symbolique l’acte d’accouplement entre la princesse et le léopard. L’artiste béninois a certes été confronté au monde extérieur, notamment depuis son succès international à partir des années 90, mais a toujours été influencé par la tradition artistique fon du royaume de Dahomey dans laquelle existe une tradition de représentations hybrides hommes animaux et indépendants de l’Egypte.
Pour des sphinx trouvés dans l’antiquité, la situation est plus complexe. On est par exemple sûrs que les Kouchites, qui ont emprunté beaucoup à la culture égyptienne dans leurs royaumes de Napata et de Méroé leur ont également emprunté la figure du sphinx.
La culture pré-aksoumite d’Ethiopie et d’Erythrée présente aussi un exemple de sphinx. Comme de nombreux échanges culturels ont été relevés entre l’Egypte et l’Ethiopie-Erythrée anciennes via les royaumes de Napata et de Méroé, le sphinx étant attesté dans de nombreuses autres cultures du monde méditerranéen et celui d’Addi Grematen n’offrant pas de ressemblances de style avec ceux d’Egypte et de Méroé, nombre de spécialistes s’accordent à penser qu’il ne s’agit que d’une coïncidence et non d’une influence du sphinx égyptien.
Un dernier exemple est celui de la culture de Nok de l’actuel Nigéria où l’on trouve plusieurs sphinx avec un corps de félin et une tête humaine.
Cette dernière culture n’a apparemment pas de rapports historiques attestés avec l’Egypte ancienne. Rien n’empêche toutefois que le sphinx ait pu en être le résultat. Il existe toutefois, comme chez les Fons du Dahomey une tradition nok de représenter des figures mi-animales mi humaines dont celles à bec et à corps d’oiseau et à tête humaine qui ne semblent pas avoir de rapport avec l’Egypte ancienne.
En conclusion, on dira que la figure du sphinx, associée dans la culture populaire occidentale à l’Egypte n’en est pas forcément issue ailleurs dans le monde… et même dans le monde noir dont l’Egypte ancienne fait partie intégrante. Dans le monde et à diverses époques, le sphinx a pu être créé pour des motifs aussi simples que pour symboliser les aptitudes corporelles d’un personnage dignes de celles d’un animal et l’intellect d’un homme comme on dit aujourd’hui de quelqu’un qu’il un corps de mastodonte où un corps de gazelle sans pour autant faire référence à l’Egypte ancienne.