La photographie artistique semble entretenir une liaison amoureuse avec des photos de femmes blanches frêles à la merci d’hommes noirs à l’état ‘primitif’.
Par Sandro CAPO CHICHI / nofi.fr
Il y a quelques années, la couverture du magazine Sports Illustrated Swimsuit faisait la controverse. La raison, cette photo du top-model américain Emily DiDonato en maillot de bain en plein désert accompagné d’un homme san (ethnie aborigène d’Afrique australe). Si le contexte de cette photo était celui de photos de modèles en maillot de bain sur les sept continents, elle a été critiquée par de nombreux médias l’accusant de raviver de vieux stéréotypes racistes.
Cet ancien stéréotype, celui du Noir mi-homme, mi-animal, violent, puissant, agressif et assoiffé de fesses, présent depuis fort longtemps dans le monde eurasiatique et en Afrique du Nord, allait notamment être renforcé dans l’esclavage et la colonisation. On se contentera de quelques exemples. A la fin du 19ème siècle, après l’abolition de l’esclavage dans l’ensemble des Etats-Unis, des voix pro-esclavagistes bâtissaient le mythe du Noir animal, primitif et sexuellement vorace, qui risquait de menacer l’ordre social en s’attaquant à la femme et à la race blanches s’il restait en liberté dans une société non-esclavagiste. Lors des lynchages de Noirs, leur sexe était d’ailleurs symboliquement coupé et brandi, en même temps que la menace qu’ils représentaient.
En 1920, des Allemands s’indignaient par racisme de la présence de tirailleurs sénégalais occupant leur territoire, recréant un mythe de la pauvre femme blanche à la merci sexuelle de la bête noire. Ces médailles allemandes dédiées à la menace noire à laquelle étaient sujettes les femmes allemandes sont particulièrement éloquentes:
Ainsi, lorsque Lebron James posa en 2008 avec le mannequin brésilien Gisèle Bündchen, on lui reprocha à lui, sa partenaire, au photographe et au magazine Vogue d’avoir ravivé ces vieux clichés.
Un shooting similaire avait eu lieu en 1998 au Kenya avec des photos du top-model français Laetitia Casta au milieu de guerriers maasaïs du Kenya, toujours pour Sports Illustrated. Le mythe de guerriers noirs tribaux entourant une femme blanche semble y être parfaitement reproduit. Et puis quel intérêt peut-il y avoir à vendre des maillots de bain en milieu aride?
Mais l’article accompagnant ces photos dans Sports Illustrated est encore plus riche en clichés que le shooting lui-même:
« Notre mobile-home arrive le jour suivant, et les guerriers maasais étaient tous prêts. Le photographe les rappelle à l’ordre, les alignant derrière Laetitia Casta, qui était couverte de son sarong. Les guerriers s’ennuyaient un peu… jusqu’à ce que Laetitia laisse tomber son sarong (pagne local NDLR). D’un seul coup, ils se sont tous avancés pour la toucher en faisant des grognements ; puis ils ont commencé à sauter avec une extraordinaire vigueur. Nous étions tous effrayés par cette réaction; tous sauf Laetitia qui à l’habitude de ce genre de réaction dès qu’elle met un bikini. »
Apparemment des clichés d’un autre temps, puisque d’après le témoignage des villageois eux-mêmes, les choses se seraient passé autrement:
Pour les villageois maasais, la venue de touristes n’est pas inhabituelle. Cependant, ce qu’ils ne savaient pas était que ce groupe avait un motif différent. Lorsqu’ils entrèrent dans le village avec les flashs de leurs appareils photos qui crépitaient, les guerriers maasaïs se mirent en ligne pour la photo habituelle. Puis la femme blanche enleva ses vêtements et les femmes maasais rentrèrent dans leurs maisons en criant. « Les anciens détournèrent les enfants de l’objectif de l’appareil photo. Mais les jeunes guerriers restèrent en place, laissant les photographes multiplier leurs flashs. « Certains s’éloignèrent des appareils photo, d’autres regardèrent avec indifférence, et d’autres regardèrent avec intérêt. » , dit l’un des villageois. (John Ole Kisimir, Kenya: Who is exploiting the other?, 1998, The Nation)
La vidéo dit autre chose, s’il s’agit bien de la même scène décrite par le magazine. Mais en aucun cas on ne voit des dalleux se mettre pousser des grognements et à vouloir toucher Casta dès que celle-ci commence à enlever ses vêtements.
Même si tous les photographes à l’origine de ce type de photos ne sont pas racistes, ils doivent toutefois être responsables de ne pas propager des idées racistes d’un autre temps. Les modèles noirs doivent l’être d’autant plus, mais il est sûr que s’ils sont étrangers à la culture occidentale et ne connaissent ni anglais ni français, ils ne risquent pas d’êtres conscients des stéréotypes racistes dans lesquels ils sont impliqués. C’est peut-être pour cela qu’on les sollicite, d’ailleurs…