Considéré comme l’un des meilleurs boxeurs de l’histoire, Muhammad Ali est aussi considéré comme l’inventeur du trash-talk, cette pratique consistant, avant un combat, à se vanter et à insulter son adversaire pour le déstabiliser et se motiver. Par la pratique des deux, Muhammad Ali apparaît comme un digne héritier du Dambe, un art martial traditionnel d’Afrique de l’Ouest.
Par Sandro CAPO CHICHI / nofi.fr
Ayant pratiqué pendant plusieurs années des arts martiaux asiatiques, j’ai décidé un jour d’assister à des cours d’un art martial africain qui se tenaient près de chez moi. Mais voilà, cet art martial n’était pas à proprement parler un art martial traditionnel. Il s’agissait d’une reconstitution d’un art représenté sur des murs vieux de milliers d’années et dont les règles avaient depuis longtemps été oubliées. Et malgré les efforts des gens qui avaient essayé de reconstituer cet art, j’avais plus l’impression d’accomplir une suite décousue de postures stéréotypées qu’un art cohérent et spirituel comme il était pourtant présenté. J’ai donc arrêté.
Au fil du temps, j’ai toutefois découvert qu’il existait plusieurs arts martiaux crées par des Noirs, qui avaient une véritable histoire ininterrompue et qui étaient véritablement ancrés dans les traditions de ceux qui les pratiquaient. L’un d’entre eux est le Dambe pratiqué au Niger et au Nigéria notamment. Le Dambe trace ses origines à la caste des bouchers du peuple haoussa du Nord-Nigéria et du Niger, qui l’utilisaient comme une forme d’entraînement mental à la guerre. Ses origines sont perdues dans le temps mais il s’agit clairement d’une pratique ancestrale. Cette pratique était tellement ancrée dans la société haoussa qu’un boucher haoussa qui ne pratiquait autrefois pas le Dambe était quasiment sûr de ne pas trouver de femme.
Le Dambe est un sport de combat où les deux combattants peuvent donner des coups, des deux pieds à leur adversaire, avec la tête mais avec un seul poing, appelé communément lance alors que l’autre main est appelée bouclier et n’est utilisée que pour bloquer ou parer les coups de l’adversaire. Le poing ‘lance’ est lacé avec une corde.
Comme en boxe thaïlandaise traditionnelle par exemple, il était autrefois trempé dans de la résine et recouvert de morceaux de verre brisé mais, comme en Thaïlande cette pratique a bien évidemment été interdite. Même le laçage du poing ‘lance’ est quelquefois remplacé par un gant de boxe ‘moderne’ pour optimiser la sécurité des combattants.
Les rituels
Chaque pratiquant possède un rythme de tambour particulier, appelé také také. Quand ce rythme est joué, le combattant s’avance et voit ses louanges chantées par un chanteur traditionnel. Il tremble ensuite avec ses mains écartées (tsuma) de manière rituelle et crie des provocations et des insultes rituelles (kirari) à son adversaire pour se préparer mentalement au combat. Un combattant n’est déclaré vainqueur qu’après que son adversaire soit tombé à la suite d’un coup. Le combat dure trois reprises. Si aucun combattant n’est déclaré vainqueur, les challenges doivent reprendre. Comme dans des sports comme la lutte sénégalaise, les combattants de Dambe ont recours à la magie notamment sous la forme d’amulettes. Il est clair qu’on a affaire à un art profondément authentique et traditionnel, même s’il s’adapte comme il le doit aux réalités du monde moderne.
Muhammad Ali et le Dambe
Muhammad Ali est sans contestation l’inventeur du Trash Talk en occident, cette pratique qui consiste à provoquer ses adversaires en se vantant et en les insultant avant un combat. Comme dans ce poème qu’il a écrit avant son légendaire combat à Kinshasa:
On croirait entendre un Kirari, ces chansons d’auto-motivation prononcées par les pratiquants de Dambe avant chaque combat:
Ainsi, quand l’arbitre du combat Ali-Foreman demanda à Muhammad Ali d’arrêter de parler avant que le combat ne commence et qu’Ali répondit : « C’est la seul manière dont tu pourras sauver ce crétin. Il est foutu », il empêchait Ali de prononcer un Kirari, c’est à dire de faire du Dambe.
En bon musulman, Ali priait avant ses combats.Les Haoussas, qui sont également musulmans, pratiquaient aussi avant chaque combat des prières prescrites par leurs mollahs pour s’assurer la victoire, utilisant aussi parfois des amulettes, parfois faites de versets du Coran.
Evidemment, au delà de ces similarités, qui ne sont sûrement pas propres à Ali et au Dambe, il est certain que Muhammad Ali ne s’est pas inspiré du sport nigérian dans son utilisation du Trash Talk, dans ses prières d’avant combat ou dans son style de boxe. Peut-être même n’en a-t-il jamais entendu parler. Mais le fait qu’il ait reproduit sans le savoir la pratique de certains ancêtres de son peuple rend encore plus exceptionnelle sa contribution à ce qui nous rend ‘Noir & Fier’. Et comme le Dambe continue à gagner en popularité dans le monde entier, on peut rêver qu’il lui rende la pareille, pourquoi pas en lui faisant hommage, en inventant un style Dan Ali ‘fils d’Ali’ où à la manière du boxeur de Louisville, les pratiquants de Dambe baisseraient souvent leur poing ‘bouclier’ et joueraient sur leur vitesse et les mouvements de leur buste pour éviter les coups…