Aaron McGruder, le créateur de ‘The Boondocks’ avait lancé l’été 2014 une série intitulée ‘Black Jesus’ qui racontait les aventures d’un Christ noir vivant dans un quartier populaire des Etats-Unis au vingt-et-unième siècle. Par le comportement du héros et manifestement à cause de sa couleur de peau, la série a fait l’objet de nombreuses attaques visant à l’interdire. Récit et critique.
Par Sandro CAPO CHICHI / nofi.fr
Vous connaissez sans doute ‘The Boondocks’, l’excellente bande-dessinée adaptée en dessin animé entre 2005 et 2010. Son créateur, qui a dans le passé été surnommé ‘le Noir plus énervé des Etats-Unis’ a lancé en septembre 2014, avec Mike Clattenburg, une nouvelle série intitulée ‘Black Jesus’.
Diffusée, comme les Boondocks, sur la chaîne américaine Adult Swim, elle a suscité, plusieurs mois avant sa diffusion, un grand nombre d’attaques visant à la faire interdire. Des associations chrétiennes et conservatrices comme l’American Family Association ou One Million Moms ont ainsi reproché à la série de représenter le Christ comme proférant des grossièretés, fumant du cannabis et buvant de l’alcool, parlant par là de ‘blasphème’. Car la représentation du fils de Dieu de la religion chrétienne dans ‘Black Jesus’ est peu commune. Avec ses traits d’Afro-Américain, son mètre quatre-vingt seize et sa perruque faite de cheveux lisses châtains, le Christ de McGruder évolue au milieu de disciples issus d’un quartier populaire noir de Compton en Californie et parle comme eux.
Le co-producteur exécutif de la série, Robert Eric Wise, s’adressant au magazine Vice, justifie le choix de ce cadre par celui du véritable Jésus:
« Regardez, si on remonte à il y a 2014 ans en Judée, c’était un quartier chaud. (…)En fait, la Judée était tellement un quartier chaud que Rome avait envoyé Ponte Pilate, le plus gangsta des des gouverneurs de l’Empire pour aller la gérer.Ce qui veut dire que Compton en ce moment est très loin d’être aussi chaud que la Judée de l’époque, et que, même si ça peut sembler drôle à dire, le vrai Jésus Christ a grandi et a été élevé dans un quartier chaud. »
Pour Aaron McGruder:
« J’ai été éduqué par des Jésuites et je connais suffisamment de choses sur la religion pour dire que notre série est une interprétation honnête du message de Jésus dans un das un décor contemporain pour une audience contemporaine. » « Si c’est mauvais de manière inhérente, ainsi soit-il, mais malgré les grossièretés et le cannabis dans la série, je pense qu’elle a un véritable sens du respect pour les gens qui ont la foi ».
Peut être que comme le pense McGruder, Jésus a pu avoir un langage ordurier à un moment de sa vie. Mais ces détails ne sont pas parvenus jusqu’à nous. Postuler leur existence aujourd’hui à une époque ou Jésus est adoré comme un être divin pose problème. Sans être moi-même chrétien, en faisant preuve d’un peu d’empathie, je sympathise avec les critiques de la série. Jésus vivait dans un quartier chaud? Disait des grossièretés? Pourquoi pas? Etait-ce pour autant la peine de le retranscrire dans une série, surtout en lui attribuant un vocabulaire banni de la société alors que Jésus est considéré par ses fidèles comme étant un modèle? Jésus n’a pas du dire que des grossièretés. Il a aussi du faire ses besoins. Tant qu’on y est, pourquoi McGruder n’a-t-il pas inclus dans sa série des scènes graphiques où Jésus allait aux toilettes et faisait ses besoins? A quand, dans un biopic sur McGruder, des scènes pornographiques retraçant sa conception par ses parents puisque cette scène a effectivement eu lieu? Il faut savoir respecter la sensibilité religieuse et la mémoire des gens, en évitant de les associer à des tabous des sociétés contemporaines.
Si les associations protestant contre ‘Black Jesus’ mentionnés plus haut sont principalement blanches, des Chrétiens noirs ont aussi fait part de leur mécontentement quant à la série. Le pasteur noir de Chicago John F. Hannah avait ainsi délivré le message suivant sur sa page Facebook:
« Je suis dégoûté de voir comment les gens peuvent s’en tirer facilement quand il s’agit du Christianisme et de (…) Jésus Christ. Si n’importe qui dit quelque chose de négatif sur Allah, la communauté musulmane a fait savoir que ça ne sera pas toléré. Mais quand il s’agit du Christ on permet tout car on ne veut pas offenser les autres. Il y a une nouvelle série (…) ‘Black Jesus’ qui (le) montre (…) en train de fumer, de dire des grossièretés et de se conduire d’une manière qui ne représente pas le Christ. (…) Si vous dites quelque chose qui est considéré comme un manque de respect à la communauté gay, la communauté LGBT va s’y opposer. Si quelqu’un dit quelque chose d’irrespectueux sur l’Holocauste, la communauté juive va s’y opposer. (…) Ce n’est pas de la comédie, c’est un manque de respect »!
Bien que des Noirs se soient opposés à cette série pour le comportement de Jésus, certains observateurs soupçonnent les critiques d’être officieusement motivées par la représentation de Jésus comme un homme noir. Dans les années Marcus Garvey et l’évêque George Alexander McGuire avaient popularisé l’usage d’une image d’un Jésus et d’une Marie noirs en réponse à l’hypocrisie du Jésus blond aux yeux bleus de l’église américaine.
Cette initiative destinée à désaliéner les Noirs d’un Dieu à l’image de leurs bourreaux et pas à la leur était noble, d’autant plus que Jésus n’était probablement pas blond aux yeux bleus, étant originaire du croissant fertile d’il y a 2000 ans et non d’une ethnie slave, celte ou germanique.
Aussi noble qu’elle eût été, cette initiative de Garvey et de McGuire est à mon avis aujourd’hui entravée par le Black Jesus d’Aaron McGruder, qui en créant un Christ accumulant les tabous sociaux tout en étant noir, donne le bâton aux critiques d’une lutte contre la suprématie d’un Jésus blond aux yeux bleus pour la battre. Et les coups de bâton risquent encore de sévir, puisque la série, qui pour l’avoir vue n’ a mon avis que peu d’intérêt artistique, vient d’être reconduite pour une nouvelle saison.