Pierre Mulele

Acteur principal de la lutte dans la clandestinité du combat anti-impérialiste congolais de Patrice Lumumba après la mort de ce dernier, Pierre Mulele ne connaît toutefois pas le degré de reconnaissance que son parcours suggère. Portrait du plus grand combattant et martyr noir du vingtième siècle.

Par Sandro CAPO CHICHI / nofipédia

Jeunesse
Pierre Mulele est né en août ou en juillet 1929 à Kulu Matende au Congo Belge (actuelle République Démocratique du Congo). Il est le fils de Benoît Mulele, un infirmier, et d’Agnès Luam, à l’origine son esclave. Pierre est de ce fait selon la tradition mbunda, l’ethnie de ses deux parents, l’esclave de son père. Ce dernier, en tant que l’un des premiers intellectuels de la région, offre un accès à l’éducation précoce à son fils qui apprend l’alphabet avant même d’entrer à l’école. Le jeune Pierre y aurait aidé ses camarades à lire. Inscrit pendant trois ans au séminaire de Kinzambi où il apprend le latin, le jeune Pierre fait l’objet d’un étonnant esprit critique, remettant en question le dogme catholique. Il en est renvoyé en 1946 par les Pères craignant la contagion de ses idées.

L’hypocrisie de la religion catholique est une thématique qui suivra Mulele lors son passage à l’école moyenne de Leverville. S’y ajouta bientôt une autre, celle de la politique et du nationalisme africain, avec de nombreux autres collègues. Comme à Kinzambi, Mulele se distingue dans sa résistance à l’oppression. Les élèves devaient prendre part à de la cueillette et à de l’élevage pour le compte des missionnaires belges à la tête de l’école. Mais les élèves devaient se contenter d’une alimentation rudimentaire qui avait entraîné des maladies chez nombre d’eux. Après la mort d’un des camarades de Pierre, à cause de cette nourriture, il organisa une grève dans la cantine qui connut un important retentissement.

En 1950, Mulele rejoint l’école d’agriculture de Yaseke, mais la quitte un an plus tard, ayant l’ « impression de perdre son temps ». Il est ensuite orienté vers l’armée dans le camp de Coquilhatville par le directeur de l’école. Il est nommé caporal au bout de six mois, mais après avoir réalisé que ce camp n’est en réalité destiné qu’à mater d’éventuelles révoltes indigènes il rédige un plan de conquête du camp auquel il est affecté. Il est alors renvoyé de Coquilhatville et réaffecté à Léopoldville où ses exploits l’ont déjà fait connaître sous le surnom de Moto Mabanga ou ‘Tête dure’. Y craignant sa popularité, les autorités le déplacent à Thysville. Fidèle à sa réputation, Mulele refuse de saluer le drapeau belge auquel il déclare ne reconnaître aucune légitimité. Après avoir brutalisé le sergent venu le réprimander, il est emprisonné durant sept jours. Par son activisme au sein de la force publique, Pierre Mulele fait améliorer les conditions de vie des autres soldats noirs.

Débuts dans la politique
En 1953, Mulele avait quitté l’armée et rejoint Léopoldville où il exerce au secrétariat de la direction générale des bâtiments civils. Il rejoint rapidement l’APIC (association du personnel indigène de la colonie) où il milite pour l’égalité des droits entre fonctionnaires blancs et noirs. Entre temps, l’UNAMIL (union des anciens de la mission Leverville) avait été fondée par deux de ses anciens camarades Fernand Nami et Félicien Martu et Mulele était très actif au sein de l’association, notamment dans le cadre de l’organisation de discussions autour des problèmes de la colonisation. Il en assume le rôle de vice-président en 1955 Mulele fonde aussi deux associations de danse : Bana ya la Joie et La Mode. Ces dernières ont en réalité un rôle fédérateur autour de discussions ‘conscientes’ autour de l’Afrique, de son histoire et de son avenir.

Lors du passage du roi belge Baudoin en 1955, Mulele manifeste son désintérêt : « Moi, je ne me sens pas son sujet. C’est le premier emmerdeur qui nous rend visite ». Après s’être familiarisé avec l’idéologie marxiste, il fonde avec Ferdinand Munanga et Sylvain Kama le parti solidaire africain (PSA). Il en décrit les principes comme suit : « Le Parti solidaire africain a pour but l’émancipation du peuple africain dans tous les domaines , son accession dans l’unité existante à dépendance et la prévention de toutes les éventualités ». Il en est d’abord le vice-président puis le secrétaire général.

Bientôt, des tensions se manifestent entre deux ailes du PSA : l’aile catholique et proche des colons incarnée par Kamitatu et l’autre, areligieuse et hostile aux colons représentée par Mulele et le nouveau président du PSA Antoine Gizenga. A l’approche des élections organisées par la Belgique, cette dernière avait choisi de mettre en avant l’aile modérée représentée par Kamitatu. Lors des élections, le PSA devient le second parti du pays derrière le MNC de Lumumba. Mulele et Gizenga se rapprochent alors personnellement de Lumumba. Ce dernier nomme Mulele comme ministre de l’Education et des Beaux-Arts, alors qu’il briguait plutôt la Défense. Son programme est organisé autour de l’égalité dans le droit à l’éducation et aux études supérieures selon le sexe et l’origine sociale, ou encore à la promotion de l’enseignement des arts indigènes.

Pendant la crise de 1960

Kasa-Vubu, Lumumba, et Baudoin de Belgique

Après le discours de Patrice Lumumba du 30 juin 1960 où il dénonce, devant le roi Baudoin, les méfaits du colonialisme de son pays, le premier ministre organise une africanisation de l’armée et entraîne un soulèvement populaire contre les Belges présents sur place. La Belgique réplique par l’envoi de troupes à Léopoldville et dans la riche région du Katanga dont elle favorise la sécession. Durant cette période, Mulele est l’un des plus virulents à dénoncer Joseph-Désiré Mobutu comme un agent extérieur et un traître.

Patrice-Lumumba-prison
Lumumba lors de son arrestation

Après l’arrestation de Lumumba, il projette de diffuser « la résistance partout » et de « libérer Lumumba ». Malgré le coup d’état de Mobutu orchestré par Un gouvernement Lumumba clandestin dirigé par Antoine Gizenga allait s’établir à Stanleyville. Mulele, quant à lui, allait voyager au Caire, notamment pour y obtenir avec succès la reconnaissance du gouvernement par de nombreux pays non-alignés. Le gouvernement basé à Stanleyville, notamment à cause des hésitations de Gizenga, renonce à la lutte armée pour reprendre le pouvoir et se rapproche d’une réconciliation nationale avec le gouvernement de Léopoldville.

Gizenga, à droite
Gizenga, à droite

Résistance et mort
En novembre 1961, Gizenga réalise son erreur et décide de reprendre les armes mais est arrêté quelques mois plus tard. Mulele déclare en janvier 1962 la phase critique dans laquelle la lutte pour la liberté, l’indépendance et l’unité du Congo se trouve.A la fin du mois, il est expulsé du Caire et voyage à Beyrouth, à Prague et à Moscou. Les soviétiques ayant clairement désavoué les projets de lutte armée prônés par Mulele, celui-ci se décidait de se rendre à Beyrouth. Avec son ami d’enfance Théophile Bengila , qui l’avait accompagné à Kinzambi, à Leverville, à Yaseke et à l’UNAMIL, il décide de partir à Pékin en avril 1962 où il est formé militairement et idéologiquement au modèle de la révolution chinoise.

Vers juillet 1963, Mulele revient à Léopoldville déguisé en musulman ouest-africain et en possession d’un faux passeport voltaïque. Très vite, il cherche un endroit où établir son camp d’entraînement à la guérilla. Son choix se porte sur la région du Kwilu, en raison de sa nature forestière favorable aux tactiques de guérilla, par l’esprit nationaliste de ses populations et par son statut de fief du PSA. Mais bientôt, l’établissement d’un maquis par Mulele au Kwilu s’ébruite à Léopoldville. Mulele est démis de ses fonctions au sein du PSA et rentre au Kwilu. En janvier 1964, il lance la première opération militaire et fin 1964, les partisans de Mulele occupent un territoire de plus de 300 kilomètres sur 160 après avoir atteint le Kasaï et le Kwango. Toutefois, l’avancée des troupes mobutistes conjuguée à des dissensions internes fragilise l’équilibre de la ‘rebellion’.

Entre 1966 et 1967, l’armée mobutiste, forte de sa supériorité technologique, parvient à désagréger la rébellion jusqu’à son noyau et Mulele, à partir de décembre 1967 reste seul avec Léonie Abo, l’une de ses trois compagnes durant son passage dans le maquis (les deux dernières lui ayant donné deux enfants), pendant dix mois dans la savane de Kimbanda. En août 1968, il se rend à Brazzaville, espérant en ramener des cadres favorables à la rébellion. Il s’y entretient régulièrement avec le Président Marien Ngouabi. Des nouvelles d’une amnistie décrétée par Mobutu arrivèrent et Mulele, pensant que l’accord entre Congo-Kinshasa et Brazzaville lui permettrait de gagner du temps dans sa poursuite de la lutte accepte de s’y rendre par le biais de l’ambassade cubaine.

Le 2 novembre 1968,Mulele se voit annoncer qu’il sera présenté publiquement par Mobutu comme un héros national en tant que collaborateur de Lumumba. Mais en réalité, Mobutu, de retour d’un voyage en Afrique du Nord déclare à 17 heures lors d’un meeting au stade de la Révolution que Mulele sera jugé comme criminel de guerre. Séparé des siens, Il est conduit dans un camp militaire en compagnie de son ami et compagnon de lutte Bengila. Vivants, on leur coupe les oreilles, le nez, leur retire les yeux des orbites, les organes génitaux et leur coupe bras et jambes avant que leurs restes ne soient jetés dans le fleuve Congo.

Dix ans plus tard, les revendications de Martin Kasongo, un homme prétendant être la réincarnation de Mulele, allaient entraîner la mort de 2000 paysans du village de Mulembe. Pour que tout souvenir de Mulele ne puisse être ranimé en même temps que la flamme de la contestation, Mobutu fit fusiller Agnès, vieille mère de Mulele devant des villageois. Son corps fut dépecé par les couteaux des militaires qui les enterrèrent à part. L’hystérie craintive de Mobutu semble compréhensible. Combien d’hommes avaient en effet si précocement exprimé leur refus de l’hypocrisie et les crimes de la domination occidentale ? Combien d’hommes n’avaient, à aucun moment de leur vie été corrompus par des promesses contre à ceux qu’ils savaient être contre l’intérêt des leurs. Combien d’hommes sont-ils morts de telles atrocités pour la cause de l’Afrique ? Probablement aucun. C’est ce qui fait de Pierre Mulele, le plus grand combattant de la résistance africaine au vingtième siècle et probablement au-delà.

Pierre Mulele, à droite
Pierre Mulele, à droite

Références
Pierre Mulele ou la Seconde vie de Patrice Lumumba [Texte imprimé] / Ludo Martens
Mulele et la révolution populaire au Kwilu (République démocratique du Congo) / B. Verhaegen ; avec la collaboration de J. Omasombo, E. Simons et F. Verhaegen

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